Au sein de son quintet vocal, le temps d’une expérience musicale sensorielle, l’artiste new-yorkaise honore la magie des échanges invisibles aux sources de la vie.
En cette année où Meredith Monk fête ses 80 printemps, son œuvre n’a jamais paru autant en phase avec notre temps. Réalisatrice, chorégraphe, créatrice d’opéras, d'œuvres de théâtre musical, de films et d'installations, c’est en tant que compositrice et chanteuse qu’elle se produit avec l’une de ses dernières créations, Cellular Songs, une pièce musicale une nouvelle fois née de sa virtuosité transdisciplinaire.
Depuis ses débuts dans les années 60, Meredith Monk évolue à l’intersection de la musique, du théâtre et de la danse. Ou plutôt à la réunion des trois si la formule devait se prendre en son sens mathématique. Tout au long de ses 60 ans de carrière, cette pionnière des performances interdisciplinaires s’est peu à peu muée en figure incontournable du paysage artistique américain. À tel point qu’elle a récemment reçu trois des plus hautes distinctions décernées à un artiste vivant aux États-Unis : intronisation à l'Académie américaine des arts et des lettres en 2019, prix Dorothy et Lillian Gish en 2017 et Médaille nationale des Arts en 2015 des mains du président Obama. Son travail a été présenté dans des salles prestigieuses à travers le monde et la France l’a honorée du titre d’officier de l'ordre des Arts et des Lettres.
Avant de les faire converger, Meredith Monk suit différents axes liés à sa formation et à ses passions personnelles. À New York, elle réalise immédiatement ses projets personnels et participe à des happenings avec des membres du mouvement Fluxus. À San Francisco, elle participe à un atelier d'Anna Halprin, l'une des fondatrices du Judson Dance Theatre. Son travail chorégraphique est dès lors intimement lié à ses créations de performances théâtrales et musicales, qu’elle agrémente de mouvements dansés. En 1968, elle monte son propre collectif, The House, dédié à une approche interdisciplinaire des performances où son travail est plus imprégné du théâtre que de la danse.
En parallèle, Meredith Monk chanteuse développe un style unique, expérimentant diverses techniques propres à la voix : chuchotements, cris, grognements, sanglots, chant diphonique… Mais elle se défend d’appartenir au courant minimaliste auquel certains l’associent : si elle recourt à la répétition, ce n'est pas comme structure mais en tant que libre accompagnement, faisant d’elle la pionnière de la « technique vocale étendue ». Toutes les possibilités qu'elle explore par la voix, Monk les pousse encore plus loin dans Cellular Songs. La compositrice y combine l'utilisation de sons vocaux à des mouvements corporels pour parvenir à une forme d’expression artistique non verbale. Seule exception, le morceau « Happy Woman » témoigne d’une approche différente qu’elle définit comme « prudente » dans l’usage des mots, en associant certains pour leur sonorité et non dans un but narratif.
Pour cette œuvre, cinq danseurs chantent soit en chœur, soit selon une ligne indépendante, tout en exécutant des mouvements synchronisés ou autonomes. Après On Behalf of Nature, qui questionnait l'état précaire de notre écologie, Cellular Songs s’intéresse au tissu de la vie. Le titre lui-même révèle l’inspiration qu’elle a puisée dans l'interdépendance des cellules humaines, qui explique leur vivacité. Ludique et contemplative, l’œuvre s'inspire d'activités cellulaires telles que la superposition, la réplication, la division et la mutation, et se penche sur les systèmes propres à la nature qui reproduisent ce type d’interactions, qu’ils soient terrestres ou animaliers.
Projection d’un modèle de société rêvé, Meredith Monk a formé un ensemble vocal entièrement féminin, une façon pour elle de s’engager contre la puissance du patriarcat et un monde toujours en proie à la compétition et à la brutalité des rapports. Le quintet se compose de Monk, Ellen Fisher, Katie Geissinger, Joanna Lynn-Jacobs et Allison Sniffin, cette dernière jouant aussi du violon ou du clavier. Ces cinq voix restent distinctes tout en se complétant à l’envi au long du spectacle. Libre à chacun de les écouter comme un ensemble et, par moment, de les isoler à tour de rôle. Les cinq femmes chantent, bougent, dansent, s'allongent au sol, jouent parfois du piano ensemble et témoignent régulièrement d’une grande empathie les unes envers les autres, tandis qu’elles propagent comme des messages d’amour et d’harmonie au public.
Le spectacle se divise en plusieurs scènes qui évoquent autant d’émotions à travers des dispositifs scéniques et des rythmes propres : dramaturgie de la violence, éloge de la paix et quête de l’harmonie intérieure, avant une interaction finale entre toutes les interprètes. Les pièces vocales les plus aventureuses de la compositrice croisent ici le mouvement, la lumière, la musique instrumentale et l’image.
Adepte du bouddhisme tibétain, Meredith Monk convie ses expériences spirituelles dans sa pratique artistique, reprenant des thèmes – miséricorde, expériences directes ou éveillées, ouverture à l’inconnu – qui engagent de multiples pistes de réflexion pour le spectateur. Évoquant des cycles de naissance et de mort tout au long de la pièce, Monk nous rappelle une fois de plus sa vitalité en tant qu'artiste de l'expérience, poursuivant son travail de transmission de ses propres réflexions grâce à sa puissance évocatrice.