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Exposition Les Musiques de Picasso : entretien avec Bernard Ruiz-Picasso et Cécile Godefroy

Publié le 17 septembre 2020 — par Le Magazine

— Exposition Les musiques de Picasso : entretien avec Bernard Ruiz-Picasso et Cécile Godefroy

Cette exposition et sa trame montrent que Picasso est bien sûr très connu pour avoir peint et dépeint ses compagnes, mais souvent, son œuvre est accompagnée de ses éléments musicaux, de ses instruments, et c'est fascinant de voir que de sa jeunesse en Espagne jusqu'à la fin de sa vie, la musique est présente dans son œuvre.  Ce sont des musiques populaires que Picasso écoutait essentiellement.  Il ne recherchait pas nécessairement la présence de la musique, comme ont pu le faire d'autres artistes plasticiens comme Henri Matisse, Marc Chagall ou même Georges Braque.  Donc, le rapport à la musique, pour Picasso, semblait plus spontané, et lié à son environnement immédiat. Depuis l’Espagne, depuis Malaga, une ville où la musique s’écoutait partout dans les foyers, sur le front de mer, à l'occasion de fêtes, à l'occasion des corridas... Et bien sûr, la musique s'écoutait dans les quartiers gitans.  Le flamenco. Le canter kondo que Picasso appréciait beaucoup. 

Le processus créatif, je pense, impose aux artistes d'avoir des émotions, et ces émotions sont souvent transmises, non seulement par des personnes, mais par ce que font ces personnes.  Donc, j’imagine que Picasso a eu beaucoup d’intérêt à découvrir ce domaine créatif qui n'est pas aussi évident pour un peintre, pour un plasticien, mais en fait, il y a beaucoup de similitudes dans la couleur, le ton, le mouvement, et dans cette émotion.  Picasso a été amené à fréquenter autant d'artistes peintres que d'artistes musiciens.  On peut notamment penser à toute la période vécue à Barcelone, où il fréquentait donc les café-concert, les cabarets artistiques, et notamment le café Els Quatre Gants, inspiré directement du Chat noir parisien, où se rencontrait toute l'intelligentsia de la ville, composée de poètes, de peintres, de musiciens et de chanteurs.  Satie, Manuel De Falla par la suite, Stravinsky évidemment et tous les gens qui évoluaient autour de cette créativité de la Ville lumière de Paris, qui était dans un bouillonnement culturel sans précédent.  Il connaissait ces musiciens, mais surtout, il a fait ce choix délibéré de se démarquer d'autres artistes beaucoup plus radicaux dans le mouvement qu'il avait fondé, le cubisme, pour s’intéresser à des formes d'art totalement nouvelles ou en tout cas mises ensemble de façon différente, telles que le ballet, la danse, et avec grande créativité.  Picasso a finalement toujours aimé les sujets qui s'incarnent. Et la manière dont finalement, il s'approprie la musique est intéressante puisque le 20e siècle est le moment où beaucoup d’artistes, qui sont notamment passés par le cubisme, choisissent la musique comme exemple pour justement s'orienter vers l’abstraction, pour s'éloigner du sujet.  Eh bien, Picasso, lui, au contraire, va s’intéresser à la matérialité de la musique, la manière dont elle s'incarne, en un personnage, donc un musicien, un chanteur, une danseuse, mais aussi en un instrument de musique.  Et donc Picasso veut représenter la musique telle qu'il la voit.  C'est cela qui l’intéresse, et non pas l'immatérialité de la musique, comme le font d'autres très grands artistes au même moment, comme Kandinsky, Kupka, Robert Delaunay ou Paul Klee. 

Je pense que l'héritage chez les artistes reste assez profond parce qu'on ne peut pas faire abstraction de cette partie de création plastique musicale au 20e siècle.  Je pense que le 21e siècle, d'ailleurs, associe beaucoup les genres, les modes... D'ailleurs, cette exposition révèle bien cette dynamique, qui rompt certaines barrières ou certaines limites.  On pourrait presque considérer cette exposition comme une rétrospective en elle-même puisque nous couvrons toutes les époques et pratiquement tous les supports explorés par Picasso.  Et puis, nous avons la chance de montrer les instruments de Picasso, 22 instruments réunis pour la première fois ici.  Nous avons pu nous appuyer sur l'expertise de musicologues, de spécialistes en organologie, qui ont pu donc accueillir et étudier les instruments de musique détenus par Picasso.  Les nombreuses œuvres de cette exposition proviennent majoritairement du Musée National Picasso-Paris.  J'ai eu la chance d’avoir tous ces instruments qui sont fascinants et qui n'avaient pas encore retrouvé vie.  Georges Braque a souligné combien les instruments s'animent et vibrent quand on les touche.  Et je crois que c'est justement cette dimension sonore presque magique de l'instrument qui a fasciné Braque et Picasso pendant toutes ces années où l'instrument est devenu un objet, un sujet d’étude à part entière, dans le laboratoire cubiste. 

Nous avons donc choisi de mettre en parallèle les instruments de Picasso qu'il avait dans son atelier et des œuvres qu'il "fabrique" au même moment.  Le parcours a été conçu comme une déambulation, des premières années de Picasso vécues en Espagne jusqu’aux toutes dernières années passées à Mougins, dans le sud de la France. La scénographie a été conçue par Jasmin Oezcebi, comme une partition de musique, qui permet vraiment aux visiteurs de circuler d’époque en époque, mais aussi qui permet de s'ouvrir.  On voit très bien qu'aucune période n'est refermée sur elle-même.  Elles s'ouvrent, il y a des interpénétrations.  Cette exposition offre non seulement un parcours d’œuvres, mais aussi tout un parcours sonore.  Les musiques de Picasso sont essentiellement populaires.  Ce sont des musiques de rue, de fanfare, de corrida, de cirque, de cinéma, qui s'écoutent, mais sans nécessairement être assis dans un fauteuil d'orchestre. Ce sont des musiques qui se vivent et qui se partagent.  Nous avons fait une sélection qui rend compte, je crois, de l'environnement musical auquel Picasso avait accès au travers de ses amitiés lorsque Picasso arrive à Paris et découvre toutes les atmosphères de cabaret, de café-concert, de music-hall.  Et puis, il y a toute la période des ballets.  Satie, Stravinsky et son Ragtime, Manuel de Falla.  Mais aussi le groupe des Six.  Ce sont des musiques très liées à la vie de Picasso, qu’il n'écoutait à nouveau pas dans son atelier, mais qui l'environnaient. 

Entouré de musiciens et de compositeurs, de chanteurs et de poètes, Pablo Picasso s’est intéressé à la manière dont la musique s’incarnait et l’a représentée telle qu’il la voyait. Bernard Ruiz-Picasso, petit-fils du peintre, et Cécile Godefroy, commissaire de l’exposition, évoquent cet imaginaire musical qui compose le corpus picassien.

Des premières scènes de vie gitane aux joueurs de flûte des années 1970, en passant par les guitares cubistes, les collaborations avec les Ballets russes ou les bacchanales animant un nombre infini de toiles, dessins, céramiques et sculptures : l’œuvre de Picasso est traversée par la musique, le son, le chant, la poésie.

Soulignant l’attachement de l’artiste pour les musiques populaires, leur dimension rituelle et l’ambiance sonore des spectacles auxquels il aime assister, l’exposition retrace également les nombreuses amitiés et les collaborations nouées avec d’illustres musiciens, tels Satie, Stravinski, Falla ou Milhaud.

Organisée en partenariat avec le Musée national Picasso-Paris, cette exposition réunit près de deux cents œuvres provenant de collections publiques et privées. Riche de costumes et d’accessoires témoignant de l’immersion de Picasso dans l’univers de la scène, elle présente aussi une vingtaine d’instruments de musique.