Orchestre de Paris/Alain Altinoglu
Program
En 1936, deux compositeurs révolutionnent l’écriture pour la flûte : André Jolivet, avec ses Cinq Incantations, et son professeur Edgard Varèse, auteur de Density 21,5. Deux partitions pour instrument seul, sans soutien harmonique, dont la ligne mélodique tourne autour de notes pivots, exploite la répétition et la variation de brefs motifs. Mais Varèse utilise davantage d’intervalles disjoints, de sauts de registre et de contrastes de nuances subito. Il exclut la couleur pastorale, la référence à l’Antiquité et les mélismes orientalisants auxquelles la flûte est si souvent associée. Son titre rappelle que la pièce était commandée par Georges Barrère, qui venait d’acquérir une flûte en platine (métal dont la densité est de 21,5) : un titre « scientifique » comme les aime Varèse, qui tourne délibérément le dos à l’héritage romantique et aux évocations impressionnistes.
Il semble que Density 21,5 soit la première oeuvre pour flûte dont l’interprète doit faire entendre des bruits de clefs, afin d’ajouter un effet percussif à l’émission des notes. Repoussant les limites de l’instrument, Varèse s’attaque de surcroît aux racines même de son identité.
Hélène Cao
En 1927, Edgard Varèse devint citoyen américain. À cette date, il termina la révision d’Amériques, la première œuvre qu’il jugea digne de figurer à son catalogue. Non parce qu’elle rendait hommage au pays où il s’était installé douze ans plus tôt, mais parce qu’elle concrétisait son aspiration à une musique libérée des structures traditionnelles, refusant le clivage entre consonance et dissonance, entre son et bruit. L’orchestre, d’une ampleur considérable, accorde un rôle de premier plan aux vents et aux percussions. Les masses sonores varient en intensité et en densité, se heurtent de façon souvent très violente, renouvelant de la sorte la façon de conduire un discours musical. Dans une conférence prononcée en 1939, Varèse souligne que ses œuvres sont fondées sur « une idée, la base d’une structure interne, qui se développe et éclate en différents modules ou groupes de sons changeant sans cesse de force, de direction et de vitesse, attirés et repoussés par diverses forces ».
Amériques affirme une modernité en phase avec l’environnement urbain de l’homme du XXe siècle. Toutefois, elle ne vise pas à une transposition de la frénésie des mégapoles. Au lendemain de la création de la première version de l’œuvre, en 1926, Varèse affirma à un journaliste : « Cette composition est l’interprétation d’un état d’âme, une pièce de musique pure, absolument dissociée des bruits de la vie moderne que certains critiques ont voulu reconnaître dans ma composition. À tout prendre, le thème est une méditation, c’est l’impression d’un étranger qui s’interroge sur les possibilités extraordinaires de votre nouvelle civilisation ». D’ailleurs, les répétitions incantatoires de brèves formules mélodiques autour d’une note-pivot (la flûte au début) semblent réinventer un rituel primitif. Paradoxe de la modernité urbaine, qui renvoie à une musique originelle.
Hélène Cao
Conducted by Alain Altinoglu, the Orchestre de Paris performs two pieces by Edgar Varese: Density 21.5 and Amériques.
The famous piece for solo flute Density 21.5 takes the instrument to new heights, literally bursting through the limits in terms of manners of playing, articulation, and dynamics. The sense of hearing something never heard before is even stronger in Amériques, a paroxysmal piece in which Varèse unleashes, with percussions bared, maximum tension, the sirens, and all the fire of the orchestra.
Coproduction Philharmonie de Paris, Ircam-Centre Pompidou
Dans le cadre de Manifeste-2023, Festival de l'Ircam
Avec le soutien de la Villa San Francisco, de la French American Cultural Society, de la Fondation Royaumont et de la SACEM.