Orchestre de Paris / Corinna Niemeyer
Program
Poulenc tenait sa rencontre avec la claveciniste Wanda Landowska, en 1923 chez la Princesse de Polignac, comme l’une des plus importantes de son existence. Principale initiatrice de la redécouverte du clavecin au XXe siècle, Landowska sensibilisa le jeune compositeur au répertoire et aux ressources de son instrument. Le projet de Poulenc d’écrire un concerto à la grande interprète prit tournure en 1926, lorsqu’il lui rendit visite dans sa maison de Saint-Leu-la-Forêt, au nord de Paris : « J’eus l’idée de composer un concert champêtre dans le goût de cette forêt de Saint-Leu où Rousseau et Diderot s’étaient promenés ».
En novembre de cette année, la musicienne crée le Concerto de Manuel de Falla, œuvre phare du renouveau du clavecin, qui sera pour Poulenc une source d’inspiration. Le compositeur entreprend sa propre partition en avril 1927, et l’achève durant l’été 1928, après plusieurs séjours de travail chez « la sublime mais difficile Landowska ».
Le Concert champêtre est la première partition ambitieuse de Poulenc à cultiver la fragmentation du discours, qui lui sera souvent reprochée. Loin d’être une incapacité à créer la continuité, cette tendance correspond à un goût pour la juxtaposition du noble et du trivial, et à une volonté de tourner le dos au sublime romantique, principes esthétiques du Groupe des Six, auquel Poulenc a appartenu.
Introduit par un majestueux Adagio, l’Allegro molto entremêle des motifs adoptant tantôt une grandeur baroque, tantôt l’allure de comptines ou d’appels militaires. L’harmonie est émaillée de piquantes dissonances, caractéristiques du style néoclassique. Dans ce savant désordre, les cadences du soliste, qui interrompent le flux, revêtent un caractère étrangement lugubre.
L’Andante présente une thématique au rythme berceur de sicilienne (danse traditionnelle à caractère bucolique, pastoral et sentimental), baignée de tendres harmonies. C’est encore la cadence du soliste (section de la partition laissée à l'improvisation du soliste) qui vient troubler, d’un récitatif indécis, cette sérénité toute classique. L’orchestre énonce à nouveau la sicilienne, mais le sourire qu’elle arbore maintenant se fige dans la conclusion.
Le Finale (Presto) est un véritable kaléidoscope, où clavecin et orchestre dialoguent dans une allégresse parfois inquiète. Le soliste déroule des figurations virtuoses, un passage cadentiel énigmatique survient, des appels cuivrés résonnent. La conclusion, que Poulenc a plusieurs fois réécrite, laisse le dernier mot au clavecin, dans un dépouillement complet.
Gorgée de verve et de lyrisme, la Sinfonietta reste une œuvre étonnement méconnue du catalogue de Poulenc. Parfaite synthèse de son style, elle est l’une de ses dernières partitions à revendiquer une certaine désinvolture, avant le sérieux de la dernière période.
La Sinfonietta trouve son origine dans un quatuor à cordes, auquel Poulenc travaille en 1945-1946, avant d’en jeter le manuscrit dans un égout. « J’ai jeté mon quatuor […] Il y avait tout juste trois thèmes jolis », annonce Poulenc au compositeur Georges Auric. « Tu as bien fait, lui répond son ami, mais tâche de ne pas oublier les trois thèmes ». Dès la fin 1946, Poulenc envisage de réutiliser ceux-ci dans une « sinfonietta pour orchestre ».
La commande qu’il reçoit peu après lui permet de fixer son projet. Elle émane de la BBC, pour le premier anniversaire de son Third Program (aujourd’hui BBC 3). Les deux parties s’accordent sur une œuvre de petites dimensions, pour un rendu en octobre 1947. Mais en août, Poulenc annonce : « Catastrophe, la Sinfonietta est devenue une symphonie ; les trois premiers mouvements durent déjà 19 minutes. » Il lui faudra encore un an pour composer le Finale. Pour se faire pardonner, Poulenc offre sa partition à la BBC, « en échange d’un simple baiser de paix » – absolution acceptée par la vénérable institution. La Sinfonietta peut être créée le 24 octobre 1948 à Londres, par le Philharmonia Orchestra dirigé par Roger Désormière. Sa première française a lieu le 20 janvier suivant, le même chef conduisant l’Orchestre de la Radiodiffusion française. Conjurant l’échec du quatuor à cordes, l’œuvre sera dédiée à Auric, en reconnaissance de ses conseils.
