Boulez et les compositeurs
Je dois dire que, pour moi, de tous les compositeurs de cette génération – parce que je les ai connus presque tous : Stockhausen, Berlioz, Nono, Ligeti, Xenakis - malgré ce que les gens pouvaient dire, c’était le compositeur qui avait le regard le plus ouvert sur la jeune génération. Il n’était pas du tout condescendant, ne jouait pas les professeurs. C’était quelqu’un qui avait un esprit très curieux, une immense intelligence, une très grande culture, mais quelqu’un qui était très ouvert et qui voulait être surpris. À l’époque il n’habitait pas en France, donc on ne le voyait jamais. Mais je connaissais ses partitions, je connaissais sa musique, j’avais des disques, j’avais lu ses écrits. Donc je le connaissais bien par son travail. Et quand je l’ai connu personnellement, cela a été pour moi quelque chose de très important puisqu’on avait vraiment un engagement musical dans la création et dans la recherche aussi. Donc on avait pour ainsi dire carte blanche. Et il était très critique parfois, mais critique d’un point de vue constructif.
Boulez créateur
J’ai regardé ses premières œuvres, composées quand il avait 19-20 ans, et je me suis dit : « là on a quelqu’un qu’on pourrait comparer à Beethoven ».
Pas au niveau stylistique évidemment, mais c’est quelqu’un qui a trouvé son style très tôt. Dès ses premières œuvres – la Première Sonate pour piano – c’est déjà la griffe Boulez, il n’y a aucun doute. Cela ne pourrait pas être quelqu’un d’autre. Comme la « Première Sonate pour piano » de Beethoven n’est plus du Haydn, n’est plus du Mozart mais déjà du Beethoven.
Et là, je me suis dit : « voilà quelqu’un qui s’est doté très tôt d’une personnalité, qui s’est révélé très tôt ». Ensuite, j’ai beaucoup lu ses écrits aussi, ses écrits théoriques.
Ce qui m’intéressait chez lui c’était évidemment l’artiste, l’artiste qui compose, qui écoute la musique et qui l’écrit, mais aussi le penseur sur la musique, c’est-à-dire quelqu’un qui avait une attitude critique très développée vis-à-vis des autres compositeurs, du passé et même de ses contemporains, mais vis-à-vis de lui-même aussi. Ce n’était pas quelqu’un de tranquille. Il n’écrivait pas parce que c’était son métier. Il était toujours autocritique, et cette critique, en général, a nourri dans son intellect une vision formée d’exigence intellectuelle : il ne voulait pas que l’écriture soit juste une pulsion immédiate, mais que cela passe par une réflexion qui peut mêler l’histoire, l’expérimentation, peut-être la vie personnelle, plein de choses… Mais il fallait que cela soit habité d’une manière ou d’une autre.
Indépendamment du musicien, c’est quelqu’un qui avait fréquenté beaucoup le théâtre : il a connu Claudel, toute cette génération-là, il a connu Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud, il a fréquenté Pollock aux États-Unis, il a connu Stravinski…, c’est quelqu’un qui a baigné dans un monde artistique très large –, il avait cette exigence quand il voyait ces autres artistes.
Il se disait : « Eux non plus n’ont pas fait des choses juste pour le plaisir, mais cela vient d’une nécessité personnelle ». Il a toujours travaillé cette nécessité personnelle, et cela se voit dans ses écrits. Cela m’a beaucoup influencé, puisque je me suis dit qu’il fallait être à la hauteur face à une telle personne. On ne peut pas être un dilettante vis-à-vis de lui, sinon cela ne vaut pas la peine. Je dirais que cet aspect-là de sa personnalité a été, peut-être, plus important pour moi que l’aspect purement esthétique qui lui est propre.
