Alors que le Velvet Underground fait ses débuts dans les clubs de Greenwich Village, Bob Dylan est devenu de son côté l’artiste roi de New York, exerçant une influence certaine sur la scène musicale de l’époque.
« On ne voulait en rien y être associé ou comparé. Il n’y avait aucune proximité entre nous, ni physiquement, ni par le biais des chansons ». Ainsi s’exprimait Sterling Morrison, guitariste du groupe, lorsqu’on évoquait avec lui l’influence de Bob Dylan sur la musique du Velvet Underground. Lou Reed, lui, avait un jour traité le même Dylan de « pretentious Kike » (« youpin prétentieux »), mais c’était longtemps avant qu’il ne participe au concert de célébration des 30 ans de carrière de l’auteur de « Like a Rolling Stone », au Madison Square Garden en octobre 1992. Il y interpréta une chanson peu connue, « Foot of Pride », et ce fut l’un des meilleurs moments de la soirée.
Ambiguïté, paradoxes : les deux figures de proue du « rock littéraire » new-yorkais, le Velvet Underground et Bob Dylan, ne se sont jamais vraiment fréquentées, même si Dylan, qu’Andy Warhol aimait beaucoup (il lui fit d’ailleurs faire plusieurs Screen Tests), était toujours le bienvenu à la Factory où il côtoya assidument Edie Sedgwick, source d’inspiration supposée de plusieurs chansons du double album Blonde on Blonde (« Just Like a Woman » sûrement, « Leopard-Skin Pill-Box Hat » peut-être aussi).
Mais ce fut avant tout Nico qui chercha à établir un lien artistique concret entre l’ancien chanteur de folk devenu pop star et le Velvet qu’elle venait juste de rejoindre. Avant de s’installer à New York, elle avait rencontré Dylan qui tournait alors en Europe. Il lui avait écrit une chanson, « I’ll Keep it With Mine », qu’elle tenta plusieurs fois d’imposer au groupe, au grand dam de Sterling Morrison : « On a pendant longtemps refusé de faire le morceau, puis, après avoir eu beaucoup de mal à l’apprendre, on a quand même essayé de le jouer sur scène, et là c’était très mauvais… »
« I’ll Keep it With Mine » sera finalement enregistré par Nico sur son premier album, l’élégant Chelsea Girl, réalisé par Tom Wilson, qui avait précédemment produit certains enregistrements de Dylan et travaillé sur The Velvet Underground and Nico. « On l’avait choisi à cause du boulot qu’il avait fait sur les albums de Dylan », racontera plus tard John Cale, qui détestait pourtant le folk, fût-il folk rock, et tout ce que Dylan pouvait alors représenter. « Ses chansons étaient des résidus de marijuana », aurait aussi dit Lou Reed en 1966.
Pourtant, à l’écoute des premières maquettes enregistrées en juillet 1965 par les deux futurs fondateurs du Velvet, on ne peut que constater que Dylan faisait obligatoirement partie de leur monde musical. Sur l’une des chansons, « Prominent Men », Lou Reed va même jusqu’à l’imiter. Il plagie à la quasi-perfection ses intonations vocales, adopte le même jeu de guitare frustre que l’on entend sur Freewheelin’ Bob Dylan et souffle de façon désordonnée dans un harmonica : l’influence est flagrante.
En fait, à peine trois ans auparavant, alors qu’il était étudiant à l’université de Syracuse, Lou Reed avait assisté à un concert de Dylan et avait été fortement impressionné et marqué par la prestation… Dylan, de son côté, déclara en 1986 dans une interview que « Lou Reed [avait] fait beaucoup de très bons albums. C’est vraiment dommage qu’ils ne se soient pas mieux vendus. Trop de grands disques ne se vendent pas ».