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Pollini l’intranquille

Publié le 04 avril 2017 — par Bertrand Boissard

© Matthias Bothor

En cinquante ans de carrière, Maurizio Pollini n’a jamais quitté les sommets de la renommée. Avec l’urgence et l’engagement qui le caractérisent, le grand pianiste italien continue de défendre avec une passion intacte les plus grands compositeurs.

— Pollini - Webern - Piano variations op.27 (Live 2002)

Pendant longtemps, certains commentateurs ont vu en Maurizio Pollini un grand pianiste mu par la logique, privilégiant une approche abstraite, jusqu’à la froideur, de la musique. C’est bien tout le contraire. Il est certes un intellectuel qui scrute, pèse et sous-pèse jusqu’au moindre détail des partitions. Mais une fois devant le clavier, l’analyste fait place à un animal pianistique de l’espèce la plus rare, volontiers sauvage et paroxystique. S’il est un interprète hanté par la musique, dont les exécutions reflètent un bouillonnement intérieur intense, une intranquillité consubstantielle à une personnalité complexe, c’est bien lui.

— Maurizio Pollini - VI Chopin Piano Competition (1960)

Dans la famille Pollini, on pratique la musique. L’art, plus généralement, y tient une place fondamentale. Son père est architecte, son oncle sculpteur. À Milan, il entend les plus illustres musiciens : Rubinstein, Haskil, Gieseking, Fischer, Cortot, Toscanini, Mitropoulos. Sa victoire au concours Chopin en 1960 - il n’a que dix-huit ans - le met en pleine lumière. Rubinstein, membre du jury, s’extasie : «Techniquement, il joue déjà mieux que chacun d’entre nous ». Ne se sentant pas prêt à se lancer à corps perdu dans les tournées, il approfondit sa formation avec le magicien du piano Arturo Benedetti Michelangeli, qui lui dévoile quelques-uns de ses secrets, notamment des doigtés dont il fera son miel ainsi qu’une technique spéciale du double échappement.

Le charme ostentatoire, la séduction trop immédiate ne font pas partie du vocabulaire de l’artiste, qui a une trop haute idée de son art : pas de petites pièces virtuoses à son répertoire qu’il distillerait en bis, pas de transcriptions non plus : Pollini est un pur et dur. Mais qu’on ne vienne pas lui faire revêtir les habits de missionnaire. Dans un récent documentaire de Bruno Monsaingeon, Pollini s’insurge, et proclame comme un cri du cœur : « Non, non, je ne suis pas un missionnaire. Je fais tout avec plaisir, basta ! ».

S’il n’a pas varié dans ses idéaux de jeunesse, dans ses goûts profonds – notamment celui d’une avant-garde incarnée par des compositeurs comme Boulez, Nono ou Stockhausen – si l’engagement physique apparaît, plus de cinquante ans après le début de sa carrière, toujours aussi considérable, son style aura largement évolué. Les années 70 sont marquées par un jeu limpide et puissant, une technique d’acier, un sens de l’architecture souverain. Son approche du piano se renouvelle au début des années 2000 grâce à une rondeur du son et une richesse de timbres inédites, plus de liberté aussi sans doute – et toujours l’autorité douloureuse d’un pianiste « total ».

— Pollini - Chopin - Prelude op.28 no.24 (Live 2002)

L’artiste n’est pas un adepte de l’introspection. Il ne regarde jamais derrière lui, il va de l’avant, et compte bien jouer jusqu’à son dernier souffle – il s’astreint à la même discipline de fer qu’à ses débuts. Une fuite éperdue contre le temps qui passe. Ce sentiment d’urgence et cette tension qui jamais ne se relâche marquent chaque concert de celui qui, au piano, semble en permanence jouer sa vie.

 

Bertrand Boissard

Bertrand Boissard écrit depuis 2010 pour le magazine Diapason. Il est un intervenant régulier de la Tribune des critiques de disques (France Musique).