J’en avais parlé avec lui, et il m’a dit qu’il n’attachait pas beaucoup d’importance à la quantité d’œuvres. Parce qu’on lui faisait le reproche de ne pas composer beaucoup, et il faisait remarquer, à juste titre, que le nombre d’œuvres de Debussy, par exemple, tient à quelques CD, à part « Pelléas » qui est un opéra. Mais il n’a pas écrit énormément. C’est également le cas d’Edgard Varèse, d’Anton Webern… Pour Boulez, c’était la qualité qui comptait, il n’attachait pas d’importance à la quantité. Il y a cette idée de l’inachèvement qui était chez lui depuis longtemps. Un peu dans l’idée de l’œuvre ouverte inspirée par Joyce, par exemple, en littérature : une œuvre n’a pas forcément un début et une fin, mais elle peut être vue comme quelque chose d’organique. La fin peut être décidée, mais la manière dont on arrive à la fin peut être extensible. Par exemple, la fin de « Répons » a toujours été la fin de « Répons », mais par contre, entre les deux, la manière d’y arriver va être l’objet de remises en question. C’était nécessaire pour lui de toujours remettre en chantier la pensée musicale qu’il avait. Rien n’était figé.
On l’a toujours vu comme un dictateur, comme quelqu’un qui voulait tout diriger. Pas du tout. C’était quelqu’un qui n’hésitait pas à se critiquer lui-même et à remettre en chantier, autant de fois qu’il le désirait, ce qu’il voulait. On n’était jamais sûr d’avoir la fin de quelque chose quand on lui demandait une pièce. Je pense que cela faisait partie de son éducation, influencée par la littérature, par des auteurs comme Mallarmé, comme Joyce, qui avaient cette idée de l’œuvre en devenir, de l’œuvre qui n’était pas juste quelque chose avec un début et une fin, mais qui pouvait être pensée dans l’absolu.
Tant qu’on est en vie, on est le maître de son univers et on fait ce qu’on veut. Je pense que c’était cet aspect-là qui le motivait beaucoup, plus que d’avoir une œuvre terminée et faire le ménage derrière soi en disant : « c’est fini, je ferme la porte ».
Boulez théoricien
Je me souviens de deux livres principaux qu’il avait écrits. Dans « Relevés d’apprenti », il parlait de ce qu’il avait appris des classiques : il pouvait parler de Bach, de Beethoven, de Wagner, de Debussy, de Schönberg, de Stravinski beaucoup. Là, je voyais l’esprit qui analysait, qui voulait aussi plonger dans les profondeurs de la création musicale toutes époques confondues. À l’époque il n’était pas encore chef d’orchestre, il était purement compositeur. Ensuite il y avait un livre, très difficile à lire, qui s’appelait « Penser la musique aujourd’hui ».
Ce livre était très influencé par le structuralisme. Je l’avais lu, je ne l’avais pas compris du tout. D’ailleurs, je ne sais pas jusqu’à quel point il est vraiment compréhensible. Mais il apportait à la musique des concepts qui étaient totalement nouveaux : celui d’espace en musique, par exemple, qui était totalement nouveau. Il prenait aussi des concepts mathématiques qu’il n’avait pas bien compris d’ailleurs. Quand il parlait de « modulo », par exemple, qu’il appliquait à la musique – je me suis un peu renseigné sur le sujet –, cela ne correspond pas exactement à ce que cela veut dire en mathématiques, mais c’était par analogie. Je me disais que cela servait à forger une pensée musicale qui était un petit peu en dehors des sentiers battus. Et c’était revigorant.
La pédagogie musicale
Pierre Boulez a eu beaucoup d’intérêt pour la pédagogie. Il a fait aussi beaucoup d’émissions de télévision à l’époque. Il m’a demandé de m’occuper de ce qu’on appelait la pédagogie – ce n’est pas un bon titre à mon avis, parce que ce n’est pas pour les enfants – à l’Ensemble intercontemporain, ce que j’ai fait pendant cinq ans. Il s’agissait de parler au public de cette musique, avec des musiciens, en montrant des exemples. Il y avait toujours ce discours pédagogique que lui-même entretenait beaucoup. C’est quelque chose qui est un peu daté maintenant, je trouve. Lui voulait que les gens comprennent la musique par la manière dont elle est faite. Alors que, je pense, pour accéder à la musique, il faut plutôt passer par l’écoute, par la perception et non pas par la compréhension du moteur qui fait tourner la machine. Donc il avait cette vision, que je trouve moi personnellement un peu datée, d’une explication sur la musique qu’il a développée au Collège de France. Et en cela, il avait été beaucoup inspiré par les films qu’avait réalisés Leonard Bernstein aux États-Unis, où il parlait au public, jouait au piano, dirigeait. Boulez a voulu faire la même chose. Donc je me suis occupé de cette structure à l’Ensemble intercontemporain où on donnait des clés, on parlait des convergences entre Stravinski et Picasso, entre Paul Klee et Webern… On essayait de trouver des clés de rencontre.
