Le plus grand orchestre symphonique d'Afrique centrale s’associe avec le Chœur de l’Orchestre de Paris pour un concert de grande ampleur.
Des pygmées Aka – sujets de nombreux enregistrements ethnomusicologiques (Simha Arom…) et arrangements classiques ou jazz (Aka Moon, Quatuor Béla…) – à l'afrofuturisme électronique des Mbongwana Star (ex-Staff Benda Bilili), en passant par la rumba de l'illustre Papa Wemba, le Congo et sa capitale bouillonnante Kinshasa regorgent de créativité. L'esprit d'innovation traverse la ville, embrase ses quartiers, véritables centres névralgiques du DIY à l'image de ces figures sculptées à partir du rebut des hommes qui l’habitent (cf. les robots de Danniel Toya).
Avec l’Orchestre Kimbanguiste de Kinshasa (ou OSK), c’est au sein du noble paysage de la musique classique que cette créativité se fraie un chemin. Plus question de s’enfermer dans le mimétisme dénué d’ambitions, les codes, les habitudes et répertoires associés à la musique savante occidentale. Souligner l’ancrage ancestral des motifs d’inspiration fait partie des missions que s’est données cet orchestre inclassable qui a su tirer son épingle du jeu.
CRÉATION DE SYNERGIES
C’est à l’intérieur d’une communauté religieuse, l’Église kimbanguiste – un des mouvements sociaux ayant lutté pour l’indépendance de la République Démocratique du Congo – que naît l’ensemble « amateur » OSK. Créé par Armand Diangienda, petit-fils de Simon Kimbangu – chef spirituel et fondateur de cette même Église – il répond à la demande de son père qui l'enjoint à élargir le cercle de ses connaissances pour évoluer musicalement. L’ensemble, composé d’une partie instrumentale (cordes, bois, cuivres, percussions) et d’un chœur, donne son premier concert en 1994 à Kinshasa. Il est aujourd’hui le plus grand orchestre symphonique d’Afrique centrale et rencontre à l’envi d’autres formations internationales (Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Orchestre Philharmonique de Londres, Orchestre de chambre de Tübingen, Orchestre de la radio WDR de Cologne…). En 2020, sans l’apparition de la pandémie, l’OSK aurait dû recevoir Daniel Barenboim à Kinshasa.
À son compteur, plus de 200 membres passionnés de musique dont certains demeurent autodidactes. Vendre des avocats au marché pendant la journée ne les empêche pas de se réunir une fois par semaine pour répéter et de se produire dans le monde entier, de Monaco aux Seychelles en passant par les États-Unis. Disposant de ressources limitées à leurs débuts – partitions et instruments faisant défaut dans une capitale chaotique – le système D a néanmoins fonctionné ; la détermination et la foi ont fini par payer et récompenser l’éthique de l’engagement, celui de « jouer sa partition dans la promotion de la paix et de la concorde dans le monde » (Armand Diangienda).
UN CHEF D'ORCHESTRE HORS NORME
Chef d’orchestre au parcours de vie atypique, à l’image de la musique classique hybride qu’il prône, Armand Diangienda était destiné à une carrière de pilote d’avion. Après des études en Belgique et en Floride, il devient finalement, en 2002, directeur artistique, chef d’orchestre et compositeur de musique symphonique, endossant avec brio ses multiples casquettes jusqu’à devenir membre honoraire de la Royal Philharmonic Society de Londres.
Armand Diangienda grandit dans le milieu de l’Église chrétienne, mais dans une ambiance bien différente de celle de la musique grégorienne ; celle dans laquelle il baigne s’apparente plutôt aux chants de chorale et aux fanfares. Une autre inspiration pour le moins inattendue, dans l’élaboration de sa vision musicale, est celle du reggae. Dans les années 90, il se produit avec le groupe Burnin’ Ash, en tant que guitariste, puis batteur, et fait la première partie de UB40 dans la plus grande salle de Belgique : Forest National à Bruxelles. Il apprend alors, à bon escient, les vertus de la discipline et de l’organisation, mises en pratique ensuite avec la direction de l’OSK ou d’autres orchestres internationaux (Korean National Symphony Orchestra, Boston Landmark Orchestra).
