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Le quatuor à cordes d’hier à aujourd’hui

Publié le 09 janvier 2018 — par Hélène Cao

© Julien Mignot

Né au XVIIIe siècle, le quatuor à cordes a fait partie des premières pierres du style classique, avant d’être le témoin privilégié de toutes les évolutions du langage musical. Il reste aujourd’hui un terrain d’expérimentation pour de nombreux compositeurs. Mais quel est donc le secret de sa longévité ?

Deux violons, un alto, un violoncelle : cette formation, qui se constitue vers le milieu du XVIIIe siècle, hérite de la sonate en trio (deux parties de dessus et basse continue) et des œuvres à quatre parties de cordes de l’époque baroque (sonata a quattro, concerto a quattro chez les Italiens, sonate en quatuor, ouverture à quatre chez les Français, symphonies à quatre parties en territoires germaniques). Entre 1760 et 1800, elle devient l’effectif de chambre préféré des compositeurs, comme en témoigne leur abondante production : presque cent quatuors à cordes chez Boccherini, une soixantaine chez Haydn, vingt-six chez Mozart.

 

Quatuor à cordes op. 64 no 5 « L’Alouette » de Joseph Haydn par le Quatuor Takács. Concert enregistré à la Cité de la musique le 21 janvier 2012.

Le genre arrive à maturité au moment où il adopte des structures formelles similaires à celles de la symphonie classique (qui émerge au même moment) et une construction en quatre mouvements : un allegro de forme sonate ; un mouvement lent suivi d’un menuet (l’ordre de ces mouvements pouvant être inversés, le menuet se situant alors en deuxième position) ; un finale rapide, généralement de forme sonate ou rondo. Le premier violon se voit parfois doté d’une partie plus virtuose, voire d’un rôle concertant : ce type de quatuor, dit « brillant », aux allures de concerto pour violon, plaît encore dans la première moitié du XIXe siècle. Mais de façon générale, le quatuor à cordes vise à l’égale importance des instruments.

 

Quatuor à cordes op. 41 no 3 de Robert Schumann par le Quatuor Ysaÿe. Concert enregistré à la Cité de la musique le 21 janvier 2012.

Dès lors, le genre revêt un enjeu particulier, car il atteste (ou non) de la maîtrise des techniques d’écriture et des formes : avec une telle homogénéité de timbres, impossible de se réfugier derrière des effets sonores cache-misère ou une virtuosité d’apparat. Il devient même un cadre privilégié pour les expérimentations. On songera par exemple aux six Quatuors « À Haydn », où Mozart parvient à fusionner style classique et contrepoint, aux cinq derniers quatuors de Beethoven, qui remettent en question tant l’écriture instrumentale que le langage et la construction formelle. Mais les générations suivantes n’osent pas s’aventurer au-delà de ces innovations radicales. Il faut attendre Bartók (six partitions entre 1909 et 1939) pour qu’apparaissent des idées aussi inédites que spectaculaires, grâce, notamment, à l’étude des musiques populaires d’Europe de l’Est.

 

À partir de la seconde moitié du XXe siècle, le quatuor à cordes redevient un laboratoire privilégié, révélateur de l’évolution des esthétiques et des possibilités offertes par les nouvelles technologies. Steve Reich le superpose à des sons enregistrés (Different Trains et WTC 9/11), George Crumb l’électrifie (Black Angels). Certains compositeurs travaillent avec l’électronique en temps réel pour amplifier les instruments et transformer leurs timbres, comme Jonathan Harvey (Quatuor no 4) ou Yann Robin (Scratches). Mais c’est sans doute Stockhausen qui, à ce jour, a imaginé le dispositif le plus fou : dans Helikopter-Streichquartett (1993), les musiciens jouent chacun dans un hélicoptère en vol, les sons instrumentaux combinés au vrombissement des pales étant captés et transmis simultanément aux auditeurs restés sur notre bonne vieille Terre.

 

 

Hélène Cao

Hélène Cao est musicologue, professeur d’histoire de la musique et d’analyse à Paris, au CRR et au Conservatoire du XIIIe arrondissement.