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Cinq questions à Cameron Carpenter

Publié le 16 January 2025

— Cameron Carpenter - © Dovile Sermokas

Le flamboyant organiste américain s’empare de deux sommets de la musique, audacieusement arrangés par ses soins : les fantasmagories de Moussorgski répondent aux Variations Goldberg, alpha et oméga de la musique de Bach.  
— Cameron Carpenter à la Cité de la musique (2018)

Vous avez fait sortir l’orgue des églises grâce à vos concerts-événements, à vos albums, en ouvrant l’instrument à des nouveaux répertoires. Vous ne ressemblez pas du tout à l’image que la plupart des gens se font d’un organiste. Comment est né votre amour de l’orgue ?

Cameron Carpenter

Plutôt que d’amour, je dirais qu’il s’agit d’une obsession. J’ai été scolarisé à domicile durant toute mon enfance, avec l’objectif de consacrer tout mon temps à l’orgue.

Comment avez-vous réussi à trouver un compromis entre votre personnalité et ce qu’était, a priori, le métier d’organiste ?

Ce compromis ne s’est pas réalisé.

Inauguré en 2015, le monumental orgue Rieger de la Philharmonie est un instrument « symphonique » qui présente un grand nombre de jeux de fond. Les anches produisent un timbre particulièrement lumineux, selon la facture des orgues français du XIXe siècle, dont font partie les fameux instruments conçus par Cavaillé-Coll. Que représente cet orgue pour vous ? 

L’attachement à la tradition.

César Franck est l’un des plus grands organistes du XIXe siècle ; il a beaucoup composé pour l’orgue. Le Choral no 2 explore de fond en comble les possibilités de l’instrument. Il s’agit de l’une des pièces les plus impressionnantes de ce compositeur. Quelles difficultés particulières présente-t-elle à vos yeux ?

Une difficulté majeure consiste à se libérer du fardeau de l’interprétation historiquement informée.

Les Tableaux d’une exposition avaient déjà fait l’objet de transcriptions pour orgue, réalisées par Jean Guillou (1930-2019) et Keith John (né en 1953). En comparaison, comment caractériseriez-vous votre propre travail de transcription ?

J’écoute peu les enregistrements pour orgue réalisés par d’autres car j’essaie de maintenir une distance avec les travaux de mes pairs – non pas par irrespect mais parce que je préfère éviter les influences et préserver mon jeu de la connaissance du jeu des autres. Par conséquent, même s’il y a eu de nombreuses transcriptions des Tableaux d’une exposition, notamment celle pour orgue de Jean Guillou (que j’ai connu et que j’estimais beaucoup), je n’ai pas appréhendé la mienne comme un défi par rapport à ces transcriptions précédentes. Je considère que la pratique de l’orgue est éminemment personnelle. À mes yeux, ce qui compte, c’est d’aborder chaque pièce avec ma propre vision, d’une façon plus ou moins innocente, voire naïve. Ce n’est pas une approche savante mais je ne suis pas un savant. Pour les arrangements des Tableaux d’une exposition, j’ai suivi le processus créatif habituel : j’ai d’abord appris et étudié la partition au piano puis j’ai commencé à l’adapter à l’orgue. Contrairement à mon travail sur les Variations Goldberg (une transcription littérale, sans le moindre changement), le résultat s’apparente à une recomposition. J’ai ajouté beaucoup de matériau. Pour être franc, la version au piano des Tableaux d’une exposition m’a toujours paru terriblement ennuyeuse. J’ai le sentiment qu’elle constitue une esquisse pour des choses de plus grande ampleur, comme Ravel l’a sans doute aussi perçu. 
Je ne veux pas dire en amont à quoi mon interprétation va ressembler ni ce que je voudrais que mon public pense ou ressente. Les gens doivent venir au concert pour le découvrir par eux-mêmes. Chaque personne peut vivre une expérience singulière avec une pièce musicale – toute la musique se fonde sur cette expérience personnelle – et chaque performance live est différente d’une autre pour de multiples raisons, en particulier avec un instrument imprévisible comme l’orgue. 

Propos recueillis par Olivier Lexa et Jérôme Provençal