L’activisme socio-culturel d’Armand Diangienda a donné naissance à deux conservatoires – en RDC et en Angola – dans le but de permettre une meilleure éducation musicale sur le sol africain où les échanges entre pays se font encore trop rares. L’enjeu réside, à travers la formation de la jeunesse, dans la conquête d’une place pour l’Afrique au sein de ce patrimoine culturel universel qu’est la musique classique – une Afrique conjuguée au pluriel, riche de singularités, qui n’a rien à envier à l’Europe de Mozart, Beethoven, Haydn ou Haendel. Proposer une musique de création aux oreilles occidentales, valoriser le patrimoine musical congolais, c’est ce qui pousse les membres de l’OSK à composer leurs propres partitions.
SYMPHONIE « MON IDENTITÉ »
À la Philharmonie, c’est la Troisième Symphonie d’Armand Diangienda, « Mon identité », qui est donnée à entendre. Comme son nom l’indique, un certain retour aux sources est à l’œuvre : « Je veux procéder à un voyage dans le passé, retourner dans l’histoire pour m’inspirer et revenir dans le présent pour présenter une musique que nous ignorons. » Armand Diangienda met ici l’accent sur la formule rythmique des courtes mélodies traditionnelles des villages, à l’instar des rythmes rapides joués lors des mariages coutumiers de la tribu Lokele à la frontière avec le Soudan. Thèmes en boucle, motifs répétitifs, il s’agit pour l’orchestre symphonique de les reproduire et d’y apporter une variation, un changement de tonalité. Inspiré par ce qu'il entend quotidiennement, Armand Diangienda revitalise des structures musicales et des sons passés inaperçus. À titre d’exemple, lors d’un enterrement dans le centre de Kinshasa, il entend jouer un instrument en forme de trapèze avec un trou dans la caisse, le ditumba (sorte de tambour ou timbale), qui produit un rythme mélodique particulier. La musicalité de cet instrument traditionnel, utilisé pendant le deuil, nourrit sa recherche et colore ainsi sa Troisième Symphonie.
Dans cette volonté de mettre en valeur la musique congolaise, Armand Diangienda est en effet vite rattrapé par l’histoire, par la puissance d’une musique congolaise jouée par les ancêtres bien avant l’arrivée des colons. À cette époque, dans la forêt équatoriale, pas d’accords chez les Pygmées, pas de décision de chanter une mélodie. Des phrases se répètent mais la personne qui entonne la chanson ne s’attend pas à ce que les autres chantent la même mélodie. Un thème mélodique, à chaque fois nouveau, prend alors la suite. À l’image de cette synchronicité spontanée, la partition de Mon identité est tissée de mouvements, de mélodies parallèles qui créent une harmonie différente de celle apprise et comprise avec la musique classique occidentale.
Des cantiques kimbanguistes aux productions avec Peter Gabriel, le rayonnement de l’OSK est large et ne cesse de grandir ; en témoignent le concert en 2015 au Carnegie Hall, pour les ONG One et (Red) cofondées par Bono, devant les philanthropes et mécènes de luxe Sting, Louis Vuitton, Joe Biden, Bill Clinton et Bill Gates ; le documentaire Kinshasa Symphony qui leur a été consacré ou encore les reportages de CNN (Inside Africa DRC Orchestra), CBS (Joy in the Congo) ou la BBC… Donner une autre vision de la musique classique, moins austère et plus rythmée, créer et se distinguer à partir du déjà-là… tels sont les défis d’envergure lancés aujourd’hui aux compositeurs du continent africain. L’OSK leur montre la voie.