La Philharmonie de Paris salue la personnalité multiple du compositeur grec, au travers d’une programmation protéiforme qui englobe une exposition et une série de concerts alternant chefs-d’œuvre monumentaux, pièces intimistes et pages méconnues.
Iannis Xenakis est une personnalité hors du commun, à tous égards emblématique du XXe siècle : scientifique de formation à une époque de progrès techniques fulgurants, homme engagé, en lutte contre les nombreux fascismes de son temps, penseur de l’urbanisme avec Le Corbusier et, bien sûr, compositeur révolutionnaire dont l’œuvre reflète toutes les autres facettes de sa vie.
Au Musée de la musique, le visiteur pourra se plonger dans les archives personnelles de la famille Xenakis (une rencontre avec Mâkhi, sa fille et co-commissaire de l’exposition, est proposée le 18 mars) et par là-même dans le cœur du réacteur de la création xenakienne. S’appuyant sur cette riche documentation, ainsi que sur des dispositifs multimédias et interactifs, la conception de l’architecture musicale du compositeur est mise en perspective de la vision de l’architecture de l’ingénieur, et l’on pourra à sa guise remonter la généalogie de ses œuvres au fil des partitions graphiques et des équations mathématiques qui sous-tendent sa pensée compositionnelle. On suivra également la fabuleuse et difficile aventure qu’a représenté la vie de l’artiste.
« Son parcours, écrit en effet Stephanos Thomopoulos, qui défendra son œuvre de piano le 17 mars, est marqué par la différence et la lutte pour avancer. Le déplacement perpétuel, la guerre, la blessure, l’exil. Être étranger partout. En Grèce, en France. Chez les architectes, chez les musiciens. Vouloir constamment montrer qu’on peut faire les choses autrement. Ouvrir des portes hermétiquement fermées. La musique de Xenakis peut paraître cruelle, sauvage, brutale. Mais, y a-t-il naissance sans bouleversement ? Sans douleur ? Sans lutte ? »
Xenakis, architecte du musical
« Je ne crois pas que toute la musique devrait être interprétée dans un seul type de salle : une multiplicité de lieux conviendrait mieux aux différentes formations instrumentales mises en jeu. » Ces propos de Xenakis vont comme un gant au projet de la Philharmonie. Et c’est précisément cette théorie architecturo-musicale que les solistes de l’Ensemble intercontemporain mettent à l’épreuve le 20 mars avec Tetras, saisissant quatuor à cordes joué dans les espaces du Musée de la musique.
C’est dans son écriture révolutionnaire de l’orchestre que la pensée architecturale de Xenakis s’exprime de la manière la plus éloquente. Matthias Pintscher, dirigeant l’Ensemble intercontemporain et l’Orchestre du Conservatoire de Paris, nous le démontre le 18 mars en interprétant Nomos Gamma et Terretektorh : disséminant les musiciens parmi le public et dans la salle de concert, Xenakis redéfinit l’identité du symphonique et tisse de véritables « tapisseries sonores » hors du temps, que l’on écoute comme on contemple un paysage monumental. De même, dans Alax (le 20 mars par Les Siècles, sous la baguette de François-Xavier Roth), ce mathématicien dans l’âme répartit les musiciens en trois groupes identiques placés aux sommets d’un triangle équilatéral, pour organiser entre eux des échanges sonores, tel un ballet projeté dans l’espace.
Xenakis, homme de combats
Le 19 mars, l’organiste Hampus Lindwall et le chef Léo Warynski – emmenant un formidable chœur constitué par Les Métaboles et Stella Maris, l’Ensemble vocal des Grandes écoles, et des chœurs d’enfants et d’adultes d’Île-de-France – nous découvrent un Xenakis plus rare et méconnu : le combattant pour la liberté qui, dans Nuits, rend hommage aux souffrances de ses compagnons tombés face à la barbarie.
Enfin, s’il est un domaine dans lequel l’imagination créatrice de Iannis Xenakis s’est amplement développée, c’est bien celui de la percussion (19 mars, concert des Percussions de Strasbourg). Les quelques œuvres que Xenakis a dédiées à cet ensemble phare de la création contemporaine sont en effet immédiatement devenues des références. Et notamment Persephassa, « chorégraphie sonore » destinée à une exécution en plein air, ou Pléïades, qui explore tout le spectre des percussions (Mélanges, Métaux, Claviers et Peaux), et introduit en prime le sixxen, nouvel instrument entre cloches des alpages, carillon d’église et gamelans balinais.