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Les fondations du rock urbain

Publié le 25 March 2016 — par Pascal Bussy

— The Velvet Underground - © Adam Ritchie

Dix ans après la naissance du rock’n’roll originel, Lou Reed et John Cale intronisent New York mégalopole du rock urbain. Avec Maureen Tucker et Sterling Morrison, avec Nico et sous les auspices d’Andy Warhol, ils en sont le moteur.

Deux albums phares de l’histoire du rock et des musiques populaires, disques antinomiques mais ô combien complémentaires – on s’en rend encore bien mieux compte aujourd’hui avec le recul dont nous disposons – voient le jour à quelques semaines d’intervalle, respectivement en mars et en juin 1967. Il s’agit de The Velvet Underground & Nico du Velvet Underground puis de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles. Si le second est un méga-succès immédiat dans le monde entier, le premier est un four et devra attendre une dizaine d’années avant d’être réhabilité par la critique et par le public, et de devenir, tout comme l’opus des Beatles, un jalon essentiel de l’évolution du rock.

Chacun de ces deux disques illustre en outre les deux directions divergentes dans lesquelles le rock s’engage dans le dernier tiers des glorieuses sixties, un peu plus de dix ans après la naissance du rock’n’roll originel, celui de Chuck Berry et d’Elvis Presley. Car tout oppose les deux albums. Si l’enregistrement de Sgt. Pepper’s a duré cinq mois, de décembre 1966 à avril 1967, celui du baptême du feu discographique du Velvet s’est déroulé le temps de trois sessions totalisant à peine dix jours, deux à New York en avril et en novembre 1966, l’autre à Hollywood en mai de la même année. Alors que le premier élève le studio au rang d’instrument de musique, le second le considère encore comme un simple moyen de capturer des chansons et de les graver dans la cire, comme Presley l’avait fait le 5 juillet 1954 en chantant « That’s All Right (Mama) » dans la cabine artisanale du studio Sun, à Memphis.

Ce n’est pas tout… Tandis que le chef-d’œuvre des Beatles fait la part belle aux trucages et aux effets sonores en inventant une pop music construite sur des mélodies raffinées, enrobées d’une sophistication qui peut aller jusqu’au surréalisme, celui du Velvet Underground pose les fondations du rock urbain. Enfin, alors que la bande à John Lennon et Paul McCartney installe Londres comme la capitale de cette pop ouvragée, le gang de Lou Reed et John Cale intronise New York mégalopole du rock urbain. Avec Maureen Tucker et Sterling Morrison, avec Nico et sous les auspices d’Andy Warhol, ils en sont même le moteur.

Un moteur qui puise à de multiples sources : le rock’n’roll des origines ; les premiers extrémistes comme Bo Diddley avec son mythique beat syncopé ; les prophètes de la déviance, tel Link Wray et ses sons saturés ; les groupes adeptes d’une musique qui ne s’appelait pas encore « garage » mais qui en possédait tous les symptômes, The Sonics et The Seeds en tête ; l’avant-garde et le minimalisme… Une somme qui, digérée et concassée, se révèle être la bande-son contrastée et tout en violence contenue de New York, de ses multiples couleurs et de ses ambiances diverses, qui se greffent chez le Velvet Underground au détour d’une ballade sulfureuse, d’un larsen qui crépite, d’un refrain qui se répète comme un mantra, de textes qui dérangent et d’harmonies déstabilisantes. Une cohabitation stylistique à l’image des rues de la Big Apple, artères d’une ville où le génial voisine avec le sordide en passant par tous les degrés intermédiaires.

— The Sonics - Psycho a Go-Go

L’esthétique new-yorkaise du Velvet se reflète et essaime dans d’autres agglomérations, Détroit avec le MC 5 puis Iggy Pop et les Stooges, Seattle à travers le grunge porté haut et fort par Nirvana, jusqu’au mouvement « riot grrrl » des Bikini Kill et autres Sleater-Kinney à Olympia dans ce même État de Washington. Elle aura aussi ses descendants à New York à travers le punk sauvage des Ramones, le rock arty du groupe Television et de Patti Smith. Les manifestes urbains du Velvet résonneront jusque dans le rock expérimental du groupe Can à Cologne (« You Doo Right » et « Mother Sky » ne sont-ils pas le pendant de titres du Velvet comme « The Gift » et « Sister Ray » ?) et dans toutes les scènes « néo-garage » du monde entier, de la France jusqu’à l’Australie. Une onde de choc dont le rock et sa culture ne se remettront vraiment jamais.