Andris Nelsons jouit du privilège rare d’être à la tête de deux des formations les plus prestigieuses au monde : le Boston Symphony Orchestra depuis 2014, et le Gewandhaus de Leipzig depuis 2017 – il succédait alors à Riccardo Chailly. Le musicien étant le premier à cumuler ces deux postes simultanément – Arthur Nikisch ayant dirigé les deux orchestres à des époques différentes –, les deux institutions ont instauré un partenariat, notamment pour les commandes aux compositeurs et les activités pédagogiques.
Né à Riga en 1978, Andris Nelsons est issu d’une famille d’artistes : sa mère fonda le premier ensemble de musique ancienne en Lettonie, son beau-père dirigeait une chorale amateur et son père était violoncelle solo de l’orchestre de Riga. Dès l’âge de 3 ans, il fréquente répétitions et concerts. Son beau-père l’emmène à son premier opéra, Tannhäuser de Wagner, une révélation à 5 ans. Alors qu’il débute sa carrière de trompettiste professionnel, une opportunité décisive s’offre à lui lors d’une tournée de l’Orchestre philharmonique d’Oslo à Riga, sous la direction de Mariss Jansons. Un trompettiste tombe malade avant la Symphonie fantastique de Berlioz. Nelsons, qui n’a alors que 21 ans, le remplace au pied levé. Cette occasion lui permet de rencontrer Jansons, qu’il suit bientôt comme chef stagiaire. Il restera jusqu’à la fin proche de son mentor et compatriote. Jansons l’encourage à se consacrer exclusivement à la direction d’orchestre. Alors que Nelsons est confronté au choix entre devenir chef principal de l’Opéra de Riga ou de l’Orchestre symphonique, son aîné lui conseille fermement l’opéra d’abord, estimant que l’inverse fonctionne rarement.
Sa notoriété internationale s’affirme véritablement lorsqu’il prend les rênes du City of Birmingham Symphony Orchestra en 2008 – dix ans après la fin du mandat de Simon Rattle, qui avait profondément marqué l’orchestre. Sa nomination relève du coup de foudre : sans concert public, des rencontres privées et quelques répétitions suffisent à sceller l’adhésion mutuelle. Cette aventure s’achève en 2015, ouvrant la voie à Leipzig. Depuis Bach et Mendelssohn, la ville allemande rayonne telle une petite capitale de la musique classique. De très nombreux compositeurs y ont eu une histoire déterminante : Wagner y est né, d’importantes œuvres de Beethoven y furent créées et Mahler y travailla. Mendelssohn, chef permanent de l’orchestre de 1835 à 1847, incarne plus que tout autre l’esprit de Leipzig. Aussi le second programme proposé à la Philharmonie de Paris par le Gewandhaus sous la direction de Nelsons met-il logiquement en lumière sa Symphonie n° 5. Dans ce répertoire, la réputation de la formation quant à sa transparence sonore n’est plus à faire. Le Requiem allemand de Brahms couronne cette soirée. « Le Requiem allemand de Brahms dégage un sentiment très réconfortant. […] Vous vous sentez embrassé par cette musique, même si vous n’êtes pas religieux. Il y a quelque chose de très apaisant dans le son de l’orchestre avec le chœur et les solistes », déclarait le chef en 2023 sur le site internet de l’orchestre allemand.
La veille, un programme séduisant, mettant en miroir des œuvres de Pärt, Dvořák et Sibelius, avec la grande violoniste Hilary Hahn en soliste, nous mène vers d’autres contrées. Là aussi, Nelsons aura à cœur de toucher son public. « Est-ce que ça vous parle ? Avez-vous été époustouflé ? Nous, les musiciens, avons-nous créé une atmosphère ? Être techniquement parfait est le mécanisme de base, mais […] nous devons ajouter la magie et le pouvoir hypnotique. Sinon, ce n’est rien », confiait-il au quotidien The Guardian. Nelsons a parfaitement conscience que diriger un orchestre, cette activité mystérieuse pour le profane, impose un travail de longue haleine : « Je pense qu’il m’a fallu dix ans pour comprendre quelque chose à propos de la direction d’orchestre. […] C’est comme quand nous apprenons à parler : ce n’est que progressivement que nous pouvons en faire une expression consciente de ce que nous voulons dire. Avec la direction d’orchestre, nous le faisons non seulement à travers nos mots, mais aussi à travers nos mains et le reste de notre corps » (Gramophone).
Il faut ainsi voir la grande stature d’Andris Nelsons en action, plongeant pour extraire la quintessence sonore, ses longs bras dialoguant intimement avec les musiciens, ou s’élevant vers quelque idéal. Gageons qu’avec sa gestuelle puissante et son engagement autant physique que mental, la magie qu’il appelle de ses vœux a toutes les chances d’opérer.