Gautier Capuçon / Yuja Wang
Program
La Sonate pour violon et piano fait partie, avec la Symphonie en ré mineur et Prélude, Choral et Fugue pour piano, des œuvres les plus connues de Franck ; elle illustre avec panache sa musique de chambre en poursuivant le chemin abordé avec le Quintette pour piano et cordes de 1879, avant l’ultime Quatuor à cordes de 1890. L’amour que portait le grand violoniste et compositeur Eugène Ysaÿe, dédicataire de l’œuvre, à cette partition, n’est pas pour rien dans le succès qu’elle rencontra très vite. En effet, ce dernier, l’ayant reçue comme cadeau de mariage en 1886, ne cessa pas par la suite de l’interpréter. Cela valut à cette Sonate pour violon et piano une multitude de transcriptions : pour flûte, pour alto, pour tuba même, mais aussi pour violoncelle, et ce, dès avant la mort de Franck. L’arrangement du fameux violoncelliste Jules Delsart (qui fut suivi par bien d’autres pour le même instrument) reçut ainsi l’approbation du compositeur. Il donne à la Sonate une tonalité plus chaude encore et accentue ses contrastes par l’éventail des registres possibles.
Le début de la sonate néglige le traditionnel tempo allegro pour un Allegretto ben moderato tout de douceur : texture aérée, balancements du violoncelle, soutien discret du piano et intervalle fondateur de tierce. Ces éléments et leurs variantes (voyez la belle reprise lors de la réexposition, avec de délicats accords de piano parcourant le clavier) forment la plupart du matériau du mouvement, complétés d’un second thème en courbes déclives présenté par le piano seul.
Le thème principal de l’Allegro suivant émerge peu à peu des grondements de piano, donné par les doigts intérieurs de la main droite. Cette torrentueuse virtuosité disparaît au détour d’une page pour une poignante mélancolie (pédale de fa, accords de piano quasi lento…), mais c’est pour mieux refaire surface, jusqu’à une coda électrique où les deux instruments se surpassent véritablement. Le ben moderato qui suit porte bien son nom : Recitativo-Fantasia. Il retravaille des éléments motiviques déjà entendus dans une profonde émotion et une grande liberté, les complétant d’un très beau thème dramatico, ouvert sur une chute de sixte, que le finale nous donnera par deux fois à réentendre. Très imitatif, ce dernier Allegretto, fondé sur un refrain sans cesse transposé (la majeur, do dièse majeur, mi majeur, si bémol mineur…), présente un visage doucement souriant, dont l’apparente simplicité est rehaussée de cheminements harmoniques délicats où l’on reconnaît la patte de Franck.
Angèle Leroy