Philharmonie de Paris - Home Page

Pierre Boulez - Dire la musique - Paroles d'artistes

Publié le 06 January 2025 — par Le Magazine

Grand entretien avec Pierre Boulez, compositeur, chef d'orchestre, pédagogue et père fondateur de la Cité de la musique - Philharmonie de Paris.

Le choc de la composition

Le désir de composer n’est pas venu tout de suite. Il est venu à l’adolescence, c’est-à-dire quand on a à peu près 16-17 ans. À ce moment-là, on a le désir de créer quelque chose et, naturellement, on compose par imitation d’abord. On a des modèles qui nous plaisent, dans un certain répertoire bien sûr, et ça ne dépasse pas un certain vocabulaire, premièrement. Deuxièmement, il y a une naïveté vraiment étonnante si on la juge a posteriori. 

Le premier qui m’a vraiment donné l’idée de ce qu’est la composition, c’est Messiaen. Non pas tellement dans sa classe du conservatoire où il enseignait l’harmonie, mais surtout dans les analyses qu’il faisait pour un certain nombre de ses élèves, qu’il choisissait lui-même, qu’il trouvait sans doute plus doués que les autres. Là, j’ai vraiment compris ce qu’était l’acte de composer et pourquoi on composait. Mais je pense qu’il y a des limites à cela. Moi-même j’ai été professeur de composition après, beaucoup plus tard, à Bâle, quand j’avais passé 40 ans, et ma réflexion aujourd’hui est qu’on ne peut pas enseigner la composition, on ne peut l’enseigner qu’à soi-même. Ce qu’on peut enseigner, c’est l’analyse, regarder les textes et en déduire un certain nombre de conséquences qui sont les vôtres, vos conséquences personnelles. Je pense qu’il y a une certaine limite aux professeurs de composition. Je compare cela à un choc, en général : le professeur de composition est une sorte de détonateur, mais s’il n’y a pas de matière qui puisse détonner, le choc n’existe pas. Mais d’un autre côté, s’il n’y a pas de détonateur, vous ne savez pas ce que vous devenez, ce que vous êtes, ou alors c’est beaucoup plus difficile, c’est beaucoup plus lent et c’est quelquefois beaucoup plus incertain. Donc, pour moi, la composition est un choc. Cela s’apprend très vite et d’une façon très condensée. Après cela, c’est vous qui développez, qui vous développez vous-même.

Les années de formation : Olivier Messiaen

J’étais dans sa classe en 1944-45 en effet, en cours de composition. Je suis sorti de sa classe puisque j’ai tout de suite eu un prix d’harmonie, la première année avec lui. J’ai suivi encore ses classes en 1946, ses classes d’analyse qu’il donnait en dehors du conservatoire, qui étaient en même temps des classes de composition, parce qu’il lui arrivait aussi de décrire ses propres œuvres qu’il était en train de composer, comme en particulier les Vingt regards sur l’enfant Jésus. Après 1946, je me suis dit que je devais me prendre moi-même en main et que c’était tout à fait inutile de suivre même des classes d’analyse. Il [Messiaen] était considéré un peu comme un sulfureux parmi les autres professeurs du conservatoire qui s’occupaient des classes d’écriture. D’abord, c’était un inventeur. Sur la conception rythmique, la conception du temps en général, la conception de la durée, il avait des idées vraiment très originales, beaucoup plus originales que dans le reste de son invention. C’était quelqu’un qui avait une personnalité forte. N’oubliez pas qu’à cette époque, Messiaen avait 35 ans seulement. Je trouve du reste que l’enseignement doit être fait quand on est très jeune. Contrairement à toute idée reçue, un très bon professeur de composition, même un professeur instrumental, donne le meilleur de lui-même autour de 30 ans. Après, vient une certaine routine, une certaine répétition des choses, et il n’y a plus cette espèce de désir à la fois de conquérir l’élève et le façonner. Là, il y a quelque chose qui disparaît derrière une sorte de répétition de ce qu’on a fait, et je trouve cela très dangereux. C’est pourquoi j’ai été professeur de composition pendant trois ans et après je m’en suis délivré car je ne pouvais plus me supporter moi-même dans ce rôle-là, tout simplement.

René Leibowitz

Il ne faut pas oublier non plus – je ne l’oublie pas, tout en le situant tout à fait à sa place – qu’on a suivi à ce moment-là, quelques-uns des élèves de Messiaen et d’autres personnes, les cours de Leibowitz parce qu’il y avait alors une ignorance en France de tout ce que l’École de Vienne avait produit, c’est-à-dire Schönberg, Berg et Webern. Leibowitz connaissait ces partitions et savait les analyser d’une façon non pas inventive, comme Messiaen, mais d’une façon très académique. C’est pour cela qu’il a une influence, et en même temps une influence très limitée, justement à cause de cet académisme profond qui résidait dans une sorte d’analyse littérale qui n’allait pas plus loin que cette littéralité. 

Échanges et influences

Messiaen m’avait invité à analyser ma Deuxième Sonate pour piano dans sa classe et je pense qu’il a suivi cette analyse avec beaucoup d’intérêt et même plus que de l’intérêt. Il y avait quelque chose, tout un monde, qu’il découvrait lui-même, et il savait très bien que ce monde était déduit du sien, mais déduit dans une toute autre direction. Je pense qu’à ce moment-là, il a vraiment composé ses œuvres les plus aventureuses : le Livre d’orgue en particulier, la Messe de la Pentecôte, Chronochromie pour orchestre. Ce sont des œuvres qui sont à la pointe de son invention. Ce dialogue étant établi, il y a eu une certaine non pas relaxation, mais je dirais « dé-tension » de ce rapport. À ce moment-là, il a cherché à récupérer ses anciennes visions avec les nouvelles qu’on lui avait apportées, ou en tout cas dont il s’était nourri. C’est pour cela qu’il y a eu une reconnaissance d’un côté et de l’autre. Nous nous sommes vus jouer ces œuvres régulièrement, mais la période d’une part de pédagogie et d’autre part d’échanges était plus ou moins passée parce qu’elle n’était plus dans l’actualité, tout simplement. Je pense qu’il y a eu un échange en effet, même un échange sans mots, mais un échange de regard sur la littérature de l’autre. 

Celui dont je me suis senti le plus proche à un moment donné est certainement Stockhausen. Nous avons vraiment été très proches l’un de l’autre dans les années 1950 – au début des années 1950 –, quand il est venu d’abord à Paris pour étudier avec Messiaen, et puis ensuite nous nous sommes vus en Allemagne et nous avons suivi avec vraiment beaucoup d’attention ce que nous avons fait l’un comme l’autre. Il y a des moments de la vie où les choses sont très proches et où on regarde le travail du voisin avec beaucoup d’acuité et de profit. Et il y a d’autres moments où chacun suit une ligne beaucoup plus distante, et même si les rapports personnels peuvent être très agréables et très amicaux, il n’y a plus du tout ce resserrement de la pensée comme il y avait à une certaine époque.

