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L’attrait de Johannes Brahms envers la musique hongroise remonte à sa rencontre avec le violoniste Eduard Reményi, aux côtés duquel il improvise dans le goût populaire ; par la suite, il assistera maintes fois aux concerts d’orchestres tziganes itinérants. Entre 1853 et 1868, Brahms revisite pour piano à quatre mains dix danses hongroises. Leur succès est tel que son éditeur, Simrock, lui commande trois orchestrations (en 1873) et l’incite à livrer un second cycle : les Danses hongroises n° 11 à 21 complèteront le florilège en 1880.
Ces vingt et une danses se situent à mi-chemin entre la composition et l’adaptation de mélodies préexistantes. Certaines proviennent du répertoire tzigane quand d’autres – souvent indiscernables des premières – sont du propre cru de Brahms. L’insertion dans le domaine de la musique écrite, comme plus tard l’orchestration, constituent des actes compositionnels à part entière. L’habillage symphonique magnifie les mélodies et accroît leurs contrastes internes.
Parmi les plus célèbres, les Danses n° 1 et 5 opposent des sections implacables, déroulées dans le grave des violons, aux facéties démonstratives des vents. Car Brahms, suivant en cela la tradition des czardas hongroises, fait du contraste l’élément fondamental de ses danses. Il réunit sans transition des atmosphères inconciliables, oscille entre mode mineur et mode majeur, surprend son auditoire par de brusques changements de tempos ou par des accents intempestifs. Ainsi, le ton larmoyant initié par la Danse n° 17 ne laissait guère présager un dénouement festif, tout comme le badinage insouciant du hautbois, dans la Danse n° 3, ne semblait préfigurer un tutti grandiose. Ces surprises sans cesse renouvelées prennent à l’orchestre une ampleur considérable. Autant que Brahms, les orchestrateurs Schmeling et Dvořák reproduisent les sonorités populaires via l’alchimie symphonique. Leurs adaptations offrent de sémillantes caricatures, telles les cordes un rien maniérées de la Danse n° 6 ou la clarinette décontractée de la Danse n° 7. Parfois, l’orchestre prend même l’allure d’un gigantesque instrument à percussions, où contretemps déstabilisants et impacts vigoureux entraînent d’euphoriques apothéoses. Ne serait-ce pas là la transposition au concert d’une exaltante soirée tzigane ?
Louise Boisselier
Les années 1890 consacrent Antonín Dvořák comme l’un des musiciens les plus en vue de son époque. Réclamé sur chaque rive de l’Atlantique, il entreprend une tournée qui le mène de sa Bohême natale à sa prochaine terre de résidence, les États-Unis. Ces pérégrinations s’effectuent en compagnie du violoniste Ferdinand Lachner et du violoncelliste Hanuš Wihan. Pour chacun d’eux, il conçoit de petits bis en duo, dans lesquels il assure l’accompagnement pianistique. Les derniers jours de l’année 1891 voient ainsi la naissance du Rondo en sol mineur op. 94, et l’arrangement pour violoncelle et piano de Waldesruhe op. 68, deux pièces orchestrées en 1893.
La partition originelle de Waldesruhe [Forêt silencieuse] précède la version présente de près d’une décennie. En 1883, Dvořák vient d’acquérir un domaine à la campagne ; le calme de son nouvel environnement imprègne Waldesruhe, surtout lorsque le violoncelle s’empare d’une ligne hypnotique, discrètement syncopée. La volupté du chant se trouble un instant quand le tempo s’anime, que les vents s’imposent et que les harmonies s’assombrissent. Une brève tension qui, dissipée par le retour du premier thème, se verra résolue par une réminiscence ultime, apaisée, au cor.
Louise Boisselier
Écrit directement pour le violoncelle, le Rondo sublime son potentiel expressif. Souvent lyrique, parfois virtuose, l’instrument est avant tout le débiteur d’un refrain caractéristique, où l’articulation insiste sur la dominante ré. Le rythme en levée et la carrure rigoureuse indiquent un esprit populaire qui trouve son pendant dans la danse hardie sise au cœur de la composition. Autre couplet, une mélodie printanière interrompt à deux reprises l’énergie du refrain. Comme Waldesruhe, le Rondo ne constitue pas un bis acrobatique mais plutôt une miniature concertante où la cohésion expressive tient lieu de finalité.
Louise Boisselier
Première œuvre composée par Dvořák sur le sol américain, début 1893, la Neuvième Symphonie ne reçut son célèbre sous-titre qu’à la dernière minute. Américaine ou tchèque ? Dvořák sema lui-même la controverse, confiant « Ceux qui ont le nez sensible y décèleront l’influence de l’Amérique », avant de préciser que les allégations selon lesquelles il aurait employé des mélodies indiennes ou américaines n’étaient que « mensonges » et « absurdités ».
Suivant l’exemple de son mentor Brahms, Dvořák tisse un réseau de correspondances dans la profusion de ses thèmes. La sonnerie de cor, thème principal de l’Allegro molto, intervient comme un coup de semonce dans les trois mouvements suivants. La parenté entre le motif de flûtes en sol mineur du premier mouvement, la célébrissime mélodie de cor anglais du second et le thème du trio du Scherzo est évidente. Quant au trépidant finale, il reprend magistralement le matériau des trois volets précédents, en une splendide apothéose.
Les deux mouvements centraux font écho à la commande, par Jeannette Thurber, d’un opéra sur le poème d’Henry Longfellow Le Chant de Hiawatha. Dvořák déclina l’offre mais promit d’illustrer le texte dans sa symphonie : le Largo évoque l’ensevelissement de Minnehaha, l’épouse du héros, et le Scherzo la danse de Pau-Puk-Keewis lors des noces.
La présentation au public du Carnegie Hall de New York, le 16 décembre 1893 pour la répétition générale et le lendemain pour la création officielle, fut un triomphe. Chaque mouvement fut salué par un tonnerre d’applaudissements, auquel le compositeur devait répondre en saluant de sa loge « comme s’il était un roi ! », ainsi qu’il le rapporta à son éditeur Simrock.
Claire Delamarche
Exploring new worlds… Ever in search of new horizons, Claire Gibault leads the Paris Mozart Orchestra in journeys to distant lands, such as Mitteleuropa with Brahms at North America with Dvorák.