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Alexandre Astier - Dire la musique

Publié le 15 mai 2025 — par Le Magazine

Si le succès de Kaamelott a révélé le talent comique d'Alexandre Astier, on connaît moins sa passion pour la musique. Autour des représentations de son spectacle Que ma joie demeure, l’auteur, acteur et réalisateur nous livre ses réflexions sur Bach mettant en lumière à la fois son génie musical et ses préoccupations quotidiennes.

Bach et moi

Alexandre Astier, interprétant Bach, joue au clavecin.

Bach, j’ai l’impression qu’il lance ses pistes comme ça. Il lance ses voies. Il en lance une, deux, trois, quatre et sa fugue se fabrique. J’ai l’impression qu’il est juste là en train de vérifier que tout se passe bien. J’ai presque l’impression que ce n’est pas lui qui le fait. Dans cette façon de dire : « Je ne sais pas si ça va être beau ou pas beau ou peu importe, ce que je sais c’est que ça va être vrai ou juste. » Je ne sais pas quel est le bon terme.

Mais cette façon qu’a le contrepoint rigoureux de cette époque-là, et surtout par lui, de se développer de manière presque autonome, je trouve ça proprement fascinant. Plus que quelqu’un qui chercherait à faire plaisir à mes oreilles.

« Un peu d’harmonie, maintenant. Écoutez, ma foi. Il y a des accords qui sont beaux comme ceci. Voilà, ça c’est beau, c’est des beaux accords, et il y a des accords qui sont moches. Par exemple, celui-là est moche, ça c’est moche, ça c’est moche aussi… Bon, il me semble qu’on a déjà bien fait le tour. »

Bach et le trivial

Dans le livre de Cantagrel toujours, on a affaire au trivial. C’est-à-dire que là c’est reporté, c’est rapporté par écrit. Mais il était dans des situations comme on l’est tous, c’est-à-dire qu’il a une position d’expert et du coup il a en face de lui des gens qui voudraient qu’il ait raison et des gens qui voudraient qu’il ait tort. Et du coup, il se retrouve dans ce genre de truc là et il ne se trouve toujours pas assez payé pour ce qu’il fait. Et ça donne des situations qui sont, pour moi, hyper quotidiennes.

« Allez, une petite place, hop ! »

Alexandra Astier chantonne.

« Oh ! C’est Johann Christoph qui pleure là. Comment, non ? Je suis désolé j’entends très clairement Johann Christoph pleurer. »

Bach au quotidien

Dans toute grande mythologie, il y a forcément eu un quotidien. Dans Kaamelott que je continue de faire, c’est vraiment le principe. Les grands mythes ont toujours un quotidien. Même si on parle du Graal, il y en a toujours un qui n’a pas vraiment compris ce que c’est, il y en a toujours un qui est un peu crevé et qui a autre chose à faire, il y en a un pour qui c’est pas le moment, un qui a trop envie, un qui veut se faire bien voir. Je trouve qu’il n’y a pas une situation sur Terre, si fantasmée soit-elle, qui échappe à ce système. Et Bach c’est pareil. Bach, effectivement, il a dû faire des expertises d’orgue qui n’avaient rien de fantasmé, qui n’avaient rien de génial. Ce n’est pas des moments où il a composé ses grandes œuvres, ce sont des moments où il a gagné sa vie.

« Quand je pense, quand je pense au boulot que je me tape pour vous écrire des trucs et des machins, tous aussi beaux les uns que les autres et que je vois la pisse que vous me faites avec, je me dis que j’aurais mieux fait d’élever des volailles plutôt que de faire musicien. Méfiez-vous parce que c’est pas encore trop tard pour que je m’y mette. Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a mon père ? Je dérange le culte ? J’essaye de l’arranger, figurez-vous. »

Il était maître de musique et devait donc enseigner le latin et des matières qui ne l’intéressaient pas du tout. Il devait faire les services funéraires, les mariages, les baptêmes. Il devait organiser les dimanches. Donc il devait trier ses élèves, ceux qui étaient capables de chanter, ceux qui n’étaient pas capables de chanter. Il devait faire de la discipline, il devait faire des tas de choses qui l’enquiquinaient vraiment beaucoup.

Mais l’argent est une notion qui revient très souvent. Le statut de sa position. C’est pour ça qu’il change de ville. C’est pour ça qu’il accepte des postes plutôt que d’autres. Et entre le prestige musical de la ville à cette époque-là et ce qu’on lui offre… On parle beaucoup de Leipzig. En tout cas, la pièce prend place au moment où il est à Leipzig, donc la dernière ville dans laquelle il a officié. C’est celle où la musique était la plus rigide, j’ai l’impression. Ce n’était pas du tout un endroit souple où on le laissait créer comme il voulait, en le déchargeant de tout ce qui était des basses œuvres. Non, non, c’était probablement un de ses emplois les plus rigides.

Un spectacle pour tous

De ma part, le fait de le jouer ici comme ailleurs, c’est l’assurance qu’il n’y a pas plusieurs musiques. Pour avoir fait un cursus extrêmement classique d’apprentissage de la musique, puis un peu moins avec les écoles de jazz, les choses comme ça, il y a quand même une petite… pas une rétention d’information, mais quand même il y a deux catégories en France. Il y a les musiciens et les non-musiciens. Il n’y a pas de tradition musicale de monsieur et madame Tout-le-monde et je trouve qu’on a la musique intimidante.

Il y a beaucoup de gens que vous rencontrez qui disent : « Moi la musique, j’aurais bien aimé. » Mais ils ont peur, ils ont peur de ces salles. D’ailleurs, quand j’étais gamin, ces salles me faisaient peur, ces pianos me faisaient peur, c’est trop grand, c’est trop noir.

Ma présence ici, pourquoi pas ? Ce serait de dire qu’il n’y a pas de mauvaise façon de parler de la musique. Et je pense que le rire et la musique et le drame, parce qu’il y en a un peu dans la pièce, c’est la même chose. Il n’y a rien à s’interdire.

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