Philharmonie de Paris - Home Page Philharmonie de Paris - Home Page

L’odyssée transatlantique de ConstelNation

Publié le 20 August 2025 — par Louis Michaud

— ConstelNation - © Florent Wattelier

Sous la houlette de l’association The Bridge, dont la vocation est de rapprocher les scènes des deux continents, le quintet ConstelNation compose un tableau improvisé de mille et une couleurs.

Un saut dans l’inconnu

Lorsque le quintet se retrouve gare de Lyon, vendredi 24 janvier 2025, quelques heures avant un concert inaugural à Vitrolles, l’heure est aux présentations. La clarinettiste et multi-instrumentiste Angel Bat Dawid, le flûtiste Magic Malik, le guitariste Richard Comte, le batteur Toma Gouband et le contrebassiste Nick Macri, il y a encore peu, ne se connaissaient ni d’Ève ni d’Adam – exception faite pour Malik et Toma qui avaient déjà enregistré ensemble. Deux Chicagoans et trois Français réunis pour une tournée hexagonale dont la spontanéité sera le maître-mot. En effet, à peine sortis du TGV, c’est au moment de monter sur scène pour les balances que chacun peut brièvement exposer aux autres la singularité de son jeu. Les instrumentistes se découvrent ainsi mutuellement. Puis vient le tutti, pour finaliser le mix du live : la toute première fois que le quintet improvise ensemble. Le jazz comme grammaire commune, certes. Mais tout ceci ressemble à un grand saut dans l’inconnu. Une chose est certaine : « Les graines plantées pendant les balances ont immédiatement commencé à germer sur scène, résume Magic Malik. Ce Bridge-là a tout de suite pris. »

— ConstelNation - © Gérard Tissier

Improvisation collective

Des formations de ce genre, il en existe une nuée, ou presque, réunies sous la houlette de The Bridge, organisation fondée en 2013 par l’anthropologue Alexandre Pierrepont, spécialiste de l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), emblématique « coopérative » du free jazz de Chicago fondée en 1965. En plus d’une décennie, The Bridge s’est attaché à rapprocher les scènes des deux continents, en créant des quartets ou quintets « franco-chicagoans » amenés à tourner de chaque côté de l’Atlantique avec toujours cette même idée : celle de créer de nouvelles associations musicales sous le signe de l’improvisation collective. Ainsi, l’on a pu assister à la rencontre des batteurs Edward Perraud et Makaya McCraven (figure de proue de l’excellent label International Anthem) au sein du quartet Twins. Un exemple parmi tant d’autres à découvrir, pour ceux qui n’ont pu assister aux concerts, par les enregistrements de The Bridge Sessions, label retraçant chacune de ces aventures éphémères.

Les routes de la liberté

Mais revenons à notre quintet du jour, répondant au nom de ConstelNation et celui, plus prosaïque, de The Bridge 2.#12 – douzième groupe de la seconde vague des tournées labellisées The Bridge. La multi-instrumentiste Angel Bat Dawid est depuis quelques années l’égérie d’un post spiritual-jazz entremêlant gospel, free et musique électronique, une « archéologue sonore » de la Great Black Music, selon ses propres mots, dont l’expression musicale est résolument politique, comme en attestent tous ses enregistrements, largement adoubés par la critique. Pour sa part, Magic Malik, soufflant et vocaliste, est incontestablement l’un des instrumentistes les plus inspirés de la scène française, traversant les styles, du post-bop à l’électro, avec une grâce toute singulière. 

— ConstelNation - © Florent Wattelier

À leurs côtés, Richard Comte (guitare à l’archet, paysages sonores), Toma Gouband (batterie préparée, minérale et végétale) et le contrebassiste Nick Macri (entre acoustique et électrique, culture psych-rock seventies) complètent ce tableau improvisé de mille et une couleurs. « En émergent des éléments de feu, d’émotion, d’esprit. Quelque chose de tribal, de viscéral, de mystique, de volcanique », confie Magic Malik. Et si la musique est free, au sens littéral, c’est qu’elle n’érige aucune règle s’attachant à bannir toute idée de tempo, de mélodie, ou même d’un sentiment de tonalité. Ce que confirme l’intéressé : « Nous n’avons pas de volonté d’abstraction particulière. Il y a des moments de modalité qui peuvent s’installer, la musique va partout où elle peut aller. » Ne reste plus, dès lors, qu’à se laisser emporter, ou s’installer à bord de ce qu’Angel Bat Dawid désigne comme le « Magic School  Bus», sillonnant les routes escarpées de la liberté.

Louis Michaud

Journaliste musical et musicien, Louis Michaud a collaboré ces quinze dernières années avec de nombreux titres de presse (Les Inrocks, Télérama Sortir, Jazz News, Jazz Magazine, Trois Couleurs…) et officié comme programmateur musical et animateur du Club Jazz à Fip.