La série Les Clés du classique vous fait découvrir les grandes œuvres du répertoire musical.
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Les extraits du Concerto n° 5 sont interprétés par le London Symphony Orchestra et Beatrice Rana au piano, sous la direction de Gianandrea Noseda. Concert enregistré le 7 février 2022.
Retrouvez le concert sur Philharmonie à la demande.
Parmi les cinq concertos pour piano de Beethoven, on retient surtout l'« Empereur ». Par son seul titre, on est interpellé. Triomphant, martial et lyrique, il est le plus abouti des cinq.
Repartons un peu en arrière... Si Beethoven compose cinq concertos pour piano, c’est qu’il est lui-même pianiste. Avant d’être connu comme compositeur, il l’est surtout comme pianiste virtuose. Il écrit d’ailleurs ses premiers concertos dans l’idée de mettre en avant ses propres qualités. À chaque création, sans surprise, c’est lui qui se tient derrière le clavier.
Seule exception, il ne pourra exécuter son dernier concerto, l'« Empereur », en public. Sa surdité est de plus en plus prononcée et Beethoven ne supporterait pas de commettre des erreurs ou des fausses notes. C’est Friedrich Schneider qui assurera la création à Leipzig, puis Carl Czerny qui prendra le relais à Vienne. Mais Beethoven souhaite garder un regard sur sa musique : il écrit soigneusement ses propres cadences dans la partition au cas où d’autres pianistes s’aventureraient à imposer les leurs.
C’est sous les bombardements que naît l’ultime concerto pour piano de Beethoven. Au moment de sa composition, en 1809, Vienne est attaquée et occupée par les troupes napoléoniennes. Beethoven est témoin des terribles affrontements entre les Autrichiens et les Français. « Quelle vie épuisante et dévastatrice autour de moi, déplore-t-il, rien que tambours, canons, misères humaines de tout genre. »
Pour Beethoven, c’est la désillusion ; plus encore, il est en colère. Jadis, il croyait en Napoléon, il le voyait comme le héros libérateur de l’Europe, il avait même prévu de lui dédier sa Symphonie « Héroïque ». Mais maintenant, tout cela est oublié : depuis son couronnement en 1804, Beethoven voit Napoléon comme un usurpateur, un traître vis-à-vis des idéaux révolutionnaires. « Quel dommage que je ne sois pas aussi fort en stratégie qu’en musique : je le battrais ! », aurait soufflé Beethoven à son encontre.
Ce Concerto n° 5 est surnommé « Empereur » après la mort de Beethoven, sans doute par le compositeur et éditeur Johann Baptist Cramer, pour souligner la grandeur de l'œuvre. Aux yeux de Beethoven, il était le « Grand Concerto ». « L'Empereur » célébré dans le titre n'est donc évidemment pas Napoléon – on pourrait presque parler de concerto « anti-Empereur » !
La confusion viendrait d’un récit apocryphe selon lequel un officier français, séduit par le caractère héroïque du Concerto, se serait écrié lors de la première audition : « C’est l’Empereur ! »
Le Concerto est en réalité dédié à l’archiduc Rodolphe.
Dès le début, la musique adopte un ton guerrier, franc, affirmé. Le compositeur note lui-même une série de termes belliqueux dans les esquisses de la partition (« victoire », « combat », « attaque »...). Cet aspect brillant est renforcé par la tonalité de mi bémol majeur (celle de la Symphonie « Héroïque ») et par l’imposant premier mouvement, long d’une vingtaine de minutes, plus long que les deux autres réunis !
Beethoven avait déjà beaucoup innové dans son Concerto n° 4 – le pianiste intervient dès le début, seul, alors que d’habitude, son entrée est toujours préparée par une longue introduction orchestrale.
Ici, Beethoven va plus loin, l’entrée est des plus originales pour l’époque. Dès le début, le pianiste exécute un puissant et majestueux solo après trois imposants accords à l’orchestre. S’enchaîne un premier thème énoncé à l’orchestre sur un ton très martial et décidé.
Ce premier mouvement contraste avec l’Adagio un poco mosso qui suit. Moment méditatif, très doux, quasi spirituel. Toute rigueur, toute vigueur s’effacent, laissant place au calme et à la poésie. Le mouvement s’évanouit dans le silence, tandis qu’un nouveau thème est énoncé, sobrement, aussitôt repris de manière éclatante. C’est le thème du Rondo qui conclut l'œuvre avec témérité et entrain. Ici, c’est la virtuosité qui prime, au service de la joie et de l’exaltation.
Créé le 28 novembre 1811, le Concerto apparaît à bien des égards comme celui de l’accomplissement, même si le public de l’époque le juge un peu compliqué.
Après L’Empereur, Beethoven ébauche un sixième concerto, en ré majeur, mais l’œuvre demeure inachevée.