L'évolution stylistique
Il est rentré dans la musique par une fracture. Ça c’est évident, il est rentré dans la musique par une fracture. Il faut dire qu’à l’époque, le monde musical français était dirigé par le groupe des Six, disons l’esthétique néoclassique du groupe des Six. Lui est arrivé juste après-guerre, avec la culture allemande, austro-hongroise, surtout l’École de Vienne : Schönberg, Berg et Webern, qu’on ne connaissait pas en France. Il les a joués au Domaine musical. Cela a tout de suite été pour lui, et pour beaucoup de compositeurs de sa génération, un nouveau modèle : le nouveau modèle post Seconde Guerre mondiale. Il y avait la catastrophe et il ne fallait plus, par exemple, s’occuper de nationalisme en musique, ne plus faire référence à quelque folklore que ce soit. Cette musique dodécaphonique et sérielle, qui était leur champ d’action, était quelque chose, évidemment, qu’on voit aujourd’hui comme utopique, mais une utopie qui a fait bouger beaucoup de choses. On ne compose plus comme ça maintenant, évidemment, mais il a fallu passer par là. Ses premières œuvres étaient assez difficiles, comme « Le Marteau sans maître », les « Structures pour pianos » ou le « Quatuor à cordes », par exemple. C’étaient des musiques assez abstraites. Par exemple, il n’y avait pas de tempo régulier, pas de mélodie perceptible, pas d’harmonie stable. C’était une musique totalement en diffraction, en éclatement, ce qui était à mon avis nécessaire pour Boulez. Je dirais que, lorsqu’il s’est mis à la direction d’orchestre, qu’il a eu accès aux grands orchestres, son style a changé. Il a écrit une musique qui tient beaucoup plus compte de la continuité, dans laquelle il y a des repères pour l’oreille, des stabilités harmoniques, des tempos, une rythmique perceptible. On ne revient pas du tout pour autant à une esthétique néoclassique, mais il y a plein d’éléments qui font que la perception humaine s’y retrouve beaucoup plus. Je pense que le grand tournant a été Bayreuth, quand il s’est confronté pendant plusieurs années de suite à la Tétralogie, et qu’il s’est plongé dans Wagner. Je le connaissais moins avant, mais rétrospectivement, j’ai vu que sa musique recherchait une sorte de continuité, une sorte de recours à des grandes formes, des grands projets, des notions de stabilité. Ce n’étaient plus des petites choses entrecoupées, mais des grands ponts, des grandes architectures avec des tensions et des détentes. Là je pense que le passage à Bayreuth, qui a duré quatre ans, et cette immersion dans la musique de Wagner, le fait qu’il ait beaucoup dirigé aussi un compositeur comme Gustav Mahler qui lui était très proche esthétiquement, l’a beaucoup influencé dans sa musique. Je pense que c’est le chef d’orchestre qui s’est lui-même influencé pour la composition.
