Philharmonie de Paris - Page d'accueil

Supersoniques #7 - Robert Moog

Publié le 15 mars 2023 — par Sabrina Valy

— Entretien avec Laurent de Wilde au sujet de Robert Moog

Les Éditions de la Philharmonie présentent Robert Moog raconté par Laurent de Wilde et Samplerman

Il y a un truc avec les synthés de cette époque, les synthés modulaires ou semi-modulaires, c’est qu’ils ont des petits trous dans lesquels on met des fiches, des espèces de petits « patchcords ». Ça, c’est déjà très, très appétissant. Et il y a les boutons qu’on a envie de tourner, et des curseurs qui montent et qui descendent. C’est absolument miraculeux : dès qu’on tourne un bouton, le son commence à changer, et on a une interface directe sur ce son complètement synthétique qui n’existait pas avant qu’on le fabrique soi-même, et qui fait... On a vraiment de le toucher. Alors Bob Moog est le champion de la « supersonie ». C’est un « supersoniquissime ». Bien sûr, le son, c’est sa passion. Non seulement ses instruments perdurent, mais la qualité et la logique qui sont derrières sont toujours présentes, même dans les produits nouveaux. Il fabriquait tous ses synthés à la main, avec des gars qui font les soudures, qui vissent les vis et tout. Et donc, il sait qu’il met un peu de lui. Il y a de l’émotionnel dans ses machines. Il faut tout simplement trouver le moyen d’en trouver le chemin. Bob Moog... Je ne dirais pas qu’il est l’inventeur, parce que ça a été certainement défriché auparavant, en particulier par un musicien assez inconnu, pour lequel il a travaillé dans sa jeunesse et qui lui a fait découvrir le principe de la musique cyclique, de la boucle. Et dans la mesure où l’électricité est une onde qui se répète, rapidement, cette façon de penser s’est imposée à la musique elle-même, qui est devenue une musique de répétition, c’est-à-dire huit notes qui tournaient en boucle, et on pouvait en varier les amplitudes, etc. Mais là, encore une fois, on ne s’en rend pas compte, auparavant, ça n’existait pas. Ou alors, ça existait quand on écoutait le « spin » de sa machine à laver pendant l’essorage, ou alors dans une usine de tissage à la fin du XIXe siècle. C’est du son machinique. C’est une machine avec ses petits pistons qui répètent toujours le même mouvement à toute allure, à une allure qu’un homme ne pourrait pas faire. Et ça, c’est Moog qui l’a fait entrer vraiment dans notre univers sonore. Et les choses, depuis, ne sont plus jamais repassées en mode arrière. La boucle est là pour rester. J’ouvre mon récit avec l’histoire de Sun Ra qui vient à l’atelier, à 4 heures de route de New York, dans l’atelier de Bob Moog, avec son orchestre. Ils viennent à plusieurs voitures. Sun Ra est un gars visionnaire. La validation de Sun Ra par Sun Ra du projet de Moog, qui était un peu à l’époque, on s’en rend pas compte maintenant, mais il était cantonné dans une niche d’électro-acoustique et de musicien un peu perché qui faisait des trucs inécoutables. Le clavier n’était pas du tout une extension naturelle de ses machines, c’était une machine à faire du son de synthèse. On se disputait pour savoir si c’est de la musique ou pas. Jusqu’à la fin de sa vie, Moog s’est fait engueuler par des gens qui lui reprochaient d’avoir inventé des instruments qui ne faisaient pas de musique. Wendy Carlos entre dans la trajectoire de Bog Moog quand elle s’appelle encore Walter. Elle est extrêmement intéressée par l’aventure de Moog, qui est très ouvert aux suggestions. Elle est parmi les premières à lui suggérer de mettre un clavier et de travailler sur le timbre de certains oscillateurs, etc. Et un peu pour se donner un projet musical, elle décide d’enregistrer Jean-Sébastien Bach, les parties séparées, avec des moogs en re-recording, puisque sur ces instruments, bien que très gros, on ne pouvait jouer qu’une seule note à la fois. Elle enregistre comme ça, notamment les Brandebourgeois. Vraiment, à titre expérimental, elle propose ça à Columbia, qui ne sont pas du tout intéressés, parce que pour eux, les synthés, c’est un truc de beatniks et de Californiens qui font des acides dans le désert. Son album s’appelle Switched-On Bach. On voit Jean-Sébastien Bach en perruque, avec un casque et un air demi horrifié, avec le gros meuble derrière qui a servi à fabriquer cette musique. Ça fait un carton mondial. Après ça, Walter va changer de genre et va s’appeler Wendy Carlos. Elle deviendra célèbre sous ce nom-là. Elle aura de la renommée quand elle fera la musique du Kubrick, Orange mécanique, même si là, c’était sur du Beethoven, en allant plus loin dans le pitch bend et dans le travail du son un peu obsessionnel. Ainsi, Wendy a mis, sur les platines de tout le monde, le moog modulaire. Alors, j’adore les illustrations de Samplerman, qui a, je trouve, transcrit dans le monde visuel ce côté un peu obsessionnel de Moog avec des sons qui font... Comme ça. On retrouve bien ça dans l’énergie de son image. On sent une grosse pulsation, et c’est ce qui définit vraiment les instruments Moog. Ils ont cette bonne pulsation tout le temps, tout le temps.

Entretien : Sabrina Valy
Réalisation et montage : Laurent Sarazin - Imaginé productions

À l’occasion de la parution de Robert Moog, l’auteur, pianiste et compositeur Laurent de Wilde explore les mondes sonores du Vaisseau-Moog. Son récit rencontre les images-pulsation de l’artiste Samplerman, avec lequel il cosigne ce septième numéro de la collection « Supersoniques ».

Dans sa banlieue natale du Queens, Robert Moog imagine l’équivalence entre le langage de la musique et celui de l’électronique. Il fabrique des boîtes métalliques qui produisent des sons jamais entendus auparavant. Sans ces machines à boutons reliés par des câbles, pas de vzzziiiooung ni de mouuuaaaaahh dans les musiques de Herbie Hancock ou des Beatles. Entre les mains des artistes qui s’en sont emparés, ses instruments ont créé le disco, la house, le rap. Bob Moog a pensé le futur de la musique.

Laurent de Wilde est compositeur, pianiste et écrivain. Il a été l’un des pionniers de la révolution électronique du jazz des années 2000 (prix Django Reinhardt, Victoires de la musique) et continue de se produire activement. En tant qu’auteur, il a notamment publié une biographie de Thelonious Monk (Monk, Gallimard, 1997) et un ouvrage retraçant la trajectoire des inventeurs, au XXe siècle, d’instruments ou de machines à produire du son avec de l’électricité: Les Fous du son (Grasset, 2016).

Œuvrant dans l’édition de bande dessinée alternative depuis les années 1990, Yvan Guillo alias Samplerman fabrique des images à partir de la transformation et de la duplication de comics mainstream des années 1950, y puisant des échantillons —des samples— qu’il réemploie dans ses propres créations. Il a reçu en 2019 le Prix de l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême.

Laurent de Wilde & Samplerman, Robert Moog, Paris, Éditions de la Philharmonie, coll. «Supersoniques», 2023.

Commander en ligne

Sabrina Valy

Directrice des Éditions de la Philharmonie

  • Entretien réalisé en mars 2023 par Sabrina Valy
  • Réalisation : Laurent Sarazin - Imaginé Productions
  • Montage : Laurent Sarazin - Imaginé Productions
  • © Cité de la musique - Philharmonie de Paris