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Orphée prophète

Publié le 11 February 2022 — par Jérôme Provençal

— Alexandre Seon, La lamentation d'Orphée. Paris, Musée d'Orsay - © Peter Willi / Bridgeman Images

La figure d'Orphée inspira un mouvement religieux de la Grèce antique, l’orphisme. Françoise Lasserre et Akadêmia dévoilent aujourd'hui une toute nouvelle création imaginée à partir de ce mythe fondateur.

— Une histoire d’Orphée – La mort n’est que la mort si l’amour lui survit

Poète et musicien, capable de charmer jusqu’aux pierres par la beauté de son chant, Orphée – fils du roi Œagre et de la muse Calliope – rayonne avec un éclat intense dans les cieux fastueux de la mythologie antique. Ayant inspiré l’orphisme, mouvement spirituel assez nébuleux apparu en Grèce au VIe siècle avant J.C. et fondé sur le principe d’une vie ascétique, il a traversé le temps sans rien perdre de son aura légendaire. En témoigne parfaitement la fascination persistante qu’il exerce auprès des artistes. Jean Cocteau, pour prendre un exemple illustre, s’est ainsi montré l’un de ses plus dévoués et fervents zélateurs. Symbolisant à lui seul la poésie et la musique, Orphée jouit d’un prestige particulier dans le champ de l’opéra. Trois des premiers opéras connus lui sont dédiés, dont l’iconique Orfeo, favola in musica (1607) de Claudio Monteverdi. Depuis, de nombreux autres ont été composés, dans des registres très variés. Citons notamment Orphée aux enfers (1858) de Jacques Offenbach, Orphée 53 (1953) de Pierre Henry et Pierre Schaeffer ou encore Orphée (1993) de Philip Glass.

D’une inépuisable fertilité, la figure d’Orphée apparaît toujours aussi vivante aujourd’hui. Son influence se révèle ainsi essentielle dans le répertoire d’Akadêmia. Créé et dirigé par Françoise Lasserre, cet ensemble vocal et instrumental s’attache depuis 1986 à faire vibrer la musique ancienne dans l’ère contemporaine en croisant les disciplines artistiques, les époques et les cultures. Ayant déjà porté en scène plusieurs projets autour d’Orphée, parmi lesquels Orfeo par-delà le Gange qui explore une voie très singulière vers la culture indienne, Akadêmia dévoile à présent Orphée prophète, une toute nouvelle création imaginée à partir de ce mythe fondateur.
« Orphée me captive depuis longtemps, confie Françoise Lasserre. Plusieurs aspects m’intéressent plus particulièrement : son parcours avant la rencontre avec Eurydice, sa mort, la tension qui existe en lui entre l’apollinien et le dionysiaque, l’orphisme… Tout cela offre une abondante matière à rêverie et à réflexion. »

Françoise Lasserre – © Olivier Hoffschir


Orphée prophète prend sa source dans un texte écrit, en vers libres, par le poète Jean-Pierre Siméon. Intitulé La mort n’est que la mort si l’amour lui survit – Histoire d’Orphée (et édité par Les Solitaires Intempestifs), le texte évoque la destinée tragique d’Orphée en sept chants épurés d’une éblouissante densité expressive. « Amorcé il y a une dizaine d’années, mon dialogue avec Jean-Pierre Siméon autour d’Orphée m’amène à découvrir ce personnage mythique plus en profondeur, explique Françoise Lasserre. Je le vois désormais avant tout comme un poète, c’est-à-dire aussi comme un prophète, un être en relation avec le surnaturel et la magie (au sens le plus fort du terme). En bref : une sorte d’enchanteur. »

Donné à entendre ici dans sa quasi intégralité (exception faite du Chant troisième), le texte s’incarne à travers un récitant, en l’occurrence le comédien Hervé Pierre, sociétaire de la Comédie-Française. « S’il est d’abord comédien, Hervé chante aussi et a une forte sensibilité à la musique », précise Françoise Lasserre. 

Ô combien éloquents, les mots de Jean-Pierre Siméon sont mis en résonance avec un riche programme musical. Outre plusieurs extraits de L’Orfeo de Monteverdi, il comprend diverses pièces vocales – dont le splendide Lamento d’Orfeo de Sigismondo D’India – et plusieurs pièces instrumentales – la fameuse Toccata arpeggiata de Johannes Hieronymus Kapsberger, une passacaille de Biagio Marini, ou encore une chaconne de Maurizio Cazzati.

Ayant une connaissance profonde de ce répertoire, sept instrumentistes de l’ensemble Akadêmia assurent l’interprétation musicale tandis que le ténor flamand Jan Van Elsacker se saisit des parties vocales. « Nous travaillons ensemble depuis au moins vingt ans, souligne Françoise Lasserre. Jan m’apparaît comme un diseur hors pair et un très grand pourvoyeur d’émotions. Parvenant à exprimer la quintessence de la musique, il a cette capacité rare d’atteindre directement le cœur des gens. Dans le cadre d’un projet atypique comme Orphée prophète, il peut vraiment faire des miracles. »

Jérôme Provençal

Jérôme Provençal écrit sur (presque) tout ce qui est essentiel à la vie : la musique, la danse, le cinéma, le théâtre, les arts plastiques, la littérature. Il est le collaborateur régulier des Inrockuptibles, de Politis, de New Noise et d’Art Press.