Boulez chef d'orchestre
Pierre Boulez était quelqu’un, comme j’ai dit tout à l’heure, de très ouvert, très pragmatique. Il savait très bien comment organiser les répétitions, comment faire répéter un orchestre. Ma première pièce qu’il a dirigée, c’était au Carnegie Hall avec l’Ensemble intercontemporain. Ce n’était pas une création, c’était une pièce qu’il a reprise, mais qu’il avait entendue au Centre Pompidou, qui lui avait plu. Il avait décidé de la mettre au programme. Un jour, il m’a dit : « Écoute, je ne t’ai pas souvent dirigé, je vais faire jouer une de tes pièces à Chicago. » Il avait entendu que je préparais à l’époque un opéra, qui ne s’est pas écrit, mais j’avais fait une suite d’orchestre. Il l’avait entendue et m’avait demandé de faire un petit montage entre deux sections. Et c’est devenu une pièce qui s’appelle « Prélude and Wait ». Il l’a fait jouer à Chicago une première fois. Cela s’est très bien passé. Il m’a dit : « Cela s’est même très bien passé avec l’orchestre. » Ensuite, il m’a fait faire une autre commande, une très grosse pièce d’orchestre, « Sound and Fury », créée aussi à Chicago et reprise deux ans après à Cleveland. C’était une co-commande. C’était pour moi un très grand moment, parce qu’il avait pris beaucoup de temps pour ma pièce. Il avait vu que c’était une pièce assez complexe et malgré un orchestre extraordinaire, qui est l’Orchestre de Chicago, il fallait beaucoup de temps et il n’a pas pu aller jusqu’à la dernière répétition qui était une pièce de Richard Strauss. Pour une autre pièce du programme. Cela a créé un petit problème, puisque ça s’est remarqué. Il avait pris beaucoup de temps pour ma pièce. Il avait pris beaucoup de temps. Si j’avais eu des problèmes avec l’orchestre, je sais qu’il aurait fait le tampon. Il n’aurait pas été ou du côté du compositeur ou du côté de l’orchestre, mais il aurait cherché à faire le tampon entre les deux parce qu’il y a parfois des conflits. Mais, en ce qui me concerne, cela s’est très bien passé avec l’orchestre.
La musique électronique
La relation de Boulez avec l’électronique est un petit peu comme celle qu’il avait avec l’opéra : il y a touché, il a fait des œuvres avec l’électronique, mais ce n’était pas quelqu’un qui avait le temps ni l’envie de rester tout seul dans un studio et de faire du mixage. Ce n’était pas du tout son monde. Donc il a fait plein de choses avec l’électronique. Il avait eu le projet de faire un institut de recherche musicale en Allemagne, dans le centre Max Planck, le Max Planck Institute. Il avait demandé des fonds pour le faire et il m’a dit : « Il y a deux personnes à qui on a demandé leur avis pour savoir si cela valait la peine. Ils ont répondu que cela ne valait pas la peine. » Donc les fonds n’ont pas été acceptés. Et ces deux personnes avaient pour nom, pour ce qui était de la musique, Dietrich Fischer-Dieskau, et pour ce qui est de la science, Werner Heisenberg, qui n’est pas n’importe qui. Ces deux personnes qui n’étaient pas du tout intéressées par la musique électronique avaient dit non, donc ça ne s’est pas fait en Allemagne. Après, cela s’est fait à l’Ircam. Quand il a fait l’Ircam – je suis venu très tôt après le début de l’Ircam — son grand principe était le temps réel parce qu’il n’était pas intéressé par la musique figée sur bande magnétique. Il voulait que la musique soit interprétée. Le temps réel, qui était balbutiant, s’est vraiment développé sous son impulsion. Il a fait « Répons », il a fait des pièces en temps réel, mais je dirais que c’est lui qui a impulsé cette chose-là. Il a également impulsé la numérisation, l’informatisation de la musique. Il ne l’a pas impulsée de sa propre volonté, mais il avait fait un département de « computer music » et pour cela il avait été voir des spécialistes aux États-Unis, comme Max Mathews ou John Chowning, pour prendre vraiment des informations auprès de gens qui maîtrisaient cela très bien. En l’espace de deux-trois ans, l’Ircam, où il y a plusieurs départements, est devenu un département informatique. L’informatique a pris tout. On le voit maintenant socialement dans tous les autres domaines. Ce qui était incroyable, c’est qu’ensuite j’ai parlé avec des scientifiques : par exemple Gérard Berry, qui était professeur d’informatique au Collège de France, me disait qu’à l’époque de l’Ircam les informaticiens venaient à l’Ircam parce que c’est là où se trouvaient les ordinateurs les plus puissants. Alors qu’il y avait d’autres ordinateurs dans d’autres instituts, mais tout le monde savait que c’était à l’Ircam qu’il y avait les ordinateurs les plus intéressants, les plus puissants. Donc des gens qui faisaient de l’informatique pour faire autre chose que la musique se branchaient sur les ordinateurs de l’Ircam. Boulez a suivi le mouvement de l’informatique et a vraiment eu cette vision de laisser se développer cette chose-là. L’Ircam a été très critiqué au début. Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’on recevait comme insultes. On disait que c’était un gouffre financier, que cela prenait tout l’argent, beaucoup d’argent. C’est vrai, mais ce n’était pas plus d’argent qu’un orchestre de province. Mais dans le domaine de la création, cela prenait beaucoup d’argent. Mais moi j’ai rencontré dans cet institut des gens aussi différents que Stockhausen, John Cage, Frank Zappa, Luciano Berio, Luigi Nono, György Ligeti, Xenakis, et puis Kaija Saariaho, Magnus Lindberg…, beaucoup de gens. Il y a une variété de personnes qui fait que, quoi qu’on en dise, l’Ircam n’a pas de spécificité esthétique, puisqu’ils ont invité des gens d’esthétiques très différentes.