Ceux que j’ai rencontrés ne sont pas tellement des Français, mais surtout des gens d’autres pays : Stockhausen en particulier, mais aussi Berio avec lequel j’ai eu de très bons et intéressants rapports. Un peu plus tard, après 1956, c’est-à-dire après la libération de la Hongrie, j’ai entretenu des rapports avec Ligeti, et avec Kurtág un peu plus tard. Ce sont des musiciens qui m’ont beaucoup intéressé, que j’ai beaucoup joués d’ailleurs et qui m’ont influencé, mais influencé à un niveau d’assimilation totale, c’est-à-dire qu’on ne peut pas reconnaître Ligeti, on ne peut pas reconnaître Berio. J’ai l’avantage sur eux, si je peux dire, d’être interprète en même temps et donc non seulement de regarder, de lire les partitions, ce qui est important, mais aussi de les jouer. Et pour jouer des partitions, vous êtes obligés de les regarder de beaucoup plus près que vous ne les regardez quand vous les lisez seulement.

C’est curieux que vous me parliez de John Cage, alors que je n’en ai pas parlé moi-même. Et pourtant, cela a été en effet un moment important. D’abord parce que dans ce milieu tout à fait gelé qu’était le milieu musical français dans la fin des années 1940-début des années 1950, il représentait une grande fantaisie, en premier lieu dans l’imagination sonore. Je me souviens, j’ai organisé moi-même le premier concert en Europe de Cage. C’était dans un salon privé de Mme Tézenas, qui après a pris le patronage du Domaine musical. C’était important de le faire entendre. C’était une œuvre pour piano préparé. Je me souviens qu’il m’avait fait entendre des enregistrements de piano préparé qui m’avaient beaucoup intéressé et fasciné, même du point de vue de l’univers sonore. J’ai organisé ce concert chez elle [Mme Tézenas] avec une pianiste américaine qui a joué ces œuvres. On préparait le piano et bien évidemment c’était tout à fait artisanal : on mettait des écrous ou bien des petites brosses ou des étouffoirs, de façon à ce que chaque son de chaque touche de piano soit un son complètement différent, totalement modifié. Au lieu d’avoir quelque chose d’homogène comme les accordeurs de piano le font en général, on avait au contraire quelque chose de totalement hétérogène. L’origine de ce piano préparé a été la percussion, et l’influence de Bali en particulier a été très forte sur Cage. Je me rappelle lui avoir demandé, mais je ne me rappelle plus maintenant la réponse qu’il m’a donnée. En tout cas la musique de Bali, même dans son organisation rythmique, en particulier cette espèce d’hypnose d’un rythme qui reste le même pendant assez longtemps – quoique c’est plus subtil, cela paraît rester le même mais c’est beaucoup plus subtil que cela –, cette influence de Bali, donc, avait était très forte sur Cage, parce que sur la côte ouest des États-Unis, l’influence asiatique est très forte.

Autres cultures – l’influence des arts plastiques

Pendant toute mon adolescence, de 1939 à 1945, on ne voyait rien pratiquement, ou on voyait des choses très contrôlées ou extrêmement limitées. Mais à partir de fin 1944 et 1945, on a découvert énormément de choses, y compris chez les peintres. D’abord, il y avait une sorte d’arrogance de la culture française par rapport aux cultures non françaises, la culture germanique principalement. Un peintre comme Klee était à peine connu. Il y avait eu une exposition avec les surréalistes dans les années 1920 et plus rien depuis cela. Les premières expositions de Klee se sont tenues après la guerre. Je crois que la première exposition consacrée à Klee était en 1948 si j’ai bonne mémoire. J’avais visité des expositions Kandinsky en 1946 dans une galerie privée où il n’y avait personne. On était seul à visiter. Il y a eu vraiment une sorte de méconnaissance, sinon d’arrogance, des cultures autres.

Les musiques extra-européennes

Pour moi, ce qui a été très important aussi – j’ai eu la chance de connaître les gens qui s’occupaient de cela –, c’est de connaître les musiques non européennes. La musique d’Asie en particulier, que ce soit la musique de Bali qui est une musique très impressionnante, la musique japonaise du gagaku, c’est-à-dire la musique de cour japonaise qui remonte aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles, et puis le théâtre original chinois qui est vraiment exceptionnel et intéressant visuellement. Mais à ce moment-là, c’était uniquement par des anciens enregistrements, des 78 tours où on écoutait trois ou quatre minutes. Un peu plus tard, au début des années 1950, j’ai écouté des enregistrements avec André Schaeffner et Gilbert Rouget qui était responsable du département africain au Musée de l’Homme. Là, j’ai entendu des enregistrements absolument exceptionnels du point de vue de l’emploi de la percussion. Je suis très ouvert sur le monde en général, sur les cultures qui ne sont pas forcément des cultures européennes, mais je suis aussi très attentif à ce qui s’est passé en Europe parce que je trouve que, maintenant, une culture par elle-même ne peut pas exister. Elle existe seulement en fonction des autres.

Rituel (1974-1975) et le gagaku japonais

C’est le rapport au temps, quand on mêle le gagaku, cette musique de cour japonaise qui est très lente en général, et Rituel, parce qu’il y a des moments très agités, mais il y a aussi des moments d’une très grande lenteur, au contraire. C’est cette conception du temps qui me rapproche de cela mais qui n’a plus rien à voir avec le gagaku en soi. Mais je trouve que c’est important de montrer qu’on peut écouter la musique autrement que de notre façon occidentale. C’est non seulement une manière d’envisager la musique différemment, mais c’est une manière de l’écouter différemment, et spécialement de se plonger dans la durée, une durée qui ne fixe pas forcément le début et la fin, mais qui se poursuit et dans laquelle vous pouvez entrer à n’importe quel moment.

Gestation et devenir des œuvres – Anthèmes (1991) et Anthèmes 2 (1997)

Je crois que chaque œuvre a son type de gestation et son type d’accident, si je peux dire. Quelquefois, c’est le hasard total. On vous demande une pièce pour tel instrument, telle proportion, vous réfléchissez et vous vous dites : ou bien je n’ai aucun intérêt à le faire et donc je ne le fais pas, ou bien si, j’ai un intérêt à le faire parce que cela s’insère dans une ligne de pensée à laquelle j’attache beaucoup d’intérêt. Par exemple, quand j’ai composé Anthèmes et Anthèmes 2, la première occasion était simplement un anniversaire de mon éditeur autrichien Alfred Schlee. Et j’ai composé cette pièce parce que cela m’intéressait de composer une pièce solo. Il y avait la possibilité d’un quatuor à cordes ou d’un piano, mais cela ne m’intéressait pas du tout. Ce qui m’intéressait, c’était de développer les possibilités d’un seul instrument, un instrument à cordes. J’ai fait une pièce qui était relativement courte. Après, j’ai voulu regarder ce qu’on pouvait faire avec cet instrument et la technologie d’aujourd’hui, c’est-à-dire la technologie de l’Ircam. Là c’est une pièce beaucoup plus longue qui s’est développée en même temps que j’ai bénéficié des avancées technologiques des chercheurs de l’Ircam. Et ce qui m’intéressera dans un troisième moment, c’est de reproduire ce que j’ai fait avec la technologie, non pas de le reproduire exactement, mais de voir si je peux développer dans le même sens avec un orchestre. Ou peut-être avec un orchestre et technologie, je ne sais pas encore, ce n’est pas fixé dans mon esprit. Donc il y a une certaine continuité dans ce que j’ai développé.