Malgré les dimensions de sa partition, Poulenc a donc conservé son titre initial. On devine là une prudence face au genre intimidant de la symphonie, synonyme aussi pour lui d’une grandeur « morne et pédante ». Mais il est indéniable que la Sinfonietta possède une fraîcheur et une liberté de ton qui justifient son titre.
À un orchestre classique, où les vents sont à mis à l’honneur par de fréquents solos, Poulenc adjoint une harpe, touche assez française dans le genre symphonique. Le discours progresse par séquences, comme souvent chez lui, mais quatre éléments mélodiques circulent entre les mouvements, assurant l’unité de la partition. On remarque aussi la présence, fréquente chez Poulenc, d’autocitations : les connaisseurs repéreront des motifs provenant du Concerto pour orgue, de la Sonate pour violon ou de celle pour violoncelle, et aussi des préfigurations de certains motifs de l’opéra Dialogues des carmélites.
Œuvre puissante et d’une étrange beauté, le Concerto pour orgue est la première partition d’envergure à révéler toute la profondeur de Poulenc. « Si on veut se faire une idée exacte d’un côté grave de ma musique, c’est ici qu’il faut le chercher, comme dans mes œuvres religieuses », expliquait le musicien.
Fin 1934, la Princesse de Polignac, sollicite Jean Françaix pour lui commander un concerto pour orgue. Trop occupé, le musicien suggère le nom de Poulenc pour le remplacer. Ce dernier connaît bien la mécène – héritière de l’empire des machines à coudre Singer –, déjà commanditaire de son Concerto pour deux pianos trois ans auparavant.
Une première version du Concerto pour orgue est achevée au printemps 1936. « Ce n’est pas du Poulenc plaisant genre Concerto à deux pianos, mais plutôt du Poulenc en route pour le cloître, très XVe siècle », explique le compositeur à Marie-Blanche de Polignac, nièce de la Princesse. Il rencontre pourtant des difficultés avec la partition. En octobre, il s’adresse à Nadia Boulanger avec une frappante lucidité : « Dites à la chère Princesse que le Concerto n’est pas un mythe, que je suis honteux, mais que je ne lui livrerai que parfait, de cette perfection imparfaite qui est la mienne ».
Poulenc n’achèvera son œuvre qu’entre avril et août 1938. « Jamais, depuis que j’écris de la musique je n’ai eu tant de mal à trouver mon moyen d’expression », est-il forcé d’avouer. Il met au point la registration de l’orgue avec le futur créateur du concerto, l’organiste et compositeur Maurice Duruflé. Celui-ci racontera que Poulenc, bien qu’ignorant des arcanes de son instrument, « était très conscient des timbres qu’il voulait ». L’œuvre est créée à l’hôtel particulier de la Princesse de Polignac, le 16 décembre 1938, avec Duruflé à l’orgue, Nadia Boulanger dirigeant l’orchestre à cordes.
Si le Concerto pour orgue est bien une partition profane, il se charge des signes du sacré, d’une manière assez représentative de Poulenc. « Il occupe une place importante dans mon œuvre, en marge de ma musique religieuse, expliquait le compositeur. Ce n’est pas un concerto da chiesa [concerto d’église] à proprement parler, mais, en me limitant aux seules cordes et à trois timbales, j’en ai rendu l’exécution possible à l’église. » Poulenc a choisi en effet de limiter son orchestre ; ainsi l’œuvre est-elle facilement jouable dans une église, et elle évite le « pléonasme sonore » (selon le musicien) de la coexistence des vents de l’orchestre avec l’orgue.
La partie soliste s’inspire de gestes d’écriture baroques, et de la littérature pour orgue de Bach à Louis Vierne. Les timbales associées à l’orgue confèrent à l’œuvre un caractère sépulcral, tout en la dynamisant. Sept mouvements s’enchaînent, faisant alterner recueillement, grandeur et lyrisme. Unifiés par quelques motifs, ils forment comme une vaste fantaisie, et préfigurent parfois d’autres partitions de Poulenc, notamment celle des Dialogues des carmélites – autre œuvre à mi-chemin entre profane et sacré.
Nicolas Southon