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Pourquoi certains chefs dirigent avec une baguette et d’autres pas ?

Publié le 07 février 2017 — par Le Magazine

— Mariss Jansons - © P.meisel

Quel est le point commun entre Pierre Boulez et Herbert von Karajan ? Qu’est-ce qui les sépare ? Tous deux ont été des chefs d’orchestre emblématiques, mais l’un dirigeait avec une baguette, l’autre, sans.

Commençons par les chefs. La majorité d’entre eux dirigent avec une baguette. Ces dernières décennies, Pierre Boulez, Leopold Stokowski ou encore Kurt Masur dirigeaient (ou dirigent toujours) avec les mains, mais cela reste des exceptions.

Pourtant, les chefs d’orchestre tels qu’on les connaît aujourd’hui n’ont pas toujours existé, et leur baguette non plus. Au Moyen Âge et à la Renaissance, la musique n’est pas dirigée car les ensembles sont de petite taille et il suffit qu’un musicien donne le rythme pour que les autres suivent.

Une autre technique de direction consistait à frapper le sol avec un bâton pour marquer le rythme et que tout le monde joue ensemble. Cette manière de faire est illustrée par le tristement célèbre accident de Lully. Alors qu’il tapait par terre avec son long bâton, il se frappa l’orteil en pleine répétition de son Te Deum. La blessure se transforma en abcès puis en gangrène et, refusant de se faire amputer, le compositeur trouva la mort.

— Bâton de direction d'Hector Berlioz - © J.M Anglès

Pendant la période baroque, le « chef d’orchestre » était soit, comme on l’appellerait aujourd’hui, le premier violon, soit le musicien à la basse continue, soit le compositeur lui-même. Quand le premier violon dirigeait l’ensemble, il arrivait qu’il ne joue que sa partie solo et laisse aux autres musiciens les parties tutti (où toutes les cordes jouent).

Petit à petit, le gros bâton utilisé jusque-là pour battre la mesure se transforma en baguette, telle qu’on la connaît aujourd’hui. Différents individus revendiquent cette invention dans le courant du XIXe siècle. En 1794, un compositeur belge, Guillaume-Alexis Paris, recourt pour la première fois à une baguette. Mais Louis Spohr, compositeur et chef d’orchestre, affirme être celui qui l’utilisa le premier, en 1820 à Londres.

— Valery Gergiev dirige la répétition de l'Orchestre du Théâtre Mariinsky à la Philharmonie - © C.d'Hérouville

Peu importe finalement l’origine, il fallait que les orchestres, devenus bien plus imposants avec le répertoire romantique, aient un leader. C’est donc naturellement que le chef s’est posté sur un podium, baguette à la main, pour que tous les musiciens puissent le voir et suivre le mouvement de ses mains.

Aujourd’hui, la norme est à la direction avec baguette. Mais un chef d’orchestre comme Claudio Abbado pouvait choisir de la laisser de côté le temps d’un concert, comme lorsqu’il dirige la Symphonie n° 4 de Mahler, alors qu’il dirige les autres symphonies de Mahler avec baguette…

Impossible de faire des généralités, donc, sur le choix des chefs de diriger avec ou sans baguette. Il semblerait que toutes ces questions soient de l’ordre du ressenti, par rapport à l’orchestre, par rapport à l’œuvre, par rapport à la personnalité du chef d’orchestre et sans doute aussi par rapport à son parcours. Par exemple, Pierre Boulez, qui n’avait jamais de baguette, apprenait aux apprentis chefs pendant ses master-classes à diriger avec les mains.

D’autres chefs ont oscillé toute leur vie entre la direction avec et sans baguette. Ce fut le cas de Georges Prêtre, disparu le 4 janvier 2017. L’opéra Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni sans baguette, Guillaume Tell de Rossini avec. Mais l’essentiel pour lui n’était certainement pas dans ces questions, lui qui dirigeait par cœur et qui aimait à répéter : « La direction ne s’apprend pas ».