Bien que l’histoire l’ait présenté comme le deuxième, ce concerto est en réalité le premier mis en chantier par Beethoven, d’abord entre 1787 et 1789, puis en 1795, date de la publi-cation. C’est donc un jalon important dans son parcours : il en assura lui-même la création au Burgtheater de Vienne (ce fut son premier concert public) s’imposant à la fois comme soliste et comme jeune compositeur reprenant le flambeau de Mozart. Et encore toute mozartienne, la partition l’est assurément, même si le sens des contrastes dramatiques y préfigure magnifiquement les œuvres de la maturité de « Ludwig van ».
Le premier mouvement, Allegro con brio, qui s’ouvre sur un accord triomphant, se construit sur l’opposition classique – ici particulièrement exacerbée – entre un thème rythmique et un thème mélodique. Soulignant ce contraste, le piano entraîne l’orchestre dans un développement modulant, avant de s’engager dans une cadence de soliste particulièrement redoutable, fondée sur une brillante exploitation de toutes les virtualités du premier thème: tardive (1809), elle diffère de celle que la création, qui fut probablement improvisée.
Le deuxième mouvement, Adagio, explore une veine plus contemplative: le soliste y commente avec un grand raffinement un thème principal lyrique, anticipant sur les thèmes à la fois poignants et éthérés dont Beethoven, dans sa musique de piano comme dans ses quatuors, allait se montrer prodigue. Le Finale témoigne de la joyeuse vivacité d’un compositeur juvénile. C’est le piano qui propose le thème du refrain enjoué, presque espiègle, d’un mouvement dont la légende veut qu’il ait été composé, en catastrophe, la nuit précédent la création ! Vraie ou faisse, l’anecdote convient à cette pièce où se côtoient des couplets dans le goût populaire, souvenir de ländler entendus dans la campagne autrichienne, et des incises plus dramatiques. Nuages très passagers toutefois : c’est bien l’alacrité et la virtuosité qui dominent un mouvement compact et dynamique, ouvrant, bien plus qu’il ne referme un livre, sur les richesses à venir.
Le 25 mars 1888, Tchaïkovski confie à son frère Modest son intention d’écrire une symphonie. Il peine à entamer la partition, se lance au mois de juin et l’achève en août. À l’automne, la création de la Symphonie n° 5 enthousiasme le public tandis que les critiques réagissent assez froidement. Le compositeur se met à douter. « N’ai-je vraiment plus rien à dire ? Est-ce vraiment le commencement de la fin ? S’il en était ainsi, ce serait terrible », s’effraie-t-il dans une lettre à sa mécène Nadejda von Meck. Il est quelque peu rasséréné lorsque l’œuvre est applaudie à Hambourg le 15 mars 1889.
Si les articles de presse l’atteignent si vivement, c’est notamment parce que sa musique transpose ses émotions les plus intimes. Des intentions programmatiques apparaissent sur les esquisses de la Cinquième Symphonie. Tchaïkovski écrit par exemple: « Introduction : soumission totale devant le destin ou, ce qui est pareil, devant la prédestination inéluctable de la providence. Allegro I. Murmures, doutes, plaintes (…). II. Ne vaut-il pas mieux se jeter à corps perdu dans la foi ? Le programme est excellent, pourvu que j’arrive à le réaliser. » L’œuvre est fondée sur un thème récurrent (présent dans tous les mouvements) qui pourrait bien incarner le fatum (destin) et la « soumission totale devant le destin ». De caractère funèbre et mélancolique quand les clarinettes l’exposent dans les premières mesures de la symphonie, il devient cuivré et triomphant au centre de l’Andante cantabile et plus menaçant à la fin de ce même mouvement. Les clarinettes et bassons le murmurent à la fin de la Valse. Puis il nourrit la totalité du Finale, où il se mue en un cantique solennel.
La lumière des dernières pages paraît triompher des sentiments qui ont parcouru les quatre mouvements : vivacité fiévreuse, plainte ou ton pastoral de l’Allegro con anima ; passion fervente de l’Andante cantabile ; élégance transparente de la Valse. Mais Tchaïkovski n’ayant jamais adhéré totalement à quelque précepte religieux, on peut aussi interpréter la conclusion comme une victoire du destin implacable.