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Pierre Boulez et le Quatuor Arditti

Publié le 26 mars 2025 — par Jérémie Szpirglas

— Quatuor Arditti - © Manu Theobald

Si Pierre Boulez incarne à lui seul une certaine idée de l’avant-garde musicale au XXe siècle, les Arditti, eux, incarnent sans coup férir le quatuor contemporain. Défricheurs hors normes, croisés de la contemporaine, ils mènent également un travail patient de cultivateur des musiques de création – tout comme Pierre Boulez, le regard toujours tourné vers l’avenir.
— Boulez 100 | Grand entretien : Quatuor Arditti

Lorsqu’on parle quatuor et création, le nom du Quatuor Arditti est l’un des premiers auxquels on pense. Même si elle doit beaucoup aux circonstances historiques, culturelles et économiques dans lesquelles elle s’est déroulée, l’aventure de cette formation est absolument unique dans le paysage musical. Portée depuis cinquante ans par le violoniste Irvine Arditti, l’histoire du Quatuor offre un parallèle frappant avec celle de Pierre Boulez : celle d’une véritable institution musicale qui s’est imposée par la force de sa vision et la rigueur de son approche.

Fait rarissime : Pierre Boulez est sans doute l’un des seuls compositeurs de la fin du XXe siècle dont le Quatuor Arditti n’a créé aucune partition ! Du moins pas dans son intégralité. La raison en est simple : Pierre Boulez ne s’est fendu que d’un unique quatuor, son célèbre Livre pour quatuor, œuvre de jeunesse laissée longtemps inachevée et dont le compositeur conseillait de n’interpréter que des fragments. Ce que le Quatuor Arditti a fait de nombreuses fois, assurant même la création de certains, travaillés avec le maître en personne.

On peut cependant remercier les Arditti pour avoir contribué, avec une opiniâtreté qui n’avait d’égale que la patience, à convaincre Boulez d’achever sa partition – ce qui sera fait finalement en 2012, avec la bénédiction du compositeur, par Philippe Manoury et Jean-Louis Leleu (mais l’œuvre achevée sera pour une fois créée par un émule des Arditti : le Quatuor Diotima).

Des liens très forts unissent le compositeur et les Arditti. Des liens d’amitiés, d’abord, mais aussi des liens musicaux. C’est ainsi Irvine Arditti lui-même qui a assuré la création (puis le premier enregistrement) de la version originelle d’Anthèmes, pour violon, en 1991. Et c’est aussi parfois parmi les solistes de l’Ensemble intercontemporain (donc adoubés par le maître) que le Quatuor recrute ses membres, lorsqu’un des pupitres vient à se libérer. Citons Garth Knox, qui quitta l’Ensemble en 1990 pour rejoindre le Quatuor Arditti – jusqu’en 1997. De même, le second violon est depuis 2005 tenu par l’Arménien Ashot Sarkissjan, qui a passé trois ans dans la famille intercontemporaine.

Mais les vraies affinités entre tous ces musiciens sont ailleurs. Non pas uniquement dans leur ardeur à défendre la musique de leur temps, mais, surtout, dans leur attention aux jeunes générations : pour transmettre leurs savoirs aux jeunes interprètes et pour faire éclore les compositeurs de demain. D’où qu’ils viennent, quels que soient leurs tropismes esthétiques, les compositeurs peuvent trouver en le Quatuor Arditti un porte-parole sans égal. Exactement ce que Pierre Boulez a eu à cœur de faire, toute sa vie durant.

Jérémie Szpirglas
Écrivain, Jérémie Szpirglas publie fictions et textes de référence sur la musique contemporaine et sur l’œuvre de Serge Gainsbourg.