Mâkhi Xenakis et Thierry Maniguet évoquent la modernité radicale du compositeur grec, révolutionnaire du son et expérimentateur insatiable à l’origine d’un univers multidimensionnel dont la scénographie de l’exposition veut rendre compte.
Pour Mâkhi Xenakis et moi-même, ça a été une évidence dès le début.
Ne pas parler de Iannis Xenakis compositeur, puis Xenakis architecte, puis informaticien, mathématicien... mais montrer qu'il n'était jamais l'un sans l'autre, ni l'un puis l'autre.
Ça n'est pas un artifice.
Il le disait lui-même, c'est sa thèse, « alliage art et science ».
Il s'est construit un univers à base de philosophie grecque, d'antiquité grecque, et de tas d'autres choses qui l'intéressaient : les mathématiques, l'art, la musique, l'astronomie.
Il s'est construit tout un univers à lui pour lui-même, pour son langage, qu'il a continué à construire à Athènes, où il voulait faire ses études d'ingénieur et faire de la musique.
Mais la guerre a éclaté, et il a participé très vite à des mouvements de résistance contre l'occupant allemand, puis après, contre l'occupant britannique.
En 1945, il a reçu un éclat d'obus britannique au visage qui lui a fait perdre la moitié de son visage et un œil. Après, il a été condamné à mort, il a dû s'enfuir de Grèce dans la soute d'un bateau, grâce à son père, et il est arrivé en France en 1947, donc il était déjà âgé.
Et ce qu'il racontait quand il parlait de sa musique, c'était qu'il s'était construit son univers.
Les sons de sa musique venaient de ce qu'il avait entendu à la fois avec cette nature fantastique qu'il a toujours adorée et qu'il avait besoin de retrouver chaque année.
Les sons de la nature, des orages, de la grêle, tout ce qui constitue la nature, et aussi les sons des manifestations pendant la guerre, les slogans, les scansions des voix, les tirs, les silences, les cris...
Il s'est construit comme ça.
Xenakis affirmait qu'il était né 25 siècles trop tard.
Il est féru d'Antiquité, il pratique le grec ancien.
Quand il se sauve de Grèce, il a dans sa poche un exemplaire de La République de Platon.
Cet exemplaire, qu'il a gardé jusqu'à la fin de ses jours, nourrissait ses nuits quand il était emprisonné.
Et en même temps, il est de la modernité la plus radicale.
Il est ancré dans le quotidien, il est au courant des dernières technologies.
Dès qu'il y a une nouvelle machine à calculer, dès qu'il y a les ordinateurs, c'est un des premiers à solliciter IBM et à avoir du temps de calcul sur ces énormes machines, quand IBM était place Vendôme.
C'est donc à la fois quelqu'un de l'Antiquité, féru aussi de civilisations précolombiennes, et de la modernité la plus complète.
Pendant ces deux années de travail avec Thierry Maniguet sur cette exposition, comme j'avais les archives avec moi et que je numérisais en permanence pour proposer de nouvelles choses, j'ai retrouvé des choses qu'on n'avait pas encore vues ou qui étaient passées à l'as.
Et c'est vrai que, depuis toujours, je m'intéresse au processus de création.
J'avais déjà fait ça sur l'œuvre de Louise Bourgeois, et je me suis aussi intéressée au processus de création de mon père.
J'ai retrouvé un dessin de son diplôme d'ingénieur, qui date de 1946 ou 1947, donc juste avant de passer son diplôme, avec les paraboloïdes hyperboliques, ces formes mathématiques que les ingénieurs utilisaient pour calculer des ponts, mais qu'il a reprises pour ses dessins graphiques, pour ses partitions, pour Metastasis, comme pour le pavillon Philips, puis pour les Polytopes.
À l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur Iannis Xenakis (1921 ou 1922-2001), Révolutions Xenakis célèbre les nombreuses facettes de l’un des artistes les plus féconds de la seconde moitié du XXe siècle. Amoureux de l’Antiquité grecque, «né vingt-cinq siècles trop tard», comme il l’affirmait, Xenakis fut pourtant un créateur à la pointe de la modernité la plus radicale. Tout à la fois compositeur, architecte, ingénieur, féru de mathématiques et d’informatique, il a fait œuvre de pionnier dans de nombreux domaines comme la musique électroacoustique ou l’informatique musicale. Ses spectacles de lumière et de son ont conquis un large public et la vitalité de son catalogue, riche de près de 150 opus, ne s’est jamais démentie.
Remettant en cause les fondamentaux des principaux mouvements de la musique de l’après-guerre, Xenakis a inventé une grande partie des techniques compositionnelles qui caractérisent la seconde moitié du XXe siècle. Auteur d’une écriture s’appuyant sur les mathématiques et sur une représentation graphique de la notation musicale, le compositeur a révolutionné la notion de son musical, son concept de masses sonores étant à la source de timbres inouïs. Il a introduit également le traitement des grands nombres et la notion de probabilité, qui sous-tendent sa théorie de musique stochastique. De même, il a eu recours aux mathématiques des jeux, imaginant le principe de pièce musicale aléatoire, dont le contenu n’est fixé que pendant son exécution, sous l’effet d’un «duel» entre deux ensembles orchestraux. Enfin, l’approche inédite du compositeur de l’espace et du temps dans la conception de ses spectacles font de lui l’un des pères fondateurs de l’art numérique.
Commissaires de l’exposition: Thierry Maniguet et Mâkhi Xenakis