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Quelques clés pour aborder le Velvet Underground

Publié le 21 juin 2016 — par Pascal Huynh

— The Velvet Underground - © Adam Ritchie

Musique, culture, philosophie, contexte socio-politique… : les portes d’entrée pour pénétrer l’univers du Velvet Underground sont multiples. En voici quelques-unes.

— Andy Warhol - Exploding Plastic Inevitable


- La musique. Les refrains du Velvet évoluent au carrefour de plusieurs courants des musiques du vingtième siècle. On y trouve à la fois des échos du rock’n’roll des origines (le côté rebelle et cette urgence qui suinte de leurs morceaux les plus sauvages) et une écriture folk ciselée qui vient en ligne directe des protest singers mais qui sait se lover dans une douceur mélodique, en témoignent ces refrains chantés par Nico sur le premier album et par Lou Reed sur le troisième. Enfin, n’oublions pas le rôle central de John Cale qui apporte à travers les cordes de son alto des réminiscences de « grande musique » européenne, mais aussi cette avant-garde dont il a été l’un des acteurs à côté des minimalistes.

- Les textes. Ce sont de véritables chroniques du côté obscur de New York ; malgré quelques métaphores, la langue qui les porte est très crue, comme le sont ces thèmes récurrents qui évoquent le sexe, la drogue et le mal de vivre. Tout cela a commencé avec le nom de la formation, The Velvet Underground, inspiré d’un livre de Michael Leigh publié en 1963 et dont le thème est le sadomasochisme ; plus qu’un roman, il s’agit d’une enquête sur les pratiques sexuelles interdites, les lieux où on pratique l’échangisme, etc., bref un travail journalistique qui balaye tous les recoins de ce « souterrain de velours » qui va comme un gant au groupe.

- La contre-culture. Marqué par la génération « beat » et l’activisme de contestataires comme le New-Yorkais Ed Sanders (fondateur du groupe satirique The Fugs et libraire-éditeur alternatif), le Velvet est un groupe qui brave les interdits. Héritier d’une dynastie de penseurs libertaires qui passe par William Burroughs et Allen Ginsberg, Lou Reed veut poursuivre à sa manière un chemin artistique où la valeur première est la littérature. Parmi ses maîtres, Hubert Selby, l’auteur de Last Exit to Brooklyn, et Delmore Schwartz qui fut son professeur à l’université de Syracuse.

— Allen Ginsberg's LSD poem to William Buckley

3 septembre 1968 : Allen Ginsberg lit son poème Wales Visitation 

- L’ambition. Base de la philosophie du Velvet, cette notion renvoie au fameux « quart d’heure de célébrité » de chacun, prophétisé par Andy Warhol bien avant l’époque de la télé-réalité et de la génération YouTube… Mais chez les membres du Velvet elle est ambivalente : si John Cale possède une ambition musicale qui fait écho à son passé classique, Lou Reed a plutôt en tête celle du succès à tout prix, à tel point qu’il n’hésitera pas à se séparer successivement d’Andy Warhol puis de John Cale après les avoir « utilisés ». Sterling Morrison et Maureen Tucker incarnent une intégrité qui les honore ; sans eux le quadrilatère Velvet ne peut exister. Quant à Nico, mi égérie, mi sex-symbol, elle est résolument à part.

- L’identité. Avant de trouver son nom de guerre, le groupe formé par Lou Reed et John Cale a eu plusieurs patronymes : The Primitives, The Falling Spikes, puis The Warlocks. Enfin, on oublie souvent que leur premier album est l’œuvre d’un groupe autant international qu’américain, puisque John Cale vient du Pays de Galles et que Nico, de son vrai nom Christa Päffgen, est allemande.

- L’art. Le Velvet inscrit sa musique de l’excès dans un art multiforme qui passe à ses débuts et grâce à Andy Warhol par l’imagerie du « pop art », les stroboscopes haletants d’un light show halluciné, les photos de Paul Morrissey et une mise en scène idoine où se distingue la mythique « danse du fouet » de Gerard Malanga. Grâce à tout cela, c’est aussi le premier groupe rock arty de l’Histoire.

- La provocation. Elle ne se niche pas que dans la musique et les textes du groupe. Le Velvet fustige autant l’Amérique de la fin des années soixante engluée dans la guerre du Vietnam que les mouvements « Peace & Love » et « Flower Power » dont il est la réplique urbaine en forme d’antithèse. On l’oublie parfois, mais The Velvet Underground & Nico est paru l’année du « Summer of Love », par l’une de ces ironies dont la culture rock a le secret.