Lied, mélodie, song, canzon, canción : autant de dénominations qui désignent un seul et même genre : la mise en musique de textes poétiques, avec accompagnement instrumental. Un répertoire fragile et intimiste exploré dans toute sa diversité lors de ce week-end de janvier.
Franz Schubert occupe naturellement ici une place centrale, avec notamment deux de ses grands cycles, Le Voyage d’hiver et Le Chant du cygne, respectivement interprétés par le baryton Florian Boesch et son complice Malcolm Martineau (en soirée d’ouverture, le 23 janvier), et le baryton Christian Gerhaher et son acolyte Gerold Huber (pour clôturer la Biennale, le 29 janvier). L’abordant comme une musique de chambre vocale, Gerhaher et Huber se muent en conteurs au coin du feu. Boesch et Martineau préfèrent eux aussi l’intimisme au déferlement de sentimentalité : ils tissent le discours d’une diction douce, faite d’articulations souples et de nuances subtiles, mettant en lumière le doute, la vulnérabilité, la mélancolie qui habitent le recueil, sans verser dans un lyrisme exagéré.
Schubert, encore, est avec son maître Beethoven au cœur d’un spectacle chorégraphique original imaginé par Thierry Thieu Niang (le 26 janvier). Celui-ci met aux prises deux ténors qui sont aussi père et fils, Christoph et Julian Prégardien, dont les voix si proches, accompagnées par l’Orchestre de Chambre de Paris et une récitante, sont l’occasion d’un jeu autour du double et du songe – des thèmes qui nourrissent profondément l’imaginaire romantique.
Schubert et Beethoven sont à nouveau réunis dans le Salon romantique du baryton Georg Nigl et de la pianiste Olga Pashchenko (sur piano Gebauhr de 1855), le 27 janvier. Ils mettent en perspective Vermischter Traum (Rêve mêlé), lied contemporain composé en 2017 par Wolfgang Rihm dont Nigl a déjà chanté l’opéra Jakob Lenz.
Car le genre du lied ou de la mélodie n’est évidemment pas l’apanage d’une période musicale définie : les compositeurs l’ont revisité à toutes les époques et continueront à le faire dans le futur. En témoigne le « Périple » proposé le 23 janvier par Élise Chauvin, accompagnée de la clarinette basse d’Alain Billard et des deux percussions et de l’accordéon du trio K/D/M. Ensemble, ils nous rappellent qu’une chanson c’est d’abord la symbiose entre un texte et une musique, un poète et un compositeur. Ils célèbrent ainsi deux duos de compositeurs/écrivains. La soprano française retrouve pour l’occasion Philippe Hurel, dont elle a déjà chanté Espèces d’espace d’après Georges Pérec, et qui, avec son complice l’écrivain Tanguy Viel, lui offre aujourd’hui Satori, en référence au concept japonais désignant l’éveil spirituel. Recherches littéraires et musicales vont donc ici de pair, Hurel et Viel partageant, outre un imaginaire, une même passion pour les « jeux » créatifs et un humour grinçant. De langage, il est aussi question dans A-Z de la Singapourienne d’origine et Française d’adoption Diana Soh : convaincue que la langue et sa musique forgent nos identités, la compositrice se joue des codes de l’alphabet anglais, avec la complicité du poète James Currie.
Dans son récital Song Play (23 janvier), la grande mezzo Joyce DiDonato nous fait quant à elle traverser l’Atlantique, mariant répertoire opératique et jazz. Elle recycle ainsi, non sans humour, Duke Ellington et Benedetto Marcello, George Shearing et Giovanni Paisiello, Richard Rodgers et Alessandro Parisotti…
Mais bien d’autres ponts et passerelles seront jetés. Accompagné du jeune prodige de la guitare qu’est Thibaut Garcia, le chanteur Josep-Ramon Olivé nous invite le 23 janvier à traverser les Pyrénées à la découverte de toutes ces mélodies espagnoles et catalanes de Manuel de Falla, Gasull, Llobet, Nin, et autres Oltra et Sáinz de la Maza, en miroir, côté français, de celles d’un certain Maurice Ravel.
S’agissant toujours de passerelles, Marlis Petersen dit au sujet des « Mondes intérieurs » qu’elle convoque en compagnie de Stephan Matthias Lademann le 24 janvier : « ce qui m’intéresse est de construire un pont pour emmener celui qui écoute sur un parcours musical. Et surtout, faire le lien entre « Mensch und Lied », les êtres humains et les mélodies. » Ensemble ils explorent ainsi l’âme humaine en mêlant Wagner, Fauré, Schubert, ainsi que les joyaux méconnus d’Hans Sommer, Richard Rössler ou Max Reger.