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Keren Ann, Take a sad song

Publié le 10 juillet 2020 — par Christophe Conte

© Bouchra Jarrar

L’auteure-compositrice-interprète déconstruit, commente et chante quelques pages favorites choisies dans le répertoire des Beatles pour mieux en révéler les secrets.

— Keren Ann - © Amit Israeli

En choisissant de baptiser son programme Take a Sad Song – d’après un vers de « Hey Jude » –, Keren Ann indique déjà qu’elle entend bien s’approprier le répertoire des Beatles, attaquant cet Everest par sa face la plus ombragée et mélancolique. La chanteuse française aux penchants anglophiles, auteure et compositrice, musicienne et productrice méticuleuse, entretient comme chacun un lien intime avec cette musique universelle. Même si on l’imagine plus en son jardin avec le folk américain ou la chanson française feutrée, le quatuor de Liverpool a toujours été présent et vital dans sa relation à la pop : « Le rapport que l’on a à Dylan, Leonard Cohen ou Springsteen est quelque chose que l’on se construit. Avec les Beatles, c’est déjà là, comme s’ils faisaient partie des meubles. Et pourtant c’est essentiel, on ne peut pas vivre sans. »

 

Elle avance ainsi en terrain quasi vierge, avec pour boussole cette envie de mettre en valeur la beauté de l’écriture, non seulement musicale mais aussi celle des textes, qu’elle associe à William Blake dans la tradition littéraire anglaise.

 

Elle qui célèbre cette année le vingtième anniversaire de son premier album, La Biographie de Luka Philipsen, a démarré aux côtés de Benjamin Biolay, lequel n’a jamais caché son rapport obsessionnel à John Lennon et à la discographie des Fab Four. Nombre des harmonies et des arrangements de cordes ou de cuivres, à leurs débuts communs, étaient directement inspirés par cet inépuisable atelier sensoriel inventé en secret à Abbey Road. « Le Double Blanc a toujours fait partie de ma vie, j’ai aussi eu ma période Revolver, dit-elle. Avec ma fille, nous écoutons beaucoup les Beatles et j’ai pu revenir à la B.O. de “Yellow Submarine” , et même à Sgt. Pepper's pour le côté plus enfantin et cabaret. » Mais plutôt que de choisir un album en particulier, Keren Ann a donc préféré partir des chansons, en privilégiant celles qui résonnent poétiquement et musicalement avec son univers, donc plutôt des ballades que des titres enjoués, celles aux accents graves au détriment des plus légères. « Je ne m’interdis pas toutefois de jouer "Honey Pie", précise-t-elle. C’est avec cette chanson que je reprends pour la première fois les Beatles.  »

— Across The Universe (Remastered 2009)

Elle avance ainsi en terrain quasi vierge, avec pour boussole cette envie de mettre en valeur la beauté de l’écriture, non seulement musicale mais aussi celle des textes, qu’elle associe à William Blake dans la tradition littéraire anglaise. « Il y a une forme de réconfort chez eux, souvent inspiré par la mélancolie, que j’associe directement à Blake. J’ai toujours trouvé que l’on n’attachait pas assez d’importance aux paroles des Beatles, on m’a toujours dit que chanter en anglais était plus facile, que les textes importaient peu, en citant les Beatles comme exemple. Alors que c’est faux ! Ils ont subi une forte influence du folk irlandais qu’ils ont réussi à moderniser et à rendre universel, avec des histoires extraordinaires comme "Eleanor Rigby”, qui est un véritable roman ramené à une chanson. »

— The Beatles - Eleanor Rigby ("Yellow Submarine")

Parce que débarquer avec un groupe pour jouer « à la manière des Beatles » n’aurait aucun sens pour elle, Keren Ann a