81 min
Rencontre
Michel Legrand
Enregistré le 2 décembre 2018
(Salle de conférence - Philharmonie)
Michel Legrand,
compositeur
Stéphane Lerouge,
médiateur
Les rencontres sont des moments privilégiés de partage avec les artistes, les auteurs ou les personnalités du monde musical invités ; ils s’expriment sur les enjeux artistiques du concert qui suit ou sur des problématiques culturelles d'actualité avant d'échanger librement avec le public.
Porté par soixante-cinq ans d’un parcours exceptionnel, Michel Legrand est l'un des compositeurs français les plus célèbres à l'échelle planétaire. De l'extérieur, il possède l'aura d'un monstre sacré, voire d’un héros romanesque. De l'intérieur, c'est un personnage affamé d'humour. C'est aussi l'homme de toutes les situations musicales (compositeur, arrangeur, pianiste, chef d'orchestre, chanteur), en équilibre entre musique de concert, de scène, de ballet, cinéma, jazz, variété, ce qui contribue peut-être à brouiller son image. Il est parfois difficile d’appartenir à une seule famille quand on voudrait toutes les revendiquer… Mais c’est sûrement ce qui fait la richesse de Michel Legrand, son originalité sur l’échiquier de la musique d’aujourd’hui. Branchez-le sur Bill Evans, il vous parlera de Darry Cowl. Evoquez Oum le dauphin, il vous répondra sur Jean-Luc Godard ou Stravinski. Aucun sujet ne lui résiste : il sera autant intarissable sur Antoine Blondin, Ivry Gitlis, Louis Aragon, Clint Eastwood, Natalie Dessay. Tel est Michel Legrand : octogénaire aux sourires et caprices d’enfant, pulvérisateur de frontières, créateur fantasque en dehors de tout système ou establishment, auteur d’une œuvre captivante dont les contours restent encore à cerner.
Au gré de cette rencontre, à l’aide d’extraits de films et d’un piano, Michel Legrand racontera comment, à travers l’univers d’un autre créateur, le cinéaste, il est parvenu à écrire une oeuvre à la première personne, des bandes très originales qui n’en finissent pas de hanter nos mémoires. « Face à une séquence à mettre en musique, il existe mille solutions possibles, souligne-t-il. Mais très peu sont justes. Pour y arriver, il faut à la fois écouter le cinéaste et lui désobéir, prendre note de la commande mais suivre impérativement son propre instinct. La recommandation peut sembler paradoxale mais je n'ai jamais procédé autrement. »
Spécialiste de la musique pour l'image, Stéphane LEROUGE est concepteur de la collection discographique Ecoutez le cinéma ! chez Universal Music France (140 références depuis 2000, dont récemment Lalo Schifrin, Quincy Jones, Howard Shore), animateur de rencontres et conférences (Festival de Cannes, Cinémathèque Française, Philharmonie de Paris, Festival Lumière). En 2016, il collabore avec Bertrand Tavernier sur la partie musicale du documentaire somme Voyage à travers le cinéma français. Depuis 1999, il réalise chez Universal Music l'intégralité des rééditions discographiques de Michel Legrand et co-écrit avec lui son livre de souvenirs, J'ai le regret de vous dire oui (Fayard), publié fin août 2018.
Michel LEGRAND, la musique au pluriel
«Depuis mon enfance, mon ambition est de vivre complètement dans la musique. Mon rêve est que rien ne m’échappe. C’est la raison pour laquelle je ne me suis jamais arrêté à une seule discipline musicale. J’aime jouer, diriger, chanter, écrire, et ce dans tous les styles. Cette diversité me préserve de l’uniformité.» C’est en ces termes que Michel Legrand définit son statut de musicien inclassable, atypique et boulimique. Ou plutôt ses statuts : compositeur, chef d’orchestre, pianiste, chanteur, auteur, metteur en scène, il est l’homme de toutes les situations musicales, abolissant avec vigueur les cloisons entre jazz, classique et variété. Un compositeur savant d'expression populaire. Né en 1932, Michel Legrand est issu d’une famille dans laquelle la musique est une tradition, représentée par son père, Raymond Legrand, et son oncle, Jacques Hélian. Après neuf ans d'études au Conservatoire de Paris, sous la férule de Nadia Boulanger, Henri Challan ou Noël Gallon, Legrand se fait happer par la chanson : il devient l’accompagnateur de Jacqueline François, Henri Salvador, Catherine Sauvage, avant d’être choisi par Maurice Chevalier comme directeur musical. Il suit ce dernier dans ses tournées à l’étranger, ce qui lui permet de découvrir les Etats-Unis. C’est aussi là-bas que son premier trente-trois tours instrumental I love Paris obtient un accueil triomphal, caracolant en tête des ventes de l’année 1954. Ce premier succès discographique a valeur de symbole : il dévoile la dimension internationale d’un talent âgé de vingt-deux ans qui, dès lors, s’épanouira autant en France qu’à travers le monde. Dans les années cinquante, Michel Legrand commence également à composer pour certains artistes qu’il accompagne. Sa première grande chanson, La Valse des lilas, révèle une écriture mélodique très personnelle qui deviendra bientôt une véritable «marque de fabrique». La jeunesse de Michel Legrand s’abreuve également à une source musicale déterminante, celle du jazz, dont la grande découverte, après-guerre, correspond pile à l’avènement du be bop. Tout au long de son itinéraire, Legrand épousera le monde du jazz dans sa pluralité, en expérimentant toutes les combinaisons, du trio au big band, du piano solo au quartet, et en se frottant à des figures clés comme Miles Davis, Bill Evans, Stan Getz, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Toots Thielemans, Stéphane Grappelli, Gerry Mulligan, Shelly Manne, sans oublier «l’axe cubain» avec Chucho Valdés et Arturo Sandoval.
