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Révolutions Xenakis : Metastasis et Pithoprakta

Publié le 18 février 2022 — par Philharmonie de Paris

— Pithoprakta, partition graphique, 1956 - © Collection Famille Iannis Xenakis

Iannis Xenakis a pensé la musique comme espace-son, s'affirmant comme un pionnier de la spatialisation. Le musicologue Makis Solomos évoque ici le processus de composition de Metastasis et de Pithoprakta,  première pièce à employer les probabilités, en référence à la physique moléculaire.

— Exposition Révolutions Xenakis : entretien avec Makis Solomos

On peut partir peut-être du Pavillon Philips pour faire la relation avec la musique.
Le Pavillon Philips de 1958 a été construit pour l'Exposition universelle de Bruxelles.
Le Corbusier a tardé à reconnaître la paternité de Xenakis.
Il a fini par le faire.
Ça occupe les historiens, mais le débat est clos.
Xenakis a inventé totalement.
Il a calculé les fameuses paraboloïdes hyperboliques.
Dans cette architecture, pensée comme des surfaces courbes, régulières et calculées, on retrouve la musique, parce que les dessins ont d'abord servi pour composer la musique.
C'est ce qu'on voit ici, avec la fameuse pièce « Metastasis », l'Opus 1 de Xenakis, où nous avons, de gauche à droite, le temps, comme dans une portée.
Donc ici, nous avons les 3 premières parties de la pièce, environ 4 minutes.
Et de haut en bas, nous avons les hauteurs, mais toutes les hauteurs, de l'extrême grave à l'extrême aigu.
Xenakis aimait bien inventer les titres de ses pièces.
Il adorait inventer le plus possible, jusqu'aux titres de ses pièces.
Beaucoup sont inventés à partir du grec.
C'est du grec, mais totalement inventé.
« Metastasis », c'est un mot grec assez usuel.
C'est un des rares titres pas complètement inventés.
« Meta – stasis ». « Meta », « après ».
Et « stasis », « position »... « processus ».
Le mot est utilisé pour le cancer, « les métastases ».
De façon générale, il désigne les mouvements, les mutations.
« Pithoprakta », c'est l'Opus 2 de Xenakis, après « Metastasis », et là, effectivement, le mot est radicalement nouveau en grec.
Pour comprendre « prakta », c'est assez évident : « praxis », action.
Et avec « pitho », Xenakis évoque la Pythie, en remplaçant le « y » par un « i ».
À Delphes, c'était la personne qui était censée vous lire votre avenir.
Mais l'avenir, dans son langage de scientifique, c'est les probabilités.
Donc en fait, la traduction littérale du titre, c'est : « action due aux probabilités ».
C'est la première pièce où Xenakis va employer les probabilités.
Si vous vous souvenez, il a écrit un article en 1955, « La Crise de la musique sérielle », qui a été un coup de poing dans l'avant-garde, qui était principalement sérielle, pour dire : « Messieurs les compositeurs sériels, vous composez avec 12 notes. Pourquoi vous limiter à 12 notes, et pas 1 000 ou 10 000 ? »
Et c'est ce qu'il va faire, en disant : « Nous savons, lorsque nous avons un grand nombre d'objets, d'éléments, que nous pouvons utiliser les probabilités. »
Référence à la physique moléculaire, science déjà très développée au 19e siècle.
Et donc, Xenakis va comparer un son à une molécule pour penser le son comme un gaz, et il va faire des calculs de ces molécules.
Il prend les équations probabilistes qui proviennent de la physique moléculaire, Boltzmann, Gauss, etc. et il va les appliquer aux durées, aux hauteurs et aux pentes de glissandi.
C'est ce que nous voyons ici, dans ce schéma.
C'est très touchant, car ce n'est pas le schéma initial de Xenakis, c'est probablement un schéma qu'il a fait à main levée à l'occasion d'une conférence qu'il a dû donner.
Donc il a reproduit de mémoire le graphique qui a dû lui coûter des heures de calcul le soir, puisque pendant le jour, à ce moment-là, il travaillait chez Le Corbusier, et où il a calculé 1 052 sons, dans les 3 paramètres que je viens d'énoncer, donc à la fois la durée, la hauteur d'attaque et le glissando.
Et avec ce graphique, il les a distribués dans le temps.
L'exposition réalisée par Mâkhi Xenakis et Thierry Maniguet a justement comme idée de finir sur le dessin, pour mettre l'accent sur le fait que Xenakis était un homme de...
Alors, « dessin »... Il faudrait un mot plus général.
Disons « geste ». Ou « espace ».
C'est vrai qu'il a innové en pensant la musique comme « espace-son ».
Il a évidemment pensé la musique par rapport au temps, mais aussi par rapport à l'espace, dans les 2 acceptions du terme, à la fois un espace figuré, comme dans ce graphique, mais aussi au sens littéral, puisqu'il a été un pionnier de la spatialisation du son, notamment avec « Terretektorh » ou « Nomos Gamma », qui vont être jouées à la Cité de la musique, où l'orchestre entier est distribué dans le public, ou avec ses pièces électro-acoustiques comme « La Légende d'Eer », où des haut-parleurs entourent le public et le son « voyage ».

Ingénieur, architecte, compositeur, mathématicien, informaticien, Xenakis ne fut pas l’un puis l’autre, ni l’un sans l’autre. Prônant les alliages entre arts et sciences, comme il les qualifiait lui-même, son œuvre musicale et architecturale est le reflet de ces différentes disciplines, fortes de dynamiques complémentaires. L’apport des mathématiques est essentiel et sous-tend la grande majorité des projets développés par Xenakis. Sans qu’il existe une traduction d’un principe architectural en concept compositionnel, le rythme de la façade de pans de verre ondulatoires du couvent de la Tourette peut être mis en regard des matrices musicales d’Achorripsis (1956-1957) ou de Pithoprakta (1955-1956), tout comme les parois en paraboloïdes hyperboliques du Pavillon Philips répondent aux courbes des glissandi de Metastasis (1953).