Philharmonie de Paris - Page d'accueil

Les hits de Kurt Weill (1)

Publié le 17 février 2020 — par Pascal Rozat

— Mackie Messer - Kurt Weill - © DR

« Moritat », « Complainte de Mackie », « Mac the Knife », « Mac Tonight »  : depuis sa création en 1928, le song emblématique du tandem Brecht/Weill a fait l’objet d’innombrables adaptations. 

Ouvrant L’Opéra de quat’sous, la « Complainte de Mackie-le-Surineur » assoit d’emblée le ton grinçant propre à l’œuvre, contant sur une mélodie lancinante inspirée du style des chanteurs de rue les exploits du personnage principal, assassin, violeur et pyromane.

Si le song de Brecht/Weill fait un tabac dès 1928 en Allemagne, puis en 1930-31 grâce au film de Pabst, il faut attendre plus d’un quart de siècle pour que la chanson rencontre le succès aux États-Unis, dans une traduction anglaise écourtée et passablement édulcorée. C'est Louis Armstrong qui, en 1955, a le premier l’idée géniale de transformer la fameuse « Moritat » en un thème-riff swinguant et primesautier, au succès immédiat.

Bobby Darin hisse la chanson au sommet des charts en 1959, introduisant le principe des modulations en fin de couplet, bientôt repris par Ella Fitzgerald dans la relecture légendaire qu’elle livre l’année suivante au public berlinois. Prise d’un trou de mémoire à la fin de la troisième strophe, la « First Lady of Song » ne se démonte pas et improvise trois minutes durant des paroles de son cru, avec un naturel confondant.

 

Par comparaison, la version gravée par Anita O'Day en 1959 fait figure d'OVNI, avec sa classe tout en retenue sur les arrangements cool de Jimmy Giuffre.

En 1984, Frank Sinatra grave sur son ultime album une synthèse un peu attendue, mais néanmoins efficace des trois versions canoniques d'Armstrong, Darin et Ella.

À ce stade, la chanson a définitivement perdu tout potentiel subversif, au point d’être utilisée en 1989 dans une publicité McDonald’s, où « Mack the Knife » se transforme en « Mac Tonight » !

Si le thème a suscité un moindre intérêt de la part des instrumentistes, on peut le comprendre : il faut vraiment le génie mélodique d'un Sonny Rollins, le bouillonnement créatif d’un jeune Wayne Shorter ou la verve naturelle d'un Erroll Garner pour donner un développement improvisé digne de ce nom à ces seize petites mesures, aux harmonies somme toute assez basiques.

 

 

Pour pimenter la chose, André Previn et Jay Jay Johnson introduisent dans l’exposé de facétieuses dissonances polytonales, le trio Kühn/Jenny-Clarke/Humair optant de son côté pour une déconstruction tout à la fois sauvage et lyrique.

 

 

Pascal Rozat

Journaliste à Jazz Magazine, Pascal Rozat développe également des activités de programmateur ainsi que de producteur sur France Musique.

Photo © Jean-Baptiste Millot