Autre forme d’expression, la musique de film, que Michel Legrand aborde avec Les Amants du Tage d’Henri Verneuil, en 1955. Quatre ans plus tard, à l’avènement de la Nouvelle Vague, il devient l’un des artisans du renouveau du cinéma français, en collaborant avec Jean-Luc Godard, Agnès Varda, François Reichenbach et, bien sûr, Jacques Demy, son frère de création, avec lequel il invente une nouvelle forme au film musical. Palme d’Or du Festival de Cannes 1964, Prix Louis Delluc, Les Parapluies de Cherbourg triomphe dans le monde entier... contrairement aux prédictions pessimistes de nombreux professionnels. « Jacques et moi avons beaucoup ramé pour trouver un financement, se souvient Legrand. Après un an d’incertitudes, la situation s’est débloquée par l’intermédiaire de Pierre Lazareff (qui nous a présenté Mag Bodard, une jeune productrice) et de mon ami Francis Lemarque, avec qui j’ai produit l’enregistrement de la musique. Autrement dit, Les Parapluies de Cherbourg est une œuvre qui s’est faite contre tout le monde.» D’abord repris par Nana Mouskouri, le grand thème de la séparation (Je ne pourrai jamais vivre sans toi) va s’imposer comme un standard, grâce notamment à l’adaptation anglo-saxonne de Norman Gimbel (I will wait for you) et aux interprétations de Frank Sinatra, Tony Bennett, Louis Armstrong, Liza Minnelli... Legrand continuera à mettre en musique les rêves de Jacques Demy (Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’âne, Trois places pour le 26), même s’il part en 1968 s’installer à Los Angeles pour, de son propre aveu, «changer d’oxygène». Après le succès de L’Affaire Thomas Crown, d’où est issue la chanson The Windmills of your mind, il choisit de travailler entre Paris et Hollywood, au gré de ses coups de cœur : Un été 42, Lady sings the blues, Jamais plus jamais, Yentl, Prêt-à-porter... Considérant la musique de film comme un second dialogue, Michel Legrand est le seul compositeur européen dont la filmographie aligne les noms d’Orson Welles, Marcel Carné, Norman Jewison, Sydney Pollack, Robert Altman, Jean-Paul Rappeneau, Joseph Losey, Louis Malle, Andrzej Wajda, Richard Lester, Claude Lelouch, Xavier Beauvois… On aura rarement vu un musicien investir autant de familles différentes du cinéma, s’imposer comme un trait d’union entre Godard et James Bond, Chris Marker et Clint Eastwood. «Ma conception de la musique au cinéma est simple, précise-t-il. C'est une manière de parler à l’inconscient du spectateur, de faire remonter à la surface de l’image des sentiments enfouis, cachés. Gros avantage, en écrivant pour le cinéma, je peux faire la synthèse entre mes différentes cultures musicales, m’exprimer dans tous les styles possibles, avoir toutes les nationalités, être de toutes les époques.»
