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The Saint, le Vatican du disco

Publié le 10 March 2025 — par Patrick Thévenin

— Dupont’s Party (1977) - © Meryl Meisler

Discothèque surdimensionnée, aux soundsystems et effets de lumière sans pareils, le club gay The Saint fut un des derniers temples du disco où résonnait la Hi-NRG, dernier avatar machinique et sexuel du disco. Plongée sous le fameux dôme entré dans la légende.

Par sa démesure, The Saint fut la discothèque gay emblématique de la fin du disco et du début de l’épidémie de sida. Ouverte en septembre 1980 par Bruce Mailman, entrepreneur gay à la tête des New St. Marks Baths (1979-1985), un des plus grands et réputés saunas new-yorkais, The Saint est un succès avant même son ouverture, avec plus de 2 500 cartes de membre vendues (entre 150 et 250 dollars, une somme conséquente pour l’époque). Il faut dire que Bruce n’a pas fait les choses à moitié, investissant 4,5 millions de dollars (environ 17 millions actuels) dans la rénovation de l’ancienne et mythique salle de concerts rock du Fillmore East (où s’étaient produits des artistes aussi légendaires que Jimi Hendrix, The Doors ou The Who). Résolument futuriste, avec son dancefloor circulaire de 460 mètres carrés, sa capacité de quatre mille danseurs, son dôme en forme de planétarium doté de 500 haut-parleurs et 1 500 projecteurs qui rendaient l’expérience magique et immersive, son balcon conçu pour se relaxer (mais qui se transformera vite en espace sexuel), The Saint, surnommé « le Vatican du disco », va rapidement devenir le lieu gay le plus couru de New York. « Lors de son ouverture, tous les autres clubs ont été anéantis », se souvient Robbie Leslie, DJ au Saint. « La majeure partie des clubbers ont abandonné les discothèques où ils avaient leurs habitudes pour affluer vers The Saint, en moins de deux semaines. »1 

Avec ses soirées démesurées comme les Black et les White Parties, la discothèque attire les habitués des Pines de Fire Island et des clubs comme le Flamingo, le Tenth Floor ou le 12 West : The Saint va fidéliser une clientèle majoritairement blanche et homosexuelle, en opposition avec la mixité raciale et de genre du Paradise Garage, son principal concurrent. Ouvert les week-ends, majoritairement fréquenté par les clones, reconnaissables à leurs cheveux courts, leur moustache soigneusement taillée, leur musculature sculptée dans les salles de sport, leur Levis 501 délavé et leurs tee-shirts moulants, The Saint va aussi se démarquer par sa politique musicale et son large éventail de DJ. Une quinzaine d’entre eux, parmi lesquels Michael Fierman, Robbie Leslie ou Roy Thode, sont choisis en fonction des jours et des plages horaires. Une approche qui tranche clairement avec la politique du DJ résident star, et seul à l’œuvre, développée par David Mancuso au Loft, Nicky Siano à The Gallery, ou Larry Levan au Paradise Garage. Dès l’ouverture à 23 heures, les premiers clients ont ainsi droit à une heure de musique classique, entrecoupée de ballades, avant que le rythme ne s’accélère progressivement, avec une sélection de Hi-NRG et de tubes sous haute tension, pour redescendre progressivement vers 6 heures du matin, avec ce que l’on nomme « morning music » ou « sleaze music ». Une sélection disco et soul, ponctuée de new wave et de rock, relaxante et orchestrée, conçue pour accompagner la descente des clubbers après toute l’énergie dépensée sur le dancefloor. 

— Mix de la dernière fête au Saint (1988)

L’apogée de The Saint va être de courte durée. En 1981, le New York Times se fait l’écho d’une épidémie de sarcomes de Kaposi chez une quinzaine d’homosexuels, signant les débuts de ce qu’on appellera au départ « le cancer gay » puis « The Saint’ disease » (la maladie de The Saint). Le club gigantesque ne résistera pas à la vague de panique qui va saisir la communauté gay, comme le rappelle l’écrivain Andrew Holleran, dont le roman, Dancer from the Dance (1978), plonge dans les frasques des grandes années du disco : « J’étais convaincu qu’on pouvait attraper le sida en buvant à la fontaine à eau de The Saint ou en touchant un mec en sueur sur la piste de danse. »2 The Saint, engagé très tôt dans la lutte contre le VIH et la promotion du safe sex, montré du doigt par le retour de moralisme de l’ère reaganienne, est touché de plein fouet par l’hécatombe causée par le sida qui voit les principaux acteurs de la scène disco – des producteurs aux DJ, des promoteurs aux clubbers – tomber comme des mouches. Le lieu ferme ses portes en mai 1988, lors d’une dernière soirée mémorable, dont l’énergie contraste avec l’atmosphère de deuil de l’époque, laissant un immense vide dans le clubbing. Comme le rappelle le DJ Ian Levine du Heaven de Londres, pour qui le club fut une immense source d’inspiration : « Les souvenirs de The Saint ont balayé tout le reste. Il n’y a jamais eu d’équivalent à The Saint, il n’y en aura jamais plus. C’est une période unique dans l’histoire de la musique disco. »3


Catalogue de l’exposition :

Disco, I’m coming out, sous la direction de Patrick Thévenin, Paris, Éditions de la Philharmonie/Éditions de La Martinière, 2025.

Commander le catalogue

  • 1

    Robbie Leslie, cité dans Barry Walters, « Nightclubbing: New York City’s The Saint », redbullmusicacademy.com, 22 juillet 2015.

  • 2

    Andrew Holleran, Dancer from the Dance, New York, William Morrow & Co., 1978, cité dans Barry Walters, op. cit.

  • 3

     « Interview: Ian Levine, Northern Soul Legend », par Bill Brewster, 1999, DJ History archives, Red Bull Music Academy.

La Philharmonie de Paris met à l’honneur le disco, révolution culturelle qui a bouleversé la société et fait trembler les dancefloors du monde entier.

Patrick Thévenin

Journaliste, professeur et conférencier, Patrick Thévenin écrit sur la culture, qu’il s’agisse de musique, d’art contemporain, de mode ou de tendances sociétales. Il est conseiller scientifique de l’exposition « Disco, I’m Coming Out » (2025) à la Philharmonie de Paris.

Article extrait du catalogue de l’exposition Disco, I’m coming out, Éditions de la Philharmonie/Éditions de La Martinière, 2025.