Éclat (1964-1965) et Éclat/Multiples (1965-1971)

Dans d’autres œuvres, au contraire, la naissance est venue simplement du corps instrumental auquel j’ai pensé. Par exemple Éclat, qui était une très courte œuvre au départ, qui est devenue après Éclat/Multiples, était uniquement une réflexion sur les instruments résonnants. Je n’ai pas du tout pensé à quoi que ce soit comme idée musicale, je pensais simplement à une combinaison d’instruments résonnants avant de penser à l’idée de composition même. Mais une fois que le corps instrumental a été décidé, là, il fallait l’utiliser vraiment dans une façon logique.

Pourquoi les instruments résonnants ? Parce qu’ils ont un comportement différent. Si vous les frapper et que les instruments ont une résonance très longue, vous pouvez analyser cette résonance par l’oreille, parce qu’elle reste très longtemps. Mais vous avez des instruments résonnants qui résonnent très brièvement, surtout dans l’aigu. Une mandoline ou même une guitare résonnent très court. Donc ce qui était intéressant, c’était de trouver une idée musicale qui justifie cet emploi de la résonance. Ou bien vous frappez tous les instruments d’une façon très brève et vous ne pouvez pas distinguer qui joue quoi, ou bien au contraire vous laissez la résonance mourir, et là vous pouvez analyser les instruments qui résistent le plus longtemps à l’usure de la résonance. À partir de là, vous ne pouvez plus jouer avec un temps mesuré. Qu’est ce qui mesure votre temps ? C’est la résonance, c’est-à-dire l’objet lui-même. Donc il faut une écriture extrêmement libre, qui n’est plus dépendante d’une mesure, au sens général du terme, c’est-à-dire le « mesurement » du temps. C’est comme cela que l’idée est venue. Dans Éclat, il y avait les instruments résonnants et un groupe d’instruments soutenus qui sont au début et à la fin simplement pour encadrer et pour donner justement cette valeur de résonance aux instruments résonnants. Quand j’ai vu ça, j’ai pensé d’abord à développer chaque famille de ces instruments soutenus – parce qu’il y a six instruments qui sont des instruments soutenus. Finalement j’en ai développé seulement une parce que le développement était suffisamment long, mais j’avais pensé à élargir toutes les familles parce que les sons soutenus étaient des sons homogènes. Par exemple, j’ai pris la famille des altos parce que c’est une famille très riche du point de vue sonore, et cette famille d’altos, je l’ai développée dans la seconde partie, qui est Multiples. Il y a toujours Éclat qu’on peut jouer d’une façon séparée, et dans Éclat/Multiples il y a ces deux parties qui sont articulées l’une à partir de l’autre, où les instruments résonnants jouent encore leur rôle, mais un rôle beaucoup moins important.

Le hasard contrôlé

L’idée du hasard a été mis dans la musique avec Cage en particulier. Mais ce n’est pas cela qui m’a fait beaucoup réfléchir, parce que le hasard pur, cela n’a pas beaucoup d’importance. Le hasard pur, c’est une chose qui peut arriver alors qu’une autre est aussi légitime. Et je pense que dans la composition, tout n’est pas légitime de la même façon. Je pense qu’il y a une certaine directivité qui doit toujours être là. Mais ce qui m’importait, c’était que tout ne soit pas figé et que la décision puisse être du dernier moment, qu’au lieu que des instruments se suivent toujours dans le même ordre, on puisse décider au dernier moment un ordre ou un autre, quoique un ordre A ou un ordre B soient aussi légitimes l’un que l’autre.

À ce moment-là – c’est aussi mon côté interprète qui me pousse vers cela –, si les instrumentistes reçoivent l’ordre de jouer au dernier moment, d’une façon improvisée à partir d’un matériel, il y a une tension certaine qui s’établit parce que les musiciens attendent ce geste, mais ils ne savent pas quand. Si vous le décidez tout d’un coup, au dernier moment, ils réagissent d’une façon beaucoup plus énervée je dirais, non pas plus nerveuse, mais plus énervée parce que le réflexe sera beaucoup plus fort, tout simplement. C’est dans ce sens-là que j’entends le hasard : une succession qui n’est pas totalement figée et cette succession peut décider aussi de l’octave où on joue, de la façon dont on joue, si c’est lié, si c’est staccato, etc. Ce qui est important, c’est que ce hasard ne soit pas un hasard pur, mais un hasard dirigé, un hasard contrôlé.

Spirale et inachèvement

Dans mon œuvre Répons il y a une fin qui est vraiment une fin, qui ne peut pas aller plus loin. Mais il y a des moments, au contraire – et je l’ai composé comme cela –, où je sentais que le passage était transitoire. J’ai pris la comparaison avec la spirale parce qu’en effet la spirale est une forme parfaite et totalement indéfinie : vous arrêtez la spirale à un moment donné, même avec un signe très définitif, cette spirale est là. C’est une spirale. Vous enlevez le signe définitif, vous continuez la spirale, vous mettez le signe fin. À ce moment-là, vous avez exactement la même forme, seulement plus longue. Ce à quoi je pense, c’est plutôt du reste une spirale dans l’espace. Pour cela, j’ai pris la comparaison quelquefois avec le musée Guggenheim à New York, qui est un musée vraiment en spirale. Quand vous allez dans ce musée, vous avez des alvéoles. Vous tournez le dos à la spirale quand vous regardez les tableaux exposés. Pour aller d’une alvéole à l’autre, vous pouvez regarder le centre de cette spirale. Vous pouvez regarder ce que vous avez vu et vous pouvez regarder ce que vous allez voir, si bien que cela vous donne en même temps l’impression du présent, du passé et du futur. Et je trouve que ça, c’est extrêmement important parce qu’il n’y a pas simplement dans la spirale une succession de moments qui sont complètement indépendants, mais un moment suivant un moment A profitera de tout ce qu’il a emmagasiné entre temps, entre le précédent moment A et le moment qui va suivre. Si bien qu’il y a un enrichissement de la forme, c’est une spirale qui se charge de plus en plus jusqu’à devenir absolument infinie.

Est-ce que l’achèvement est quelque chose de nécessaire ? À un moment donné, on peut se poser la question et c’est en regardant par exemple les dessins de Giacometti que je pense à cela. Il y a des dessins de Giacometti où il y a une multitude de lignes pour définir un portrait. Et vous ne savez pas si cette multitude de lignes est une exaspération de ne pas trouver ou bien une volonté, au contraire, de mettre l’inachèvement dans le dessin. Cela me fait penser aussi à certaines aquarelles de la dernière période de Cézanne où il y a beaucoup de blanc. Le papier est resté blanc, ou même la toile est restée blanche, et on ne sait pas s’il avait l’intention de remplir ce blanc ou au contraire de laisser le blanc très visible comme signe de l’inachèvement ou de l’achèvement impossible. Je pense que cette notion d’inachèvement est venue au fur et à mesure du XXᵉ siècle et fait partie maintenant de notre univers.