A partir de 1964, Michel Legrand ajoute une nouvelle corde à son arc, en prenant la décision d’interpréter lui-même ses chansons. Sa voix devient un instrument supplémentaire dont il se sert en dehors des normes habituelles. Michel Legrand va travailler sa voix et, surtout, se construire un répertoire avec deux auteurs d’élection : Eddy Marnay et Jean Dréjac. Il aura l’occasion de marier sa musique aux mots de Claude Nougaro, Jean-Loup Dabadie, Boris Bergman, Françoise Sagan, Jean Guidoni mais également, en 1981, d’écrire lui-même les textes de son album Attendre... dont il est par ailleurs l’interprète et le compositeur. Côté américain, la fidélité de Michel Legrand à Alan et Marilyn Bergman a donné lieu à plusieurs dizaines de grandes chansons, le plus souvent nées du cinéma (The Summer knows, What are you doing the rest of your life ?, How do you keep the music playing?). Dans le domaine du classique, Michel Legrand se frotte à une constellation de hautes figures, au gré d’émissions de télévision et projets discographiques : Ivry Gitlis, Kiri Te Kanawa, Jean-Pierre Rampal, Alexandre Lagoya, Jessye Norman, Maurice André, Catherine Michel, sans parler d’enregistrements de référence consacrés à Satie, Fauré et Duruflé. En 2016, il écrit deux concertos, l’un pour piano, l’autre pour violoncelle (sur mesure pour Henri Demarquette), enregistrés par l’Orchestre Philharmonique de Radio-France dirigé par Mikko Franck.
Entre jazz, baroque et musique d’aujourd’hui, le champ d’action de Michel Legrand est bien plus vaste qu’on ne l’imagine a priori. Impossible néanmoins , en quelques lignes, de tout révéler sur le compositeur. De faire l’historique de ses rencontres avec de grands ambassadeurs de la variété (Yves Montand, Barbra Streisand, Charles Aznavour, Ray Charles), d’expliquer comment il est devenu metteur en scène de cinéma (Le Masque de lune, Cinq jours en juin), de raconter son coup de foudre professionnel avec la soprano Natalie Dessay, avec laquelle il enregistre en 2017 l’oratorio Between yesterday and tomorrow… Pour Michel Legrand, 2018 aura été une année suractive dont le Week-end des Musiques à l’Image à la Philharmonie de Paris sera l’apogée : sortie de son livre de souvenirs J’ai le regret de vous dire oui, mise en musique du film testament d’Orson Welles The Other side of the wind, création de la version scénique de Peau d’âne au Théâtre Marigny, sortie d’une anthologie discographique de 20 CDs… En tout état de cause, si de magnifiques aventures l’attendent de pied ferme, Michel Legrand est déjà parvenu à relever un singulier pari, celui d’être plusieurs dans une même existence.
Stéphane Lerouge
Porté par soixante-cinq ans d’un parcours exceptionnel, Michel Legrand est l'un des compositeurs français les plus célèbres à l'échelle planétaire. De l'extérieur, il possède l'aura d'un monstre sacré, voire d’un héros romanesque. De l'intérieur, c'est un personnage affamé d'humour. C'est aussi l'homme de toutes les situations musicales (compositeur, arrangeur, pianiste, chef d'orchestre, chanteur), en équilibre entre musique de concert, de scène, de ballet, cinéma, jazz, variété, ce qui contribue peut-être à brouiller son image. Il est parfois difficile d’appartenir à une seule famille quand on voudrait toutes les revendiquer… Mais c’est sûrement ce qui fait la richesse de Michel Legrand, son originalité sur l’échiquier de la musique d’aujourd’hui. Branchez-le sur Bill Evans, il vous parlera de Darry Cowl. Evoquez Oum le dauphin, il vous répondra sur Jean-Luc Godard ou Stravinski. Aucun sujet ne lui résiste : il sera autant intarissable sur Antoine Blondin, Ivry Gitlis, Louis Aragon, Clint Eastwood, Natalie Dessay. Tel est Michel Legrand : octogénaire aux sourires et caprices d’enfant, pulvérisateur de frontières, créateur fantasque en dehors de tout système ou establishment, auteur d’une œuvre captivante dont les contours restent encore à cerner.
