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Daniel Barenboim et Beethoven : un long compagnonnage

Publié le 30 octobre 2018 — par Bertrand Boissard

— Daniel Barenboim : intégrale Beethoven

Sur deux saisons, Daniel Barenboim propose une intégrale des trente-deux sonates pour piano de Beethoven. 

Beethoven est sans doute le compositeur avec lequel on identifie le plus aisément Daniel Barenboim. En tant que pianiste et chef d’orchestre, il a abordé la plus grande partie de son œuvre symphonique, opératique, chambriste et pianistique. Son premier souvenir de sa musique, vers l’âge de six ans, fut d'entendre Arthur Rubinstein jouer l’« Appassionata » . Deux ans plus tard, il interprétait la première sonate de Beethoven en public, celle en sol majeur, op. 14 n ° 2. Il ne cessera plus dès lors de revenir à ce massif d’une exceptionnelle richesse, qu’il a enregistré par deux fois et joué dès 1960 en concert en tant que cycle complet – sa mémoire exceptionnelle lui permet un tel exploit. Il n’avait pas dix-huit ans !

Barenboim aime à insister sur le courage de l’homme Beethoven et le caractère foncièrement libre, non conventionnel, de sa musique. Selon lui, l’interprète doit faire preuve du même courage et ne pas hésiter à en frôler les gouffres. Ses classes de maître donnent un bon aperçu de sa vision des œuvres. Il montre ainsi comment le piano peut suggérer « de nouveaux instruments dans l’orchestre ». De toute évidence, le chef d’orchestre Barenboim a élargi le regard de Barenboim pianiste. Instrument neutre par essence, « le piano est comme un mur blanc qui attend que la couleur soit ajoutée. »

Le musicien insiste particulièrement sur l’extrême variété de ce corpus unique. Ce sont effectivement des mondes qui séparent l’humour piquant de « La Caille » (la dix-huitième) de la douleur lancinante de la trente-et-unième, les contours atmosphériques de la « Clair de lune » des assauts sauvages de la « Hammerklavier » … Pas une sonate qui se répète, qui n’ait pas une identité bien affirmée. Mais le musicien voit néanmoins beaucoup de cohérence dans l’ensemble : nombre d’idées reviennent à des années d’intervalle, traitées différemment, revêtues d’un autre caractère – il a pu prendre exemple sur le thème introductif de l’Op. 14 n°1 que l’on retrouve dans la fugue de l’Op. 110, se métamorphosant par la même occasion d’interrogation en affirmation. À une époque où nombre d’interprètes ne jurent que par les intimidantes dernières sonates, Daniel Barenboim s’empare avec enthousiasme des premières, ne cachant pas son admiration pour le premier mouvement de l’Op. 7, digne selon lui de celui de la Symphonie « Eroica » . Il s’enflamme aussi pour certains joyaux cachés, tel l’Op. 54, coincé entre les deux monstres que sont la « Waldstein » et l’« Appassionata ».

Entendre Daniel Barenboim jouer Beethoven s’apparente, au-delà du piano, à une leçon de vie, celle d’un humaniste enrichi des multiples rencontres qui ont façonné sa conception de la musique.

 

Bertrand Boissard

Bertrand Boissard écrit depuis 2010 pour le magazine Diapason. Il est un intervenant régulier de la Tribune des critiques de disques (France Musique).