Ensuite l’Ircam s’est développé et à l’époque Boulez disait : « La pensée scientifique n’est admise à l’Ircam que si elle sert un projet artistique. » Le temps réel en musique, qu’est-ce que cela veut dire ? Ce n’est pas véritablement du « temps réel ». Il faut du temps pour calculer, mais ce temps est tellement rapide que votre oreille ne le percevra pas. Cela intéressait beaucoup Boulez, puisqu’il se disait : « On va pouvoir interfacer un ordinateur, le mettre en contact avec un musicien vivant, et il pourra jouer à son propre tempo. »
Cela l’a beaucoup intéressé et il a décidé que cela allait être le cœur de l’Ircam. La musique pour bande a petit à petit disparu, elle a disparu un peu partout. Elle existe sous d’autres formes aujourd’hui, mais le temps réel a vraiment pris le dessus. Boulez a eu aussi l’intelligence de faire venir ici des scientifiques, — principalement depuis les États-Unis, parce que ce sont eux qui avaient développé cela —, qui ont su développer des choses tout à fait intéressantes. Il était très ouvert, il a rencontré Steve Jobs, par exemple, car on avait acheté la machine que Steve Jobs avait créée quand il a quitté Apple, qui s’appelait la NeXT au début. On a travaillé là-dessus. Donc il était allé aux États-Unis pour rencontrer Steve Jobs, pour parler avec lui. Le genre de musique qu’on faisait n’intéressait pas du tout Steve Jobs. Mais Boulez a dépensé beaucoup d’énergie pour faire aboutir ce projet du temps réel. Et finalement on peut se dire que ce projet est maintenant généralisé dans beaucoup de cas.
Pour le premier concert de l’Ensemble intercontemporain en 1976, eu égard aux objectifs de cette nouvelle formation, Pierre Boulez tient à ce que la jeune création soit représentée. Raison pour laquelle figure au programme la pièce Numéro 5 de Philippe Manoury. À l’époque, pourtant, les deux hommes ne se connaissent pas. Pierre Boulez est un acteur majeur du monde musical, tandis que Philippe Manoury est frais émoulu compositeur. Numéro 5 se situe en outre plutôt dans l’héritage de Xenakis, aux antipodes de l’univers boulézien. C’est du reste peut-être pour cela, dans un souci d’ouverture, que Michel Tabachnik, premier directeur musical de l’EIC et passionné du compositeur grec, l’a suggérée.
De cette rencontre entre Boulez et Manoury naît l’une des plus belles relations filiales compositionnelles du XXe siècle. Une relation rendue plus belle encore par la distance à laquelle les deux hommes tiennent leurs écritures, le plus jeune veillant soigneusement à ne pas imiter son aîné, tout en prenant chez lui ce qui l’intéresse — et, surtout, en prolongeant certaines de ses marottes technologiques : Philippe Manoury sera ainsi l’un des grands acteurs du développement du temps réel à l’Ircam.
Une amitié qui ne fera que se raffermir au fil des ans, et que seule la mort du maître interrompra.