J’ai commencé ma carrière de chanteuse à l’âge de 17 ans avec Michel Puig, un musicien de « musique contemporaine ». J’ai travaillé trois ou quatre ans avec lui. Cela s’appelait du théâtre musical, on y travaillait toutes les sonorités de voix qui n’étaient pas celles du chant classique, opératique : les voix à l’envers, les voix hautes, les cris, etc. J’ai également eu la chance de travailler avec Iannis Xenakis, il cherchait une voix lui rappelant celle des paysannes grecques. Il était entouré de personnes issues du milieu classique, donc il ne savait pas où trouver le type de voix qu’il souhaitait. Nous avons eu la chance de nous rencontrer.
Le nom « Mitsouko » est inspiré d’une femme de Music hall au nom un peu amusant. J’avais établi une liste à partir des parfums de Guerlain : « Tonka Shalimar », « Rita Mitsouko ». C’est Fred qui a sélectionné ce nom parmi toutes les propositions. Je lui ai dit : « Mais tu sais, on va penser que c’est moi la chanteuse “Rita Mitsouko” ». Fred m’a répondu : « Oh, ce n’est pas grave ». Finalement, nous nous sommes appelés « les Rita Mitsouko ». Bien que pendant une période il se nommait « Rita » et moi, « Mitsouko ». Mais, alors, c’était encore plus compliqué.
Fred Chichin a commencé par la musique électroacoustique : en enregistrant des sons, en coupant les bandes pour réaliser des montages. Il collaborait beaucoup avec Nicolas Frize. Il jouait du rock avec sa guitare électrique et était également passionné par les synthétiseurs, à la fin des années 1970. À l’époque, c’était inconnu du grand public. Il m’a même raconté qu’il avait été l’un des premiers à ramener un EMS VCS3 de Londres. Je ne sais pas si c’est vrai, il faudrait demander à Jean-Michel Jarre. Fred en aurait ramené un pour lui et un autre pour Jean-Michel Jarre. On pourrait dire que nous étions, avec Fred, complémentaires. Lui était un excellent technicien. Il se passionnait pour les innovations musicales, les techniques d’enregistrements sonores. Il s’intéressait aux sampler, qui ont reproduit cette façon d’enregistrer les sons réels pour créer de la musique.
Fred était un ingénieur du son en plus d’être guitariste. Moi j’étais un peu instrumentiste : je jouais de la flûte à bec depuis que j’étais gamine, des claviers de temps en temps, mais toujours très autodidacte. Tout comme lui. Nous nous sommes bien retrouvés. On peut dire que nous étions parfaitement complémentaires puisque nous faisions de la musique de manière différente. J’écrivais les textes et lui s’occupait de la prise de son. La composition, les musiques, nous les faisions tous les deux, chacun avec sa spécialité.
À l’époque, dans la région parisienne, il y avait très peu d’endroits où nous pouvions jouer. Forte de mon expérience dans le café-théâtre, les spectacles musicaux où nous pouvions avoir des bandes-son qui nous accompagnaient, j’ai dit à Fred que nous pouvions très bien avoir des parties enregistrées de notre musique. C’est à partir de ce moment que nous avons commencé à vraiment tourner. Lorsque nous étions tous les deux, il jouait de la guitare, et moi un peu de clavier ou un peu de basse, avec un magnétophone posé sur une chaise au milieu, qui était un robot en quelque sorte. C’est là que nous avons commencé à avoir une carrière, à pouvoir vivre de notre musique. On a souvent dit qu’on était des artisans car on bricolait tout nous-mêmes, c’était de l’artisanat.
Au niveau du texte, certaines chansons sont un peu mystérieuses. J’appréciais cet aspect hermétique, que le côté gai et fleuri cache quelque chose d’atroce ou de douloureux. Ce style faisait partie de mon écriture et c’est normal que beaucoup de personnes ne l’entendent pas. Ce sont des choses qui arrivent dans la vie : on peut passer à côté de la souffrance comme de la joie. Dans mes textes il y a cet aspect multifacettes. Une chanson comme « Marcia Baïla » parle des deux côtés, on peut entendre l’un ou l’autre. « Le Petit Train » aussi. Il faut faire attention pour capter certaines choses dans ces chansons, on peut également capter d’autres éléments sinon.