Formes et trajectoires, conception et perception

Je pense que les plus grands compositeurs sont ceux qui ont eu un grand sens de la forme – et même de la grande forme, la forme longue – et en même temps de l’expression qui justifie ces formes. Je dois le dire, je suis très germanique pour cela. Je pense que les compositeurs d’une tradition germanique ont en eux-mêmes vraiment quelque chose qui les pousse à développer des idées organiquement, c’est-à-dire de laisser développer les idées comme se développe une plante. Il y a un philosophe français qui a très bien compris cela, c’est Deleuze quand il a écrit Rhizome. En effet, pour moi la meilleure forme c’est cette forme qui s’engendre elle-même au fur et à mesure et qui se découvre par le côté organique des choses. Les meilleurs compositeurs français – je parle de Debussy et Ravel, spécialement Debussy – ont trouvé une autre façon de tourner le problème, de faire que l’instant soit plus important que le développement lui-même. Quand il y a des instants qui sont très bien agrippés les uns aux autres, on peut aussi avoir ce sentiment de la forme et de la spontanéité en même temps. Mais c’est plus difficile dans l’univers germanique de garder cette spontanéité parce qu’on a l’impression qu’il y a un excès de calcul, un excès de prévision. Même dans Mahler – je l’ai beaucoup étudié, spécialement l’hiver dernier –, on trouve cette spontanéité et en même temps ce sens de la forme qui est absolument extraordinaire, mais qui est très complexe. Pour moi, si on s’attache seulement aux moments dans Mahler, on manque quelque chose de très important qui est la continuité. Même s’il y a des oppositions très fortes, même s’il y a des ruptures dans cette continuité, il y a quand même une continuité de la sorte, même dans la rupture. Si on se livre simplement au moment même et à l’instinct du moment, pour moi il y a quelque chose qui manque de fondamental. C’est ce que j’essaie de faire dans mes propres compositions, beaucoup sous l’influence de Wagner et de Mahler : j’essaie de poursuivre une trajectoire sur un long parcours, comme sur Incises par exemple, mais qui en même temps ait l’air complètement pensée au dernier moment. Je ne demande pas à un public qu’il comprenne la forme tout de suite. Ce que je demande, c’est qu’il comprenne la trajectoire plus ou moins. Mais je crois que la répétition de l’écoute est indispensable. Même pour une symphonie de Mahler : si vous écoutez le dernier mouvement de la Sixième Symphonie, il y a vraiment des piliers que l’on reconnaît tout de suite, et il y a des moments au contraire où on se dit « mais où il va ? » Je ne suis pas contre cela, je ne suis pas contre la perception qui, à un moment donné, non pas est découragée, mais est dans la recherche d’elle-même. Si on fait beaucoup trop cela, comme c’est arrivé par exemple quand il y avait une sorte de technique sérielle qui contrôlait absolument tout, il y avait une sorte de découragement après quelques minutes, on se disait : « je n’y comprends rien, je n’y arrive pas ». Et la perception était découragée. D’un autre côté, si vous entendez les musiques comme des musiques pop par moments où tout est formaté, où tout est prévisible d’avance, vous vous dites au bout de trois minutes : « j’ai tout compris, je n’ai pas besoin d’écouter le reste ». Il y a vraiment ces deux extrêmes en musique : ou vous êtes découragé parce que vous vous dites « de toute façon, que j’écoute ou pas, c’est le même type de perception », ou bien « c’est tellement simple que je n’ai pas besoin d’écouter ». Ce qui est important pour moi, c’est de jouer avec la perception, de la mettre en pleine lumière par moments, et à d’autres moments se dire « je ne me reconnais plus. Ah si, je suis là ! » C’est ce que j’appelle l’enveloppe. Je trouve que l’enveloppe est nécessaire, même si on ne comprend pas tout. Après, au fur et à mesure, si vous réécoutez, vous comprendrez la nécessité de cette trajectoire et la nécessité de cette enveloppe. Il y a des phénomènes qui sont plus importants, des phénomènes sonores par exemple qui sont plus importants parce qu’ils sont très forts dynamiquement parlant, et il y a des moments au contraire très doux. Ça, vous le reconnaissez tout de suite. Aussi complexe que soit la texture, si vous l’envelopper dans une évidence qui est beaucoup plus grande que les autres, votre perception commence à s’orienter déjà.

La technologie et le geste musical

Je pense que la technologie n’est pas différente de l’invention écrite à la main. La technologie permet en effet de faire des choses qu’on ne pourrait pas faire à la main : par exemple des échos très rapides, des échos « rythmisés » qui arrivent à se superposer d’une façon absolument immédiate… On ne pourrait pas faire cela avec cette précision. Avec la technologie, il n’y a pas de geste musical. Le geste se fait par l’excès. L’excès technique amène un geste d’une certaine façon. Tandis qu’au contraire le geste de l’interprète est un geste qui engendre des quantités, mais qui n’est pas basé sur la quantité. Je prends un exemple très simple que tout le monde peut comprendre : si un interprète décide d’accélérer, et si ce sont des valeurs régulières qui sont en accéléré, on peut à l’analyse les quantifier, c’est-à-dire que cette valeur aura tant de millisecondes, la seconde une milliseconde de moins, etc. Ce geste est là, mais on peut le quantifier si on l’analyse. Avec la technologie, vous ne pouvez pas faire un geste comme cela. Ce qu’il faut, c’est la quantification, et cette quantification – par exemple la diminution du nombre de secondes – va donner le geste. Il faut que vous passiez à l’envers. Avec la technologie, il faut prévoir le geste et le quantifier tandis qu’au contraire, l’interprète – et c’est ce qui fait son intérêt d’ailleurs – fait des quantifications quelquefois très difficiles à numériser, mais il a un geste qui domine absolument toutes ces numérisations.

Le Marteau sans maître (1952-1955)

La formation instrumentale [du Marteau sans maître] a été vraiment beaucoup imitée parce qu’elle était nouvelle à l’époque. Elle ne l’est plus du tout maintenant bien sûr, mais le fait d’avoir utilisé des instruments qu’on n’avait pas l’habitude de voir ensemble – des instruments de percussion comme vibraphone et xylophone, plus toutes les percussions de différentes formes, en métal, peau, bois, etc., la guitare, l’alto, et puis une voix d’alto –, un tout petit groupe d’instruments donc, mais très hétéroclite à première vue, donnait une sonorité très différente de ce qu’on avait écouté jusqu’à présent. J’ai fait moi-même la comparaison avec Pierrot lunaire, mais dans Pierrot lunaire, ce sont des instruments classiques du XIXᵉ siècle  : flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano. C’est vraiment la formation comme Brahms aurait pu l’utiliser. À ce moment-là, ce qui était important, c’est aussi que ce corps sonore soit complètement différent, et c’est ça qui a frappé tout de suite, même le public spécialisé. Et puis il y avait autre chose : il y a eu à un moment donné chez moi une espèce de volonté de rupture avec le sérialisme généralisé. On parle toujours du sérialisme, mais on oublie que cela a duré quelque chose comme six mois ou dix-huit mois tout au plus. J’avais envie de me débarrasser de cette espèce de discipline qui a été utile pour moi, à un certain moment, qui m’a aidé à trouver un vocabulaire. Mais je ne voulais pas être obligé de suivre obligatoirement cette espèce de règle dérivé de Schönberg qui consistait à avoir des permutations à n’en plus finir. Ce qui m’a intéressé, c’est d’utiliser des blocs sonores qu’on pouvait décrire d’une façon différente, que ce soit harmoniquement – puisque là, le sérialisme avait une logique d’emploi, alors qu’autrement, il n’y avait pas de logique dans les conséquences harmoniques du sérialisme très strict – et d’un autre côté de pouvoir aussi décrire ces objets différemment dans le côté mélodique. C’est pour cela que la première pièce du Marteau que j’ai écrite était la pièce qui porte maintenant le numéro trois, sur un poème de Char, et qui était pour flûte et voix. Il fallait obligatoirement écrire des lignes mélodiques, qui se correspondent, qui se complètent. C’était une des choses les plus importantes dans mon tournant à cette époque-là, et je l’ai ressenti comme tel. Ce qui a été ressenti comme tel avant tout, c’est le corps sonore, comme je l’ai dit, mais aussi la liberté et le côté pratiquement improvisé et par moments extrêmement décoratif. Par exemple le dernier solo de flûte avec la percussion métallique, les gong et tam-tam, a beaucoup impressionné au moment même, parce que c’était la première fois qu’on utilisait les sons d’une façon aussi libre, en même temps organisée, mais on ne savait pas pourquoi. C’est cela qui m’intéresse : qu’il y ait une organisation très solide au fond, mais que la description de cette organisation soit complètement laissée au dernier moment, à ce que j’appelle « l’accident ».

