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Le Boléro de Ravel, chef-d'œuvre d'un perfectionniste

Publié le 05 décembre 2024 — par Lucie Kayas

— Partition du Boléro de Ravel

Lorsque Ravel compose le Boléro en 1928, il a 53 ans et se trouve au sommet de sa gloire. Ni académique ni résolument moderne, c’est un esprit libre.
— Le Boléro de Ravel | Entretien avec Lucie Kayas

La structure du « Boléro » est très particulière. On a l'impression que, inspiré peut-être par la dimension « ingénieur », voire aussi « casse-tête », il s'est lancé un défi.
Il devait composer très vite et donc, il s'est donné des contraintes.
Première contrainte, c'est ce motif de caisse claire, qui est répété 169 fois.
Et par-dessus ça se greffent deux mélodies. On va obtenir 18 entrées de ces mélodies. Donc là, c'est le côté très « imbrication », presque technique.
À partir de ça, il y a ce phénomène orchestral, c'est un feu d'artifice orchestral. Et là, Ravel, orchestrateur qu'on connaissait déjà, par exemple dans « Daphnis et Chloé », va mettre au point une manière de construire un crescendo, puisqu'en fait, on va partir tout doux, pour obtenir quelque chose d'énorme.
Il va le faire de manière subtile, en faisant entrer les instruments d'abord un par un, avec des couleurs très particulières. Ainsi, on va avoir une entrée avec le saxophone, venu du jazz, auquel il propose des intonations tout à fait jazzy. Ça correspond à l'air du temps et à ce qu'il a entendu aux États-Unis. Cet élément jazz, on l'entend jusqu'à la fin, où les glissandi de trombone viennent encore conforter...
Donc il invite le trombone et le saxophone, des instruments du jazz, dans un orchestre qui n'est plus tout à fait classique. Cette combinatoire des instruments joue à la fois sur les instruments qui jouent les mélodies, on va en avoir de plus en plus, mais ce n'est pas un crescendo continu. De temps en temps, on repart en arrière pour pouvoir mieux progresser.
Quand on fait un schéma de ce « Boléro », ça devient un feu d'artifice visuel, sur cette manière d'agencer les instruments.
Et puis l'ostinato, cette formule de la caisse claire, va elle aussi être prise en charge par les instruments, plutôt des instruments graves, par exemple les quatre cors, qui vont renforcer progressivement cette partie purement rythmique. Donc, on a une espèce de double explosion progressive. Et tout le talent de Ravel est là, avec une minutie extrême.
On a vraiment l'impression que, quelque part, il s'est lancé un défi qu'il relève avec un brio incroyable, ce qui fait que cette œuvre, dont il disait qu'elle n'avait pas de musique dedans, est quand même le chef-d'œuvre que la postérité a retenu. 

Avant le départ de Ravel pour les Etats-Unis en 1928, l’ancienne danseuse star des Ballets russes de Serge Diaghilev approche le compositeur pour lui commander un «ballet de caractère espagnol» qu’elle souhaite donner à l’Opéra de Paris. À son retour d’Amérique, elle rappelle à Ravel son engagement. Dessins et peintures évoquent à la fois l’artiste en scène et la personnalité de cette figure d’exception.

Dans sa commande, Ida Rubinstein stipulait le caractère espagnol de l’œuvre à venir, idée adoptée d’emblée par Ravel. Le programme de la création propose un argument succinct: «Dans une taverne d’Espagne, on danse, sous la lampe de cuivre au plafond. Aux acclamations de l’assistance, la danseuse a bondi sur la longue table et ses pas s’animent de plus en plus». Le choix du Boléro confirme ce coloris espagnol dont Ravel avait hérité le goût de sa mère, née à Ciboure, à deux pas de la frontière espagnole.

«Mon objectif est donc la perfection technique. Je puis y tendre sans cesse, puisque je suis assuré de ne jamais l'atteindre. L'important est d'en approcher toujours davantage.» écrit Ravel en 1928 dans son Esquisse autobiographique. Cette exigence se manifeste dans toutes les dimensions de son existence, à commencer par ses œuvres musicales, plus ciselées les unes que les autres, et dont l’orchestration témoigne d’un raffinement hors du commun. Sa graphie musicale révèle une minutie ne tolérant aucune rature tandis que Ravel s’occupe à créer un monogramme à ses initiales qui apparaît sur partitions et cartes de visite.

Lucie Kayas