Héraut de la modernité musicale anglaise, Harrison Birtwistle nous lègue des pièces novatrices dans lesquelles les passions mythologiques renouent avec une forme de violence originelle.
Ce 18 avril 2022, dans sa résidence de Mere dans le Wiltshire, le compositeur britannique Harrison Birtwistle nous a quittés. Fin de comédie si l’on se souvient de son opéra Punch and Judy, créé en 1968 au Festival d’Aldeburgh, inspiré par le vieux théâtre de marionnettes anglais. Un opéra saisissant de beauté et de violence, rejouant la victoire du héros sur la mort. Un opéra à la musique crue où le tiré se voulait de destruction, le pizzicato de torture, le glissando de sang et le ponticello de douleur ; après les mélodies de terreur, la danse macabre se relançait au ralenti, hors du temps– fin de comédie.
La musique de Harrison Birtwistle a dérangé. Le public parfois, et pas n’importe lequel si l’on en croit Benjamin Britten, sorti du théâtre pour ne pas avoir supporté la cruauté de Punch. La critique souvent, qui se moquait de son goût pour la dissonance. Mais le compositeur n’en avait que faire et expliquait dire les choses de la façon la plus évidente possible– le reste n’avait pas d’importance, pas même le désordre engendré par la première de Panic en 1995 durant une populaire Last Night of the Proms. Il y avait certes de l’ironie dans sa musique, mais on en retiendra surtout l’appropriation des mythes, des récits intemporels et universels, d’Orphée et de Thésée, de la Table ronde, de Gauvin et du Chevalier vert. Le théâtre était partout, rituel sur scène ou en concert. Expérience effrayante que la démultiplication du temps dans Theseus Game (2002), lorsque les musiciens étaient individuellement exposés à plusieurs chefs.
Avec les compositeurs Peter Maxwell Davies et Alexander Goehr, le pianiste John Ogdon et le chef d’orchestre Elgar Howarth, Harrison Birtwistle a autrefois fondé un groupe expérimental à Manchester. Défendu par Pierre Boulez et par Karlheinz Stockhausen, revendiquant son admiration pour Stravinski, Varèse ou Messiaen, il a incarné plus que tout autre la modernité musicale anglaise sans prôner la rupture ou la table rase. Attiré par les musiques du Moyen Âge ou de la Renaissance, il digérait les choses jusqu’à proposer en 1988 Machaut à [sa] manière. Peut-être était-ce alors ce questionnement du temps qui caractérisait le mieux sa réflexion, depuis que The Triumph of Time lui avait offert la consécration internationale. Inspirée par une gravure de Brueghel l’Ancien sur laquelle le Temps et la Mort invitaient les vivants à les suivre, c’était une troublante procession durant laquelle rien ne paraissait changer, mais dont les éléments juxtaposés étaient pourtant unis par le lent et irrépressible écoulement.
À la tête de l’Ensemble intercontemporain ou de l’Ensemble Modern, Pierre Boulez a consacré plusieurs disques à la musique de Harrison Birtwistle. En 1979, il a aussi assuré la création de …agm… au Théâtre de la Ville de Paris. …agm… comme agma, fragment en grec, ou contraction d’Agamemnon d’Eschyle. L’œuvre raconte surtout comment les Égyptiens, après avoir découvert les papyrus de la poétesse Sappho, ont déchiqueté ceux-ci en bandelettes afin d’en recouvrir leurs momies. Des bribes de poèmes, des résidus de mots et de lettres qui ont échappé à la destruction en traversant les siècles dans des gueules de crocodiles momifiés. Toute la musique de Harrison Birtwistle était là, dans et en dehors du temps, ou dans la fusion de tout début et de toute fin afin d’appréhender l’idée de mort et d’éternité. Désormais, la comédie est finie mais la musique continue de couler.