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Hommage à Nobuo Uematsu

Publié le 15 mai 2017 — par Damien Mecheri

— Final Fantasy : hommage à Nobuo Uematsu

Depuis sa création en 1987, le jeu Final Fantasy est devenu une franchise, avec d'innombrables suites et produits dérivés sous forme de films ou de mangas. La musique orchestrale du Japonais Nobuo Uematsu a grandement contribué à ce succès.

Autrefois l’un des genres vidéoludiques les plus populaires au Japon, le J-RPG ou « jeu de rôle japonais » eut un rôle majeur dans la reconnaissance de la musique de jeu vidéo. Dès 1986, le compositeur émérite Koichi Sugiyama fut le premier à proposer un arrangement pour orchestre avec l’album Dragon Quest Symphonic Suite, consacré à ses partitions pour l’épisode originel de ce qui allait devenir l’une des plus célèbres séries de J-RPG. En 1987, il organisa au Japon le premier concert symphonique de musique de jeu vidéo au monde, baptisé Family Classic Concert, et mêlant les suites symphoniques de Dragon Quest I et II au Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns. Une initiative avant-gardiste qui mit sur un pied d’égalité le monde vidéoludique et celui de la musique savante.

Il fallut néanmoins attendre plus d’une quinzaine d’années avant que l’Occident n’en vienne à produire des concerts symphoniques dédiés au jeu vidéo. Et pour cause, dans nos contrées, le J-RPG ne put jouer que tardivement son rôle d’ambassadeur de la musique de jeu. L’Europe dut patienter jusqu’au milieu des années 90 pour véritablement découvrir ce genre vidéoludique. Le choc culturel causé par la sortie de Final Fantasy VII en 1997 fut retentissant. Spectaculaire, émouvant, profond, le jeu proposait une aventure épique de plusieurs dizaines d’heures, riche de personnages attachants, de décors enchanteurs et de rebondissements déchirants, au sein d’un univers hors norme mêlant la fantasy à la japonaise et le rétrofuturisme. Les joueurs européens découvrirent le potentiel narratif et ludique incroyable de ce genre jusqu’alors méconnu. Et si ce périple vidéoludique marqua à ce point, ce fut en grande partie grâce aux compositions de Nobuo Uematsu.

Les joueurs furent bercés par les musiques ensorcelantes de ce fin mélodiste, compositeur attitré de Final Fantasy depuis le tout premier épisode paru en 1987. Pour de nombreuses personnes qui n’avaient jamais joué à un J-RPG auparavant, la bande-son du septième épisode fut une révélation. Les musiques n’y étaient pas qu’un simple support sonore, elles venaient renforcer, voire façonner l’atmosphère et les émotions. Par le biais de leitmotive associés aux protagonistes, elles développaient une cohérence thématique sur l’ensemble du récit. Chaque lieu disposait de sa propre identité musicale, chaque séquence de narration gagnait en expressivité. À l’époque, il n’y avait pas encore de doublage – les compositions devaient ainsi être mises en avant et refléter d’autant plus les sentiments des personnages. Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui éprouvent un pincement au cœur à l’écoute de certaines musiques qui font ressurgir de fortes émotions ou des souvenirs intenses, à l’image du thème associé à la tragique destinée du personnage d’Aerith.

L’exemple de Final Fantasy VII, s’il est majeur en raison de son impact dans le monde du jeu vidéo, est en vérité typique du J-RPG. Très tôt, ce genre complexe s’est distingué par sa capacité à raconter des épopées passionnantes, à immerger le joueur dans des univers étonnants et à lui faire éprouver de l’empathie. Des objectifs atteints grâce au rôle primordial de la musique. Au fil des ans, divers compositeurs de J-RPG se sont fait un nom auprès des amateurs. Outre Koichi Sugiyama et Nobuo Uematsu, nous pouvons citer par exemple Yasunori Mitsuda (Chrono Trigger, Xenogears), Masashi Hamauzu (SaGa Frontier 2, FFXIII), Motoi Sakuraba (Star Ocean, Valkyrie Profile) ou encore Yoko Shimomura (Legend of Mana, Kingdom Hearts).