Au gré de cette rencontre, à l’aide d’extraits de films et d’un piano, Michel Legrand racontera comment, à travers l’univers d’un autre créateur, le cinéaste, il est parvenu à écrire une oeuvre à la première personne, des bandes très originales qui n’en finissent pas de hanter nos mémoires. « Face à une séquence à mettre en musique, il existe mille solutions possibles, souligne-t-il. Mais très peu sont justes. Pour y arriver, il faut à la fois écouter le cinéaste et lui désobéir, prendre note de la commande mais suivre impérativement son propre instinct. La recommandation peut sembler paradoxale mais je n'ai jamais procédé autrement. »
Spécialiste de la musique pour l'image, Stéphane LEROUGE est concepteur de la collection discographique Ecoutez le cinéma ! chez Universal Music France (140 références depuis 2000, dont récemment Lalo Schifrin, Quincy Jones, Howard Shore), animateur de rencontres et conférences (Festival de Cannes, Cinémathèque Française, Philharmonie de Paris, Festival Lumière). En 2016, il collabore avec Bertrand Tavernier sur la partie musicale du documentaire somme Voyage à travers le cinéma français. Depuis 1999, il réalise chez Universal Music l'intégralité des rééditions discographiques de Michel Legrand et co-écrit avec lui son livre de souvenirs, J'ai le regret de vous dire oui (Fayard), publié fin août 2018.
Michel LEGRAND, la musique au pluriel
«Depuis mon enfance, mon ambition est de vivre complètement dans la musique. Mon rêve est que rien ne m’échappe. C’est la raison pour laquelle je ne me suis jamais arrêté à une seule discipline musicale. J’aime jouer, diriger, chanter, écrire, et ce dans tous les styles. Cette diversité me préserve de l’uniformité.» C’est en ces termes que Michel Legrand définit son statut de musicien inclassable, atypique et boulimique. Ou plutôt ses statuts : compositeur, chef d’orchestre, pianiste, chanteur, auteur, metteur en scène, il est l’homme de toutes les situations musicales, abolissant avec vigueur les cloisons entre jazz, classique et variété. Un compositeur savant d'expression populaire. Né en 1932, Michel Legrand est issu d’une famille dans laquelle la musique est une tradition, représentée par son père, Raymond Legrand, et son oncle, Jacques Hélian. Après neuf ans d'études au Conservatoire de Paris, sous la férule de Nadia Boulanger, Henri Challan ou Noël Gallon, Legrand se fait happer par la chanson : il devient l’accompagnateur de Jacqueline François, Henri Salvador, Catherine Sauvage, avant d’être choisi par Maurice Chevalier comme directeur musical. Il suit ce dernier dans ses tournées à l’étranger, ce qui lui permet de découvrir les Etats-Unis. C’est aussi là-bas que son premier trente-trois tours instrumental I love Paris obtient un accueil triomphal, caracolant en tête des ventes de l’année 1954. Ce premier succès discographique a valeur de symbole : il dévoile la dimension internationale d’un talent âgé de vingt-deux ans qui, dès lors, s’épanouira autant en France qu’à travers le monde. Dans les années cinquante, Michel Legrand commence également à composer pour certains artistes qu’il accompagne. Sa première grande chanson, La Valse des lilas, révèle une écriture mélodique très personnelle qui deviendra bientôt une véritable «marque de fabrique». La jeunesse de Michel Legrand s’abreuve également à une source musicale déterminante, celle du jazz, dont la grande découverte, après-guerre, correspond pile à l’avènement du be bop. Tout au long de son itinéraire, Legrand épousera le monde du jazz dans sa pluralité, en expérimentant toutes les combinaisons, du trio au big band, du piano solo au quartet, et en se frottant à des figures clés comme Miles Davis, Bill Evans, Stan Getz, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Toots Thielemans, Stéphane Grappelli, Gerry Mulligan, Shelly Manne, sans oublier «l’axe cubain» avec Chucho Valdés et Arturo Sandoval.