Poésie et musique, texte et musique

Sur les deux poèmes de René Char que j’ai choisis – Le Marteau sans maître et Le Visage nuptial –, Le Visage nuptial, et spécialement le troisième poème, qui s’intitule précisément « Le Visage nuptial », est un poème narratif. Donc vous l’utilisez narrativement et cela devient l’architecture même du texte musical. D’un autre côté, si vous avez un poème qui a deux lignes seulement, vous ne pouvez pas en faire une pièce. Il faut ou lui donner une certaine prolongation, par des mélismes –  c’est très possible, c’est le fonctionnement du plain-chant après tout, de faire sur quelques mots des mélismes d’une très grande longueur –, ou vous vous en servez comme articulation de la forme. Ce sont deux moyens dont je me suis servi dans Le Marteau sans maître. Alors que dans Le Visage nuptial, que ce soit le plus grand poème ou les autres, il y a une texture narrative très évidente.

Avec Mallarmé, c’est tout à fait différent, parce que Mallarmé était obsédé par la forme. Il utilise en particulier le sonnet, une forme très rigoureuse avec la loi pour les rimes, la loi pour les strophes, etc. Qu’est-ce que vous faites en face d’une poésie pareille qui est formellement construite et contraignante ? Et bien, vous vous rapportez à cette forme et vous tâchez de lui trouver un équivalent. Si vous avez, par exemple, des rimes d’un tel type, vous utilisez le mélisme, la forme mélismatique, c’est-à-dire la forme allongée et ornementée d’une mélodie. Au contraire, dans un autre type de rimes, par exemple, les vers aa, ou bb, ou abab, vous utilisez à ce moment-là ce qu’on appelle la forme syllabique. Ce sont les deux formes du chant les plus simples : ou c’est mélismatique, ou c’est syllabique. Vous n’avez pas d’autre possibilité. Vous pouvez jouer avec cela, bien sûr, mais ce sont les deux extrêmes. Je me suis servi de cela, en particulier dans l’Improvisation sur Mallarmé II : cette alternance de mélismes et de syllabisme. Dans la troisième improvisation, je ne pouvais pas reproduire exactement ce que j’avais fait dans la seconde. Là, c’était le type de forme : le vers qui correspondait à telle rime correspondait à un tel type d’idée musicale qui se développait d’une certaine façon. J’utilisais cette rime comme fonction de la forme, elle définissait la forme par la fonction du vers. Donc on ne réfléchit pas de la même façon suivant le poème que vous rencontrez. 

Qu’est-ce qu’on transmet en musique ? On ne transmet pas le sens d’un texte, on transmet sa propre conviction. Vous pouvez avoir une conviction en des pensées les plus horribles, si vous l’affirmez, qu’est-ce qu’on va retenir de la musique ? C’est votre affirmation. C’est, je crois, Boris de Schlœzer qui a écrit une fois que si vous dites « non credo » ou « credo » avec la même autorité, le « non credo » est aussi convaincant que le « credo ». Si, au contraire, vous faites une déclaration musicale qui n’est pas très importante, même si ce que vous dites est important, cela ne passera pas comme important. C’est pour cela que je ne crois pas vraiment à l’engagement du texte dans la musique. Bien sûr, vous lisez le texte, vous dites : « Oh, merveilleux, c’est engagé ». Mais pas du tout, parce que la musique ne transmet absolument rien de cet engagement. La musique transmet simplement votre autoritarisme ou votre manque d’autorité. Point final. Ce qui est tout de même très limité à mon avis.

L’espace sonore – Rituel (1974-1975)

Pour moi, Rituel ne peut être qu’avec le public au centre. Le chef d’orchestre, qui donne tous les signaux – c’est très important et ce n’est pas commode du tout, je peux vous l’affirmer –, doit être au centre de l’action et tous les différents groupes instrumentaux tout autour. Il y a un groupe instrumental principal – le groupe des cuivres et des percussions métalliques –, c’est très important qu’il soit comme une référence à un bout, pas de la scène, mais de la salle, parce que cela doit être donné dans un espace absolument vide, où les gens peuvent passer comme ils veulent, s’ils sont à l’intérieur d’un cercle. Et pourquoi cela ? Parce que les groupes ont des vies rythmiques complètement différentes. Il y a un chef d’orchestre par groupe : c’est le percussionniste, qui donne la mesure du temps à chaque fois. Si les groupes sont trop près les uns des autres, ils n’arrivent absolument plus à être indépendants. Tandis que s’il y a une grande différence d’espace entre eux, on a comme ce qu’il y a dans certaines processions, quand des groupes qui viennent de différentes rues se décalent les uns par rapport aux autres. Même s’ils voulaient être ensemble, ils ne le pourraient pas. C’est là-dessus que j’ai joué, par l’expérience de la distance par rapport à un auditeur. Pour Répons, c’est exactement la même chose. Là, au centre, il y a des instruments qui sont non transformés par la technologie et en pourtour, il y a tous les solistes qui sont transformés par la technologie de l’ordinateur. Le public se trouve complètement englobé dans l’espace sonore.

L’Opéra

J’ai beaucoup réfléchi à l’opéra, spécialement avec deux auteurs. L’un était Jean Genet, qui était intéressé par faire quelque chose à un moment donné. Quand il est mort, j’ai beaucoup discuté avec Heiner Müller aussi, qui a une expérience du théâtre très grande. Je trouve que le théâtre et l’opéra, surtout dans le domaine occidental, se privent de beaucoup de choses qui seraient possibles. Pour cela, j’apprécie énormément le théâtre de l’Orient en particulier. Pourquoi ? Parce qu’il utilise par exemple des musiciens visibles. Dans le bunraku, vous avez ces marionnettes, qui sont aussi grandes que des personnes réelles pratiquement, et vous avez la musique et le texte faits par deux musiciens tout à fait visibles. C’est si fatigant qu’il y a un roulement tous les quarts d’heure ou toutes les vingt minutes : le lecteur change. Vous êtes très au fait de cette différence entre le réalisme et l’illusion parce que le lecteur fait tous les rôles. Il prend une voix aiguë pour les femmes, il prend une voix plus grave, il hurle pour les combats, etc. Vous avez tout ce réalisme de la diction qui s’applique à l’irréalisme total des marionnettes. Ça, c’est quelque chose qui est très passionnant. Il y a le théâtre d’ombres aussi qui est absolument merveilleux. Il y a beaucoup de choses comme cela. Et avec la technologie qu’on emploie pour la musique maintenant, on pourrait justement trouver des équivalents à ces différentes formes de théâtre. Les compositeurs ont été assez peu inventifs du point de vue théâtral, parce qu’ils se sont toujours confiés aux mêmes conventions : les conventions de l’opéra du XIXᵉ siècle que je trouve pour moi insatisfaisantes. Mais c’est très difficile parce que les contraintes qu’impose une maison d’opéra – j’entends l’architecture de la maison elle-même – sont extraordinairement fortes, extraordinairement lourdes, et c’est très difficile de s’en débarrasser. C’est pour cela que je regrette, non pas avec des larmes de sang, mais presque, la faillite de la salle modulable de l’Opéra Bastille qui aurait permis justement d’avoir des conditions adéquates, différentes, pour pouvoir essayer des emplacements différents de ce qui est usuel dans l’exploitation de l’opéra.

La direction d’orchestre

Je suis toujours pour faire quelque chose et pour réagir. C’est pour cela qu’à un moment donné, comme l’occasion m’a été fournie – par Jean-Louis Barrault à l’époque, dans son petit théâtre expérimental – de faire des concerts, j’ai saisi l’occasion. Si, de temps en temps, on a pu payer Scherchen, par exemple, qui était là, dans d’autres circonstances, on n’a pas pu. Pour faire ces concerts, que j’organisais, quel était le chef d’orchestre qui coûtait le moins cher, et même rien du tout ? C’était moi. Donc j’ai appris comme cela, simplement. Quand, encore récemment, on m’a demandé : « qu’est-ce qu’il faut faire pour apprendre la direction ? », j’ai répondu : « mais diriger tout simplement ». Ce n’est pas comme un instrumentiste qui peut travailler chez lui sa clarinette ou sans trombone, son piano, son violon. Là, vous ne pouvez apprendre que si vous travaillez avec les autres. Même si cela approche l’amateurisme, au moins vous apprenez de cette façon-là. Moi, j’ai appris en dirigeant tant bien que mal, et plutôt mal que bien au départ, les œuvres de ma génération. Au fur et à mesure, bien sûr si vous avez un certain don, vous apprenez assez vite parce que vous ne pouvez pas supporter que quelque chose ne marche pas. Et vous voyez tout de suite quand quelque chose ne marche pas. Donc vous rectifiez votre geste. Surtout, on était entre camarades, parce que nous étions tous du même âge à peu près, ou à quelques années près, et ce sont des musiciens qui voulaient faire quelque chose. Donc on était tous inexpérimentés, et on apprend ensemble. Il n’y a pas le problème de quelqu’un qui se croit supérieur ou inférieur.

Au départ, j’ai dirigé de tous petits groupes. J’ai su ce que je devais faire par rapport à ces groupes. Quoique pour diriger la première fois Le Marteau sans maître, j’aime autant vous dire que j’ai vraiment beaucoup transpiré pour faire les gestes qui étaient convenables, que mes musiciens comprenaient. Au fur et à mesure, j’ai eu l’occasion de diriger à la place de Rosbaud, quand il était malade. C’est toujours le même business, si je peux dire, pour les chefs d’orchestre : un chef d’orchestre tombe malade et on vous demande de le remplacer au pied levé. Ma réaction – c’était pour Donaueschingen, je me souviens, en 1959 – a été : « Est-ce que je le fais ? Est-ce que je ne le fais pas ? » Et le directeur de la musique du Südwestfunk de la radio de Baden-Baden m’a dit  : « Il faut que vous veniez parce que nous n’avons personne ». Alors je me suis dit : qu’est-ce que je risque ? Si je fais bien, j’aurai sauvé le festival, si je fais mal, on dira : « bon, il a essayé, c’est très gentil de sa part, mais ça ne va pas plus loin ». Donc on risque les choses. Et là, en 1959, ça a très bien marché et je me suis rendu compte moi-même que j’avais des ressources que je ne connaissais pas, que j’ignorais pratiquement. J’avais dirigé des œuvres où je savais que personne ne s’aventurerait comme Allelujah de Berio, la Petite Sérénade de nuit de Roman Haubenstock-Ramati, etc. Ce sont des œuvres que personne ne connaît, si je suis un peu flou, ça passera. Mais il y avait tout de même la suite du Mandarin merveilleux, et là je ne pouvais pas me permettre le flou du tout. Je dois dire aussi que j’ai bénéficié de la préparation de Rosbaud qui est tombé malade au dernier moment. Il avait préparé ce programme, donc je n’ai eu qu’à m’insérer dans ce programme déjà préparé. Ce qui aurait été plus difficile autrement. À partir de là, j’ai commencé à diriger les orchestres des radios allemandes dans le répertoire contemporain que peu de chefs faisaient à ce moment-là. C’est comme cela qu’après j’ai dirigé Wozzeck à Paris, en 1963. L’assistant de Wieland Wagner a assisté à cette représentation, il m’a invité à Bayreuth pour diriger Parsifal en 1966, et c’est ainsi que cela s’est poursuivi. Après j’ai dirigé le Concertgebouw à Amsterdam parce que Rosbaud était malade, il était mort même cette fois-ci – il est tombé malade puis il est mort. Après j’ai dirigé le BBC à Londres, puis j’ai dirigé à Cleveland, à New-York, etc. Mais cela s’est fait sans que je lève le petit doigt… enfin, j’ai bien levé la main pour diriger, mais pas le petit doigt pour accrocher les managers, certainement pas.

Je crois qu’au plus pratique, j’ai trouvé les gestes qui correspondaient à ce que je voulais entendre, tout simplement. C’est aussi un de ces conseils que je donne aux chefs qui travaillent avec moi, par exemple dans l’Académie à Lucerne. Je leur dis : « vous voulez entendre quelque chose : chantez-le pour vous-même, que ce soit rythmiquement ou mélodiquement, etc., et vous verrez que certains gestes vous montreront immédiatement leur inefficacité. Une fois que vous l’avez préparé, même si vous croyez que c’est le bon geste, si vous voyez que non, essayez de le rectifier et voyez comment on peut le faire autrement ». C’est pour cela aussi que je pense que la direction d’orchestre ne s’apprend pas, je veux dire ne s’enseigne pas ou s’enseigne très peu. C’est comme une voiture : vous apprenez à démarrer, à changer de vitesse et à mettre le frein surtout, ce qui est très important. Là c’est la même chose : vous avez des gestes très simples. 

Un chef d’orchestre n’a pas besoin de travailler son instrument si je peux dire. Si un violoniste s’arrête pendant un an, il aura du mal à recommencer, les premiers jours seront douloureux. Il retrouvera bien sûr sa technique, mais il y a quelque chose qui est, musculairement, dangereux. Tandis qu’un chef d’orchestre, musculairement, qu’est-ce qu’il a à faire ? Il a à faire des gestes, oui, d’une assez grande précision, mais cela s’apprend en trois minutes, tout simplement ! Ce qui ne s’apprend pas c’est, premièrement, que le geste soit efficace, ça c’est vraiment important. Deuxièmement, c’est transmettre la connaissance que vous avez de la partition en termes pragmatiques. Quelquefois il y a des gens qui sont très doués du bras mais qui n’ont rien à dire, alors pendant la répétition on répète, on recommence, mais les musiciens veulent savoir : « qu’est-ce que je dois faire de différent ? ». Ou bien si vous dites : « Ah, l’intonation, ce n’est pas bien, là ». Oui, mais qu’est-ce qui n’est pas bien ? « Ah bien, je ne sais pas exactement, vous regarderez ». Alors évidemment, personne ne vous croit à ce moment-là. Quand vous savez ce que vous voulez, que vous avez votre cerveau bien établi dans la partition, mais que le geste ne marche pas, là, c’est très difficile parce que vous ne savez pas transmettre votre savoir. Transmettre son savoir, c’est transmettre en des termes tout à fait pragmatiques. Et surtout quand vous avez des partitions qui sont difficiles rythmiquement, le musicien doit regarder sa partie. Il ne regarde pas tout le temps ce que le chef fait parce qu’il doit lire les notes qu’il joue. Si vous avez des gestes qui sont imprécis, qui ne sont pas géométriquement établis – avec une certaine souplesse bien-sûr –, si le musicien relève la tête et que vous êtes quelque part dans le ciel ou dans les enfers, le musicien se dit : « Mais qu’est-ce qu’il fait ? Où en est-on ? ». C’est vraiment le grand danger des musiques qui sont rythmiquement très cohérentes. Si vous dirigez – je prends un exemple classique – Le Sacre du printemps, et si personne ne sait où vous en êtes du 1er, du 2e ou du 4e temps, surtout des temps inégaux, l’orchestre va commencer à vaciller et très souvent à casser aussi.

Le plus difficile aussi pour moi, en particulier dans Éclat par exemple, c’est quand vous devez faire des gestes improvisés – pas improvisés complètement, mais improvisés dans leur succession en particulier. Là, il faut se rappeler exactement où sont les musiciens. Quelquefois dans un orchestre symphonique, surtout si vous avez une tournée, la clarinette est plus à gauche, le hautbois plus à droite, donc vous hésitez, mais vous retrouvez très vite l’endroit. Tandis que dans ces œuvres où le chef doit décider vraiment de ce qui est joué, à ce moment-là c’est absolument capital de savoir très précisément, même sans regarder, où sont les musiciens. Si vous avez ne serait-ce que cinq ou six musiciens à diriger de cette façon-là, si vous ne les avez pas enregistrés d’une façon très précise, vous serez dans l’incapacité de mener votre œuvre avec la spontanéité qui est nécessaire.

Ça a l’air prétentieux de ma part, mais je ne me suis jamais fixé de modèles parce que je n’en avais pas envie. Je trouvais que ma réflexion sur les partitions me nourrissait suffisamment. Le seul que j’ai vu travailler vraiment, c’était Rosbaud. Cela m’a servi d’un certain point de vue, spécialement à organiser les répétitions. Mais au départ vous êtes non pas maladroit, mais vous ne savez pas comment organiser le temps, et ça c’est une des choses qui est capitale : organiser le temps de la répétition. De savoir – je crois que c’est Richard Strauss qui disait cela – ce qui s’améliorera, automatiquement, et ce qui se détériorera automatiquement. Il faut savoir exactement ce que je dois travailler, ce qui ne s’améliorera pas si je ne le fais pas. Savoir là où, peut-être, quelques musiciens se sont trompés, mais où la seconde fois ils ne se tromperont plus. Il y a un degré de difficulté qu’il faut savoir apprécier très vite. Quand vous êtes jeune – parce qu’on n’a pas la mémoire de cela, on n’inscrit pas les fautes dans sa mémoire –, vous vous arrêtez tout de suite s’il y a une faute. Vous faites une mesure, puis vous faites cinq mesures…, si bien que cela agace tout le monde, premièrement. Deuxièmement, vous ne donnez pas le sens de la continuité, alors qu’il est très important pour les musiciens d’avoir cette continuité, et qu’après, vous-même, vous vous rappeliez : ce passage-là, il faut que je le retravaille. Vous avez une mémoire rétrospective, et cette mémoire-là est difficile à acquérir au départ, parce que vous avez tendance à vous arrêter à chaque fois qu’il y a un petit accroc. 

Il y a une dynamique qui est importante. Il faut que vous ayez la tension pour cent personnes – ce n’est pas cent fois la tension pour une personne, bien sûr. La tension peut être très calme, ou bien il peut y avoir une tension dans l’agogique, dans la force, dans la vitesse et la brutalité. Il faut que vous changiez. Surtout – car cela peut arriver dans un concert qu’il y ait une petite faute –, il ne faut pas faire une grimace parce qu’il n’y a rien de pire pour le musicien. Il sait très bien lui-même qu’il a fait la faute, alors pourquoi le lui faire remarquer ? Au contraire, il faut dire : « très bien, j’ai entendu ». Et si vous avez l’occasion de rejouer cette pièce, au moment même vous allez le regarder et lui dire : « Attention, pas une seconde fois ». Et tout le monde le comprend, parce que vous faites attention. Pourquoi a-t-il fait cette faute à ce moment-là ? C’est inexplicable. Nous-mêmes quelquefois comme chef on fait une faute à un endroit qui est tout à fait inattendu, et il faut savoir aussi qu’on est mortels comme les autres.

Si on me disait : « on vous a assez vu, vous ne dirigez plus, ça vous reposera », je dirais : « très bien, parfait ». Cela ne me gênerait pas du tout, et c’est à ça que je ressens que l’interprète en moi n’est pas une nécessité : c’est une fonction, qui a été très importante, qui m’a beaucoup apporté je dois le dire, qui m’a modifié, qui a modifié mon point de vue en particulier sur ce qui est possible, ce qui n’est pas possible. Je sais mieux ce qui est possible et je peux l’utiliser avec davantage d’audace. Alors qu’autrefois je trouvais que ce qui est impossible est possible, mais on ne le réalise malheureusement presque jamais, la proportion d’exactitude est trop faible. À part cela, c’est un bonheur quelquefois de diriger – surtout avec des orchestres de tout premier plan, parce qu’on a une réponse qui est tout à fait valide et valable –, mais autrement je peux passer très bien deux mois sans diriger – comme je vais passer cet hiver –, je me sentirais tout à fait à l’aise.

Enseigner

Je me suis beaucoup appuyé sur l’analyse. Une journée se divisait en deux points. Il y avait la classe d’analyse le matin, où c’est moi qui analysais mais suivant le principe universitaire : j’avais décidé par exemple de m’en tenir pendant trois mois uniquement à Wozzeck – il y a de quoi faire vous me direz, cela peut bien tenir trois mois en effet –, je me focalisais sur une œuvre qui me permettait de voir un compositeur dans le détail – parce qu’à partir de Wozzeck on pouvait voir toute la personnalité de Berg, ses antécédents et ses conséquents. L’après-midi, où il y avait la classe de composition, avant que les élèves ne montrent les œuvres qu’ils étaient en train de faire, je leur demandais : « voilà quelques mesures de Pierrot lunaire, faites-moi une analyse de ça ». Non pas une analyse du genre : « la phrase qui commence ici, qui dure trois mesures, et puis il y a une autre phrase qui correspond…etc. », cela ne m’intéressait pas du tout. Ce qui m’intéressait c’était de voir ce qu’ils en tiraient, comment ils pouvaient faire une analyse déductive, et qui soit intéressante du point de vue de leur personnalité. Là c’était beaucoup plus difficile parce que je ne leur demandais pas d’analyser une pièce entière, mais seulement quelques mesures, et de me dire ce qui faisait l’originalité du style, ce qui organisait l’écriture de ces quelques mesures. Il y avait peu de gens au départ qui pouvaient répondre d’une façon vraiment intéressante, et surtout sur les conséquences qu’ils pouvaient en tirer. Cela a été vraiment important.

D’autres fois – comme les cours étaient à des dates assez rapprochées, mais que je choisissais moi-même –, je leur donnais un modèle, une espèce de matériau assez brut, et je leur disais : « on se rencontre dans trois semaines, et on compare ce qu’on a fait avec ça ». Ce qui était important parce que moi-même je me mettais en jeu aussi. Je comparais ce qu’ils avaient fait, non pas que j’étais le meilleur, mais je leur disais : « moi j’en ai tiré telles conséquences, et vous ? » J’ai pris cette forme d’enseignement en lisant le livre de l’enseignement de Paul Klee au Bauhaus, quand il fournissait à ses élèves des données très simples et qu’il donnait lui-même des réponses après avoir proposé ce problème aux élèves. C’était vraiment très intéressant. Je me souviens en particulier d’une chose très simple. Il leur donnait un cercle et une droite : « qu’est-ce que vous faites avec ça ? » Il y en a qui avaient répété le cercle et la droite, et il leur disait : « c’est comme si vous aviez posé des bâtons de bois sur des boîtes de conserve ». Et c’est vrai, cela n’avait aucun côté organique. Tandis que lui disait : supposons qu’il y ait un cercle, et que la ligne veuille traverser le cercle. Si elle est plus forte, c’est le cercle qui est déformé, et il devient une espèce de cardioïde. Mais si au contraire la droite est plus faible, elle est transformée en espèce de zigzag par le cercle qui est beaucoup fort, et elle ressort droite. Il a fait de cela un tableau qui s’appelle Visage traversé par la foudre. Ce qui est extraordinaire c’est qu’il y avait un problème purement technique que lui-même a résolu, et auquel il a donné une résonance poétique. Je trouve que c’était la meilleure façon d’enseigner, parce qu’on se met soi-même dans le cas de son propre enseignement.

Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui ne sont pas faites dans les conservatoires, parce qu’il n’y a pas le temps – quelquefois pas la volonté non plus, mais souvent parce qu’il n’y a pas le temps –, parce qu’il y a beaucoup de choses à apprendre, et il faut les apprendre avant d’aborder certains problèmes qui sont différents, plus ardus, ou d’une nature étrangère à ce qui s’est passé avant vous. Là, les séminaires sont une activité compensatoire. Les séminaires d’une durée limitée sont le meilleur moyen pour apprendre cela. D’abord parce que les gens sont concentrés par exemple pendant trois semaines – comme à Lucerne – sur un certain nombre de problèmes. Il y a un certain nombre de partitions qu’on doit jouer et, aussi bien pour les chefs d’orchestre que pour les instrumentistes, il faut savoir expliquer ce qu’on sait, et ce qu’on pense, d’une façon simple, le transmettre en termes pragmatiques. C’est quelquefois difficile. Il faut avoir un certain filtre dans l’esprit pour transformer une pensée en geste. C’est le problème des acteurs aussi, et des metteurs en scène. Je l’ai éprouvé encore récemment en voyant une mise en scène d’opéra : le metteur en scène réfléchit beaucoup, il me fait participer quelquefois à ses réflexions, et je vois comment il transfère ce qu’il a pensé par un geste. Pour la musique, il y a une grande similarité, et quand des jeunes sont désireux d’apprendre quelque chose, c’est notre devoir de les former à ces nouvelles techniques, à ces nouvelles façons de penser, d’agir même.

Création de l’IRCAM (1969) et de l’Ensemble intercontemporain (1976)

Il y a eu dans ce qu’on a appelé la musique concrète, etc., beaucoup de bricolage, du bricolage poétique, mais ce n’est pas suffisant pour créer un langage musical. Je me suis très vite rendu compte que c’était insuffisant. J’ai suivi ce qui se passait à ce moment-là en Allemagne principalement, et je voyais progressivement naître des moyens technologiques qui correspondaient vraiment à un niveau intellectuel beaucoup élaboré, et qui puisse suivre la pensée musicale. Donc quand le moment est venu, surtout quand j’étais à New-York aussi, j’ai naturellement pris des contacts avec des personnages qui étaient très intelligents et très intéressants, et qui s’occupaient du développement de la technologie, en particulier de la technologie musicale. C’est à ce moment-là que j’ai compris la nécessité de la réalisation de l’IRCAM pour amener du professionnalisme – ça a l’air prétentieux mais c’est tout de même le but – dans quelque chose qui risquait de tomber dans les mains de bricoleurs. J’ai été intransigeant sur ce plan-là, et je pense que l’intransigeance a payé d’ailleurs, parce qu’on s’est rendu compte au fur et à mesure qu’avec le bricolage on n’irait pas très loin.

J’ai pensé en effet qu’il fallait un antre si je peux dire, pour que les compositeurs puissent réfléchir, qu’ils puissent travailler avec des techniciens ou des gens de la technologie sans avoir à délivrer fatalement quelque chose, qu’ils puissent travailler simplement dans la recherche. Il fallait quand même de temps en temps qu’il y ait des résultats. Et ces résultats, je ne pouvais les donner que si j’avais un corps sonore à ma disposition, donc l’Ensemble intercontemporain est né immédiatement de cela. Il avait deux raisons d’être : d’abord de faire connaître le répertoire du XXe siècle, le répertoire non technologique même, le répertoire purement instrumental ou vocal, et de travailler en relation avec l’IRCAM au cas où il y aurait des œuvres à produire qui nécessitent la technologie de l’IRCAM. De même qu’il faut une main droite et une main gauche, il fallait deux mains pour cet outillage musical. C’est pourquoi j’ai demandé à créer les deux pratiquement dans le même temps. Il s’est trouvé qu’il y avait Pompidou qui a agrégé l’IRCAM à son Centre d’art contemporain, et d’un autre côté Michel Guy qui a trouvé que la nécessité de faire un ensemble hautement professionnel pour l’interprétation de la musique contemporaine était indispensable. Cela a bénéficié de circonstances favorables. Cela m’a permis de rentrer en France – ce n’était pas mon principal objectif du tout, je vivais très bien à New York ou à Londres – mais ce qui était important était de pouvoir établir ce rapport entre essai, invention, création et interprétation. Sans l’IRCAM je n’aurais jamais fait ni Répons, ni …explosante-fixe…, ni Anthèmes 2 certainement.

Le Magazine
  • Dire la musique - Paroles d'artistes : un podcast de la Philharmonie de Paris
  • Propos enregistrés en juillet 2007