Suite au succès mondial de Final Fantasy VII, les J-RPG ont petit à petit quitté les frontières du Japon. Les plus curieux se sont penchés sur les œuvres passées et y ont découvert quantité de trésors musicaux et vidéoludiques, y compris au sein de la saga Final Fantasy, qui n’a pas attendu le septième épisode pour proposer des aventures exceptionnelles et des musiques inoubliables. Lorsque les concerts de musique de jeu vidéo ont commencé à percer dans le monde, les Final Fantasy ont été parmi les œuvres vidéoludiques les plus représentées.

Il y a bien sûr une grande part de nostalgie qui est convoquée dans ces célébrations musicales. Cependant, il y a aussi le plaisir certain de redécouvrir des morceaux par le biais de véritables instruments. Limitées par les capacités sonores des consoles de jeux, les compositions d’origine usent en majorité de sons synthétiques qui tentent d’émuler les instruments acoustiques.

Pourtant, au premier abord, les bandes-son de J-RPG ne revendiquent pas nécessairement une approche symphonique. Elles se distinguent par leur mélange des genres et leur hétérogénéité. Les nombreux timbres et couleurs musicales reflètent bien souvent la diversité des univers eux-mêmes. Les compositeurs s’autorisent tout : Nobuo Uematsu a écrit un morceau de metal pour Final Fantasy X et des ballades pop pour plusieurs épisodes, Yasunori Mitsuda pioche allégrement dans les musiques traditionnelles et folkloriques, Yoshitaka Hirota s’est inspiré du rock industriel pour Shadow Hearts, etc. La seule limite de ces artistes tient à leur imagination. Dans les Final Fantasy, il n’est pas rare d’entendre un morceau aux consonances médiévales, suivi d’un autre aux timbres jazzy ou aux couleurs orchestrales, sans que jamais la cohérence d’ensemble ne soit prise à défaut.

Les arrangements pour orchestre offrent toutefois une nouvelle ampleur à ces compositions. Un moyen efficace d’en renforcer les subtilités et les émotions, tout en ravivant les souvenirs des joueurs. Les concerts Symphonic Selections et Symphonic Odysseys vont néanmoins plus loin dans leur démarche qu’une simple transposition pour orchestre. À l’aide de medleys, de poèmes symphoniques voire de symphonies tout court, ils revisitent en toute liberté les œuvres d’origine.

Pour les arrangeurs de ces concerts, Jonne Valtonen et Roger Wanamo, l’hommage aux compositions de Nobuo Uematsu, Yoko Shimomura et Yasunori Mitsuda passe par le plaisir ludique de la reconstruction. Les thèmes se croisent, se mêlent, se répondent. Ces arrangements racontent une histoire qui est adressée à tous, tout en jouant agréablement avec les souvenirs des joueurs pour mieux les surprendre et les emmener dans des territoires inconnus.

Pour leurs orchestrations, Jonne Valtonen et Roger Wanamo ont puisé dans la musique savante du XXe siècle, en particulier dans les œuvres d’Igor Stravinski (Le Sacre du printemps), Richard Strauss (Ainsi parlait Zarathoustra), Gustav Holst (Les Planètes) ou encore Béla Bartók (Concerto pour orchestre). Des influences qui n’étaient pas ou peu présentes dans les musiques d’origine, mais qui traduisent le degré d’exigence de leurs arrangements, à la fois très respectueux des compositeurs japonais et en même temps désireux d’atteindre la richesse attendue d’un concert symphonique.

C’est ce mélange entre fidélité et liberté qui fait tout le sel de ces arrangements. Que vous soyez joueur ou non, Symphonic Selections et Symphonic Odysseys visent à vous étonner et à vous transporter dans des univers musicaux denses et colorés, reflets d’une rencontre moderne et passionnante entre la musique de jeu et la musique savante.