Autre forme d’expression, la musique de film, que Michel Legrand aborde avec Les Amants du Tage d’Henri Verneuil, en 1955. Quatre ans plus tard, à l’avènement de la Nouvelle Vague, il devient l’un des artisans du renouveau du cinéma français, en collaborant avec Jean-Luc Godard, Agnès Varda, François Reichenbach et, bien sûr, Jacques Demy, son frère de création, avec lequel il invente une nouvelle forme au film musical. Palme d’Or du Festival de Cannes 1964, Prix Louis Delluc, Les Parapluies de Cherbourg triomphe dans le monde entier... contrairement aux prédictions pessimistes de nombreux professionnels. « Jacques et moi avons beaucoup ramé pour trouver un financement, se souvient Legrand. Après un an d’incertitudes, la situation s’est débloquée par l’intermédiaire de Pierre Lazareff (qui nous a présenté Mag Bodard, une jeune productrice) et de mon ami Francis Lemarque, avec qui j’ai produit l’enregistrement de la musique. Autrement dit, Les Parapluies de Cherbourg est une œuvre qui s’est faite contre tout le monde.» D’abord repris par Nana Mouskouri, le grand thème de la séparation (Je ne pourrai jamais vivre sans toi) va s’imposer comme un standard, grâce notamment à l’adaptation anglo-saxonne de Norman Gimbel (I will wait for you) et aux interprétations de Frank Sinatra, Tony Bennett, Louis Armstrong, Liza Minnelli... Legrand continuera à mettre en musique les rêves de Jacques Demy (Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’âne, Trois places pour le 26), même s’il part en 1968 s’installer à Los Angeles pour, de son propre aveu, «changer d’oxygène». Après le succès de L’Affaire Thomas Crown, d’où est issue la chanson The Windmills of your mind, il choisit de travailler entre Paris et Hollywood, au gré de ses coups de cœur : Un été 42, Lady sings the blues, Jamais plus jamais, Yentl, Prêt-à-porter... Considérant la musique de film comme un second dialogue, Michel Legrand est le seul compositeur européen dont la filmographie aligne les noms d’Orson Welles, Marcel Carné, Norman Jewison, Sydney Pollack, Robert Altman, Jean-Paul Rappeneau, Joseph Losey, Louis Malle, Andrzej Wajda, Richard Lester, Claude Lelouch, Xavier Beauvois… On aura rarement vu un musicien investir autant de familles différentes du cinéma, s’imposer comme un trait d’union entre Godard et James Bond, Chris Marker et Clint Eastwood. «Ma conception de la musique au cinéma est simple, précise-t-il. C'est une manière de parler à l’inconscient du spectateur, de faire remonter à la surface de l’image des sentiments enfouis, cachés. Gros avantage, en écrivant pour le cinéma, je peux faire la synthèse entre mes différentes cultures musicales, m’exprimer dans tous les styles possibles, avoir toutes les nationalités, être de toutes les époques.»
A partir de 1964, Michel Legrand ajoute une nouvelle corde à son arc, en prenant la décision d’interpréter lui-même ses chansons. Sa voix devient un instrument supplémentaire dont il se sert en dehors des normes habituelles. Michel Legrand va travailler sa voix et, surtout, se construire un répertoire avec deux auteurs d’élection : Eddy Marnay et Jean Dréjac. Il aura l’occasion de marier sa musique aux mots de Claude Nougaro, Jean-Loup Dabadie, Boris Bergman, Françoise Sagan, Jean Guidoni mais également, en 1981, d’écrire lui-même les textes de son album Attendre... dont il est par ailleurs l’interprète et le compositeur. Côté américain, la fidélité de Michel Legrand à Alan et Marilyn Bergman a donné lieu à plusieurs dizaines de grandes chansons, le plus souvent nées du cinéma (The Summer knows, What are you doing the rest of your life ?, How do you keep the music playing?). Dans le domaine du classique, Michel Legrand se frotte à une constellation de hautes figures, au gré d’émissions de télévision et projets discographiques : Ivry Gitlis, Kiri Te Kanawa, Jean-Pierre Rampal, Alexandre Lagoya, Jessye Norman, Maurice André, Catherine Michel, sans parler d’enregistrements de référence consacrés à Satie, Fauré et Duruflé. En 2016, il écrit deux concertos, l’un pour piano, l’autre pour violoncelle (sur mesure pour Henri Demarquette), enregistrés par l’Orchestre Philharmonique de Radio-France dirigé par Mikko Franck.
Entre jazz, baroque et musique d’aujourd’hui, le champ d’action de Michel Legrand est bien plus vaste qu’on ne l’imagine a priori. Impossible néanmoins , en quelques lignes, de tout révéler sur le compositeur. De faire l’historique de ses rencontres avec de grands ambassadeurs de la variété (Yves Montand, Barbra Streisand, Charles Aznavour, Ray Charles), d’expliquer comment il est devenu metteur en scène de cinéma (Le Masque de lune, Cinq jours en juin), de raconter son coup de foudre professionnel avec la soprano Natalie Dessay, avec laquelle il enregistre en 2017 l’oratorio Between yesterday and tomorrow… Pour Michel Legrand, 2018 aura été une année suractive dont le Week-end des Musiques à l’Image à la Philharmonie de Paris sera l’apogée : sortie de son livre de souvenirs J’ai le regret de vous dire oui, mise en musique du film testament d’Orson Welles The Other side of the wind, création de la version scénique de Peau d’âne au Théâtre Marigny, sortie d’une anthologie discographique de 20 CDs… En tout état de cause, si de magnifiques aventures l’attendent de pied ferme, Michel Legrand est déjà parvenu à relever un singulier pari, celui d’être plusieurs dans une même existence.
Stéphane Lerouge
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