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39 min
En intégralité, jusqu’au 31 décembre 2035

Ensemble intercontemporain / Pierre Boulez / Peter Eötvös / David Robertson

Stockhausen
Enregistré le 3 avril 1998

Programme

1.
Karlheinz Stockhausen
Gruppen pour trois orchestres
26:43

Création : le 24 mars 1958, à Cologne, sous la direction conjointe du compositeur, de Bruno Maderna et de Pierre Boulez.
Effectifs : orchestre I : (direction David Robertson) flûte/flûte piccolo, flûte en sol, hautbois, cor anglais, clarinette, basson, 2 cors, 2 trompettes, trombone, trombone basse, tuba, 4 percussions, glockenspiel à clavier ou célesta, harpe, 10 violons, 2 altos, 4 violoncelles, 2 contrebasses - orchestre II : (direction Peter Eötvös) flûte/flûte piccolo, flûte, hautbois, clarinette, basson, saxophone, 3 cors, 2 trompettes, trombone, trombone basse, 4 percussions, piano, guitare électrique, 8 violons, 4 altos, 2 violoncelles, 2 contrebasses - orchestre III : (direction Pierre Boulez) flûte/flûte piccolo, hautbois, cor anglais, clarinette, clarinette basse, basson, 3 cors, 2 trompettes, 2 trombones basse, trombone contrebasse, 4 percussions, célesta, harpe, 8 violons, 4 altos, 2 violoncelles, 2 contrebasses.
Éditeur : Universal Edition.

Si le titre de cette œuvre désigne d’abord la division de l’orchestre en trois groupes instrumentaux, il rend non moins compte du principe d’écriture adopté, puisque ce dernier est appelé « Gruppenform » [forme de groupes] par le compositeur.

Cette forme relève d’un nouveau type de segmentation du discours musical, qui ne prend plus pour unité la note, mais le groupe de sons, ces divers groupes devant être suffisamment définis pour pouvoir être repérés. Chacun d’entre eux se trouve donc déterminé « par ses dimensions, sa forme, sa densité et surtout par sa qualité sonore propre qui résulte du traitement particulier appliqué aux différents paramètres des sons qui le constituent » (Francis Bayer) et qui déterminent le timbre global et sa manière d’évoluer. Cette méthode permet d’enrichir considérablement la palette orchestrale, puisqu’un « groupe » peut aussi bien être constitué d’une note isolée très brève, que former un complexe sonore d’une densité telle que la perception devient statistique.

La spatialisation effective des processus d’écriture mis en jeu par Gruppen est la conséquence d’une réflexion menée, non sur l’espace, mais sur le temps. En fait, la répartition dans l’espace des trois orchestres ne provient pas simplement du souci de rendre intelligible la superposition synchronique de plusieurs strates structurelles. C’est plutôt parce qu’il fut guidé par le souci d’accorder à chaque paramètre sonore une importance égale à celle des hauteurs, que Stockhausen en arriva à reconsidérer la notion de temps musical. Et c’est parce qu’il admettait qu’un même phénomène, la vitesse des vibrations, était responsable de la sensation de rythme ou de hauteur, qu’avec Gruppen il fut conduit à la nécessité de confronter, au même moment, plusieurs tempos. Or une telle simultanéité n’était réalisable que si ces divers tempos étaient confiés à plusieurs chefs d’orchestre, qui se voyaient donc attribuer chacun un groupe instrumental différent.

Les trois orchestres placés en fer à cheval, à gauche, devant et à droite du public, et comptant respectivement 37, 36 et 35 instrumentistes, offrent des formations très similaires. Ce principe permet de prendre en compte la disposition spatiale du son, sa direction, ainsi que l’élaboration de mouvements apparents donnant l’illusion qu’une même source sonore se déplace d’un orchestre à un autre. De ce point de vue, un passage, joué par les cuivres, est particulièrement réussi, car le déplacement qui s’y opère est de plus conjugué avec un emploi de sourdines qui produisent, elles, l’impression de l’éloignement. Mais, en plus des déplacements, échanges et échos, ainsi rendus possibles, ce dispositif permet encore de mieux repérer les diverses formes de groupe présentées (par alternance, isolement, fusion, rotation, etc.), et de jouer notamment de l’opposition entre notes isolées et agrégats sonores, ce qui serait impossible avec un dispositif combinant les événements au même endroit.

Guy Lelong

2.
Karlheinz Stockhausen
Klavierstück IX
11:48

Composition : 1954-1961. 
Création : le 21 mai 1962, à Cologne, par Aloys Kontarsky. 
Durée : environ 12 minutes.

Que ce soit Bach, Beethoven, Brahms, Schubert, Chopin, Liszt ou Scriabine, presque tous les grands compositeurs de l’histoire de la musique ont écrit des pages pour clavier qui font aujourd’hui partie des piliers du répertoire pour piano et où l’art de la composition se double d’un défi lancé à l’interprète. Les partitions pour piano de Karlheinz Stockhausen comptent désormais elles aussi parmi les classiques du répertoire, notamment ses onze premiers Klavierstücke (Pièces pour piano), qui ont vu le jour entre 1952 et 1961. À cette première série se sont ajoutées cinq nouvelles pièces, de 1981 à 2003, dans lesquelles le piano est remplacé par un synthétiseur, un instrument que Stockhausen considérait comme le prolongement de l’instrument à touches traditionnel.

Pierre-Laurent Aimard parle de « musique qui ne craint rien » à propos des Klavierstücke I à XI, ajoutant : « Chaque Klavierstücke est complètement différent des autres. Prenons par exemple le Klavierstücke IX ou X, l’un et l’autre sont si radicaux ! Chacun des onze Klavierstücke a sa particularité et sa gestique propres, chacun est unique dans son architecture, son arche. Stockhausen introduit chaque fois quelque chose de nouveau. » Qualifiant ses onze premiers Klavierstücke de « dessins », Stockhausen a commenté : « Quiconque compose aujourd’hui de la musique pour piano, c’est-à-dire explore et élargit les possibilités d’un seul instrument, d’un seul interprète avec ses dix doigts et ses deux pieds, choisit sciemment les vertus de la discipline, de la concentration, de la simplicité, de la subtilité. »

Ces vertus sont directement sensibles dans les quatre premiers Klavierstücke , écrits dans l’ordre III – II – IV – I. Y sont absents motifs, thèmes ou mélodies au sens traditionnel, de même que les dimensions harmoniques ou rythmiques habituelles ; on y trouve seulement des « points sonores » isolés qui se transforment constamment et, de temps à autre, s’unissent pour former des groupes sonores plus importants. La création de ces pièces à Darmstadt, à l’été 1954, s’acheva sur un concert de sifflets, tellement leur univers sonore était nouveau.

Le deuxième groupe de Klavierstücke (V à X) vise à « donner une nouvelle perception temporelle de la musique, selon le compositeur, les variations, accélérations et ralentis infimes et “irrationnels” que fait un bon interprète ayant souvent tendance à être plus bénéfiques qu’un mètre mesureur » – mètre mesureur qu’utilisait Stockhausen à l’époque dans ses premières œuvres électroniques pour déterminer précisément les longueurs de bande magnétique.

Le Klavierstücke IX décline divers degrés de périodicité et d’« apériodicité » : un accord de quatre sons est répété au début cent trente-neuf fois « à espaces réguliers », en passant progressivement du fortissimo à un quadruple piano. Après un bref arrêt sur la cent quarantième itération, la répétition reprend quatre-vingt-sept fois de suite avant qu’une ligne mélodique tendre et succincte vienne contraster par sa « souplesse » avec l’élément « figé ». Par la suite, l’accord revient de temps à autre jusqu’à ce que le discours musical débouche sur des groupes sonores évoluant de manière linéaire, homophonique et irrégulière, et s’estompent progressivement.

Imke Misch 
Traduction : Daniel Fesquet

Pierre Boulez, Péter Eötvös et David Robertson dirigent l’Ensemble intercontemporain dans Gruppen, pour trois orchestres, de Stockhausen – une pièce maîtresse de la modernité. Le concert est complété par le Klavierstück IX du même compositeur, interprété par Dimitri Vassilakis.

Distribution

Pierre Boulez
Péter Eötvös
David Robertson
Ensemble intercontemporain

Compositeurs - Auteurs

Karlheinz Stockhausen