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Dialogue autour de superposition de Ryoji Ikeda

Publié le 10 novembre 2022 — par Vincent Théval

— superposition, Ryoji Ikeda - © Kazuo Fukunaga / courtesy of Kyoto Experiment

Avec superposition, Ryoji Ikeda articule création informatique et performance artistique. Sur scène, deux artistes font exister en direct des rythmes et des phrases par l'intermédiaire d'ordinateurs. Entretien avec Stéphane Garin, un des performeurs de cette pièce unique.

— superposition, Ryoji Ikeda

 

Quand il crée superposition en 2012, Ryoji Ikeda est déjà établi comme une figure majeure des arts visuels et des musiques électroniques. Spectaculaire et singulière, la pièce est inspirée par les notions mathématiques de la mécanique quantique. Ryoji Ikeda y explore la façon dont nous comprenons la réalité de la nature à l’échelle de l’atome. Après avoir exploré pendant une dizaine d’années l’esthétique des mathématiques au travers du concept de continuum, il se penche ici sur la notion de quantum bit, une mesure informatique qui présente au mieux le « principe de superposition ». Ce principe démontre qu’une particule atomique peut exister simultanément dans une multitude d’états probables et incertains, et que différentes configurations du monde peuvent ainsi se superposer.

Mais la pièce est aussi singulière parce qu’il s’agit de la première grande œuvre au plateau de Ryoji Ikeda, avec des interprètes et performeurs sur scène, en l’espèce les percussionnistes Stéphane Garin et Amélie Grould, présents depuis la genèse de superposition et sa création, le 14 novembre 2012 au Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Stéphane Garin, grand connaisseur de l’œuvre de l’artiste japonais et par ailleurs fondateur de l’Ensemble 0, est le premier performeur choisi alors par Ryoji Ikeda.


Comment avez-vous travaillé avec Ryoji Ikeda à l’élaboration de la pièce ?

Stéphane Garin : La méthodologie et le concept étaient déjà précisément définis par Ryoji Ikeda quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois, dans le studio de travail qu’il avait alors à Barbès. Il avait déjà les dessins du plateau, connaissait le positionnement et le rôle de chacun, savait de quels instruments il voulait que nous jouions, notamment le télégraphe : le classique, tel qu’on le connaît, et le moderne, avec un jeu rapide latéral. Il avait aussi dans l’idée de construire des diapasons, qui s’inscrivent bien dans sa musique, faite de basses, de glitch et de sinus, et qui sont aussi un clin d’œil à la musique classique acoustique. Il les a fait construire au Japon, à des fréquences préétablies. En revanche, la partie « performance » centrale, avec la manipulation d’objets et de caméras, était moins définie.

Une partie de ce que le public voit sur les écrans vient directement de votre jeu. En quoi cela consiste-t-il ?

S. G. : C’est l’idée du typing – écrire des textes sur un clavier d’ordinateur – que Ryoji Ikeda avait en tête dès le début. Il avait noté et accumulé une cinquantaine de citations de philosophes mathématiciens, spécialistes en mathématique quantique, qui le fascinaient – au même titre que le fascinaient, visuellement, les partitions de Iannis Xenakis et de Cornelius Cardew. La première étape a été d’utiliser le morse, avec le télégraphe : il s’agissait de créer des rythmes et d’écrire ces phrases, qui devenaient de la matière musicale. Ces quelque cinquante phrases ont donc été traduites en points et en traits. Avec Amélie Grould, nous avons défini une écriture musicale, que Ryoji Ikeda a validée, et que nous avons ensuite transposée pour le moderne. Le télégraphe classique est assez lent et il y a une vraie corrélation entre ce que nous jouons et ce que le public peut voir sur les écrans : des points et des traits qui finissent par se transformer en lettres. On voit la fabrication du texte via l’utilisation du morse. Pour la partie moderne, qui va très vite, l’ordinateur va gérer les impulsions et générer le texte. Puis ces textes sont repris dans une partie plus technoïde, sur deux lignes assez caractéristiques du travail de Ryoji Ikeda. Pour la partie des diapasons, qui est improvisée, ce sont des micro contacts : posés sur la table, ils génèrent une onde sinusoïdale que l’on voit au plateau. Notre jeu est à la fois écouté et vu.

Comment votre travail sur la musique s’est-il articulé avec les autres pans de cette pièce multimédia ?

S. G. : Les équipes japonaises travaillaient de leur côté aux autres aspects de l’œuvre – essentiellement à la programmation des visuels, en lien avec la matière sonore composée par Ryoji Ikeda – sans que nous soyons en collaboration directe avec elles. Ryoji prenait grand soin de nous et souhaitait que nous soyons entièrement à notre tâche. C’est au plateau que nous découvrions les différents essais visuels et sonores.

— superposition, Ryoji Ikeda - © Kazuo Fukunaga / courtesy of Kyoto Experiment

 

Comment se présente votre rôle de performeur ?

S. G. : Dans la partie centrale, nos actions sont vues à l’écran, via plusieurs caméras : nous manipulons des cartes, sur lesquelles nous traçons des points et des lignes ; nous jouons aussi avec de vieilles pellicules, que nous étirons. C’est une partie où nous sommes laissés assez libres de nos gestes, dans un cadre temporel très défini : nous travaillons sans chronomètre mais respectons un timing donné. Physiquement, la pièce et Ryoji Ikeda demandent une grande neutralité : je n’ai pas de regard vers le public ni vers les écrans qui m’entourent. Mon attitude physique est la plus sobre et la moins expressive possible.

Comment définiriez-vous la singularité de superposition ?

S. G. : Artistiquement, je n’ai pas eu d’autre occasion dans ma vie de croiser une telle aventure. Cette pièce, que nous avons jouée une cinquantaine de fois dans le monde entier, est très singulière et artistiquement impressionnante. Et c’est un moment de transition important dans l’œuvre de Ryoji Ikeda, entre les travaux visuels et électroniques qui l’ont fait connaître, où il se basait uniquement sur l’utilisation d’ordinateurs, et un travail où s’engage une collaboration avec des interprètes faillibles pour jouer sa musique. superposition est une œuvre très spécifique et compliquée aujourd’hui à rejouer, parce que les ordinateurs et les systèmes informatiques sous lesquels elle a été composée tendent à devenir obsolètes. C’est une pièce difficile à transmettre, contrairement au répertoire acoustique que Ryoji Ikeda développe depuis.

superposition existe sous d’autres formes que la performance scénique. En quoi consistent-elles ?

S. G. : Il en existe une version sous forme de rencontre, que Ryoji Ikeda a proposée – à ma connaissance – seulement à deux reprises. Il y a également un support discographique, avec un livret qui reproduit les plans de scène que j’avais vus lors de notre première rencontre mais aussi les différentes données techniques du projet. superposition existe aussi sous la forme d’une installation, appelée supersymmetry, où tous les éléments visuels du début de la pièce sont là, diffractés sur une série d’écrans. On y voit également deux grandes tables vitrées, où sont disposées des billes. En s’inclinant légèrement, de façon automatisée, ces tables créent des mouvements de billes très délicats, soulignés par des jeux de lumière intégrés au dispositif. Il y a un jeu sur le noir et le blanc qui est caractéristique du travail minimaliste et précis de Ryoji Ikeda, centré sur un matériau toujours restreint.

Propos recueillis par Vincent Théval

Vincent Théval

Pendant vingt ans, Vincent Théval a essentiellement travaillé dans le champ des musiques contemporaines : après avoir longtemps œuvré sur France Musique, avec notamment l’émission Label Pop, il est toujours chroniqueur sur RFI. Co-auteur du Nouveau Dictionnaire du Rock (Éditions Robert Laffont, 2014), il a été rédacteur en chef de la revue Magic. Il exerce aujourd’hui dans le domaine du spectacle vivant et collabore, comme auteur, avec le Festival d’Automne à Paris, le Théâtre National de Chaillot, le CENTQUATRE-PARIS, la Soufflerie à Rezé, Angers Nantes Opéra ou le Centre Chorégraphique National de Caen.