Pierre Boulez est né le 26 mars 1925. Il aurait eu 100 ans cette année. Un centenaire que la Philharmonie de Paris se doit de célébrer, tant est grande sa dette envers l’homme et sa vision fondatrice. Plus qu’un simple hommage, c’est un portrait multifacettes du maître que la programmation de la Philharmonie esquisse. En deux temps : début janvier d’abord, puis au cours d’un grand week-end anniversaire du 26 au 28 mars. Au-delà du compositeur, l’un des plus importants du XXe siècle, on y découvrira un chef à l’oreille incomparable de même qu’un pédagogue hors pair… Bref : un musicien complet, et un homme entier, toujours en quête.
Pour ouvrir les festivités, dès le 6 janvier, honneur à l’Ensemble intercontemporain et l’Ircam, institutions sœurs et complémentaires, imaginées par Boulez au service de la recherche, aussi bien artistique et musicale que scientifique. L’honneur est de surcroît partagé par deux anciens solistes de l’EIC, le pianiste Pierre-Laurent Aimard et le violoncelliste Jean-Guihen Queyras. Au programme de cette réunion de famille au sommet, on trouve Répons, le chef-d’œuvre absolu de Pierre Boulez, qui est aussi l’un des premiers monuments de la musique électroacoustique en temps réel : à l’instar des grandes pages responsoriales de la Renaissance, Répons fait dialoguer à travers l’espace ensemble instrumental, placé au centre du dispositif, six solistes disséminés dans la salle et électronique, autant d’acteurs sonores que Boulez unit avec maestria pour une chorégraphie des sons dans l’espace. On entendra également quelques pièces plus intimistes, telle Messagesquisse, pour violoncelle solo et six violoncelles, et la bien nommée Mémoriale, pour flûte et huit instruments.
Parmi les chefs-d’œuvre bouléziens qui retentiront au fil des semaines, citons, toujours par l’Ensemble intercontemporain, sur Incises (1998), fulgurante prolifération triangulaire à partir d’Incises (1995) ainsi que Cummings ist der Dichter, née de la fascination du compositeur pour le verbe poétique, et, en l’occurrence, pour le poète ô combien audacieux que fut E. E. Cummings, le 28 mars.
D’autres orchestres se joindront à la fête : le London Symphony Orchestra interprétera le 13 janvier le scintillant Éclat sous la direction de Simon Rattle, et l’Orchestre National de France proposera le 17 janvier Notations pour orchestre avec François-Xavier Roth. Adaptation d’une partition de 1945 pour piano, ces Notations témoignent de la radicalité formelle du jeune compositeur qu’était alors Boulez, ainsi que de son processus de composition de remettre inlassablement l’ouvrage sur le métier.
On pourra découvrir en outre quelques pépites plus rares, voire carrément inouïes depuis plusieurs décennies. Ainsi de la fanfare spatialisée d’Initiale (1987) proposée le 10 janvier par les musiciens de l’Orchestre de Paris, en regard des Nocturnes de Debussy dont Boulez a gravé de mémorables versions. Ou de Polyphonie X (1951), le 26 mars : cette œuvre est le fruit du bouillonnement créatif d’un Pierre Boulez frais émoulu du conservatoire, en même temps qu’elle trahit ses doutes et suscitera dès sa création « un sérieux examen de conscience ». À la tête de l’EIC, le chef Pierre-André Valade sera accompagné du musicologue Claude Abromont pour souligner les enjeux de cette partition méconnue.
À l’instar de ce concert-atelier, la programmation musicale s’accompagne d’une série de colloques, rencontres et tables rondes : il y en aura pour tous les goûts, des plus pointus aux plus néophytes, avec par exemple la séance d’initiation ludique « Roulez Boulez », destinée aux adolescents. Et c’est sans parler de tous les contenus accessibles sur le site internet du centenaire, pierreboulez.org : biographie illustrée, catalogue de l’œuvre, témoignages de proches et collaborateurs, et autres archives vidéo et audio sur le compositeur et le chef à l’œuvre…
Ce travail de pédagogie n’aurait certainement pas été pour déplaire à Boulez lui-même, qui tournait toujours ses regards vers l’avenir, œuvrant inlassablement à la diffusion de la musique ainsi qu’à l’émergence des nouvelles générations de musiciens et de compositeurs. C’est pourquoi, du reste, les célébrations de ce centenaire ne seraient pas complètes sans création. La musique de Boulez sera ainsi mise en perspective de quelques commandes passées pour l’occasion à divers compositeurs. Certains qui l’ont bien connu, à l’instar de Philippe Manoury (avec un Hommage à Pierre Boulez le 17 janvier) ou Michael Jarrell (qui reprend l’effectif de Cummings ist der Dichter pour une nouvelle œuvre le 28 mars). Et d’autres, qui l’ont tout juste croisé, comme l’Anglaise Charlotte Bray (le 6 janvier).
C’est enfin le fervent promoteur des projets pluridisciplinaires qu’était Pierre Boulez que Benjamin Millepied met en lumière, avec sa compagnie L.A. Dance Project le 26 mars. Ils s’emparent en effet de Rituel in memoriam Bruno Maderna, qui spatialise l’orchestre en huit groupes d’instruments pour un hommage en forme de « rituel » dansé. Notre homme y sera une nouvelle fois en bonne compagnie puisqu’il partagera l’affiche avec deux compositeurs auxquels il a lui-même si souvent rendu hommage : Igor Stravinski et Béla Bartók.