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Semyon Bychkov, la symphonie des retrouvailles

Publié le 20 septembre 2021 — par Vincent Agrech

— Semyon Bychkov - © M.Borggreve

Directeur musical de l’Orchestre de Paris de 1989 à 1998, Semyon Bychkov n’y était encore jamais revenu diriger un concert. Ce sera chose faite les 22, 23 et 24 septembre avec la Symphonie n°  2 « Résurrection »  de Gustav Mahler.

 

Geste métaphysique

« Il y a eu de nombreuses demandes de la part des directions successives de l’Orchestre de Paris », confie l’actuel patron de la Philharmonie tchèque. « Mais j’ai ressenti cette fois une chaleur, un enthousiasme particulier quand m’a rendu visite, chez moi sur la côte basque, Édouard Fouré Caul-Futy, porteur du message des musiciens. » Le délégué artistique de l’orchestre se souvient d’un voyage en train de plus de dix heures en pleine tempête, qui retarda le simple déjeuner prévu pour le transformer en longue soirée propice à l’échange. Les éléments sont souvent amis des muses…

Passant en revue les possibilités de programme, le chef arrête vite son choix. Dans l’intégrale des symphonies de Mahler montée par la Philharmonie, dont l’Orchestre de Paris est l’une des chevilles ouvrières, il dirigera la N° 2 « Résurrection ». Celle-là même avec laquelle il avait ouvert son premier mandat parisien, en 1989, et aussi celle de son dernier programme, en 1998. Celle, surtout, qui est comme un fil d’Ariane dans l’itinéraire de toute une vie.

Né à Saint-Pétersbourg dans une famille de scientifiques et d’artistes qui souffrit à la fois de la répression et de l’antisémitisme du régime soviétique, Semyon Bychkov se souvient comme si c’était hier de la première fois où il a entendu des notes de Mahler résonner dans les murs de l’Académie Glinka. « Je devais avoir 12 ou 13 ans. Je ne savais pas quelle était cette musique, et l’on m’a dit qu’il s’agissait du final de la Symphonie n° 3. Un monde s’ouvrait. J’ai plongé dans les Deuxième et Cinquième, puis dans toute cette geste orchestrale et métaphysique pour n’en plus jamais sortir. »

 

Rapport à la finitude

C’est en 1981, à Grand Rapids où il obtient son premier poste de directeur musical, six ans après avoir réussi à quitter l’URSS, que Bychkov dirige enfin la Résurrection. Outre l’Orchestre de Paris, il y conduira les plus prestigieuses phalanges, dont le Philharmonique de Berlin, le London Symphony Orchestra, la WDR de Cologne, et tout récemment sa Philharmonie tchèque.

« Le piège de la Symphonie n° 2, c’est son côté “hit your face” : elle vous frappe d’une manière si directe et immédiate qu’il faut prendre le temps d’aller au-delà de ce choc initial. »

« Quatre décennies à vivre avec cette partition, et au fil de l’âge, j’y trouve de moins en moins de réponses et de plus en plus de questions », observe-t- il. « Ce sont des questions intemporelles et qui se posent à tout un chacun. Elles semblent absolument élémentaires, touchant à notre rapport à la finitude et au sens de notre présence en ce monde. Mais l’écriture musicale opère des mises en abyme infinies, que pourrait dissimuler la monumentalité de l’ensemble. Le piège de la Symphonie n° 2, c’est son côté “hit your face” : elle vous frappe d’une manière si directe et immédiate qu’il faut prendre le temps d’aller au-delà de ce choc initial. Pour un chef débutant, c’est un peu comme apprendre à courir un marathon quand on est taillé pour le sprint. La première fois, on croit mourir au dixième kilomètre, puis on apprend patiemment à se construire dans l’endurance. Le plus long, pour moi, a été d’y trouver les variations de tempo imperceptibles, organiques, sans lesquelles on risque de passer à côté de ce temps mahlérien fait de suspensions autant que de précipités, qui jamais ne doit sembler démonstratif. »

Et le retour auprès de l’Orchestre de Paris, dans une œuvre liée à des souvenirs encore très vivants, sera-t-il l’occasion de reprendre des réflexes et un dialogue musical interrompu ? Semyon Bychkov sait qu’en presque un quart de siècle, les effectifs se sont profondément renouvelés. « J’attends naturellement avec joie de retrouver l’énorme talent dont ont toujours fait preuve les artistes de l’orchestre. Et je suis particulièrement curieux de découvrir ce que la nouvelle génération a apporté. On dit tout le temps que l’avenir appartient aux jeunes ; mais le présent aussi ! »

 

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Vincent Agrech
Vincent Agrech est journaliste (rédacteur associé du mensuel Diapason, rédacteur en chef de Notations, le magazine de l'Orchestre de Paris), essayiste (plusieurs ouvrages parus chez Stock et Humensis), conseiller du Théâtre du Château de Drottningholm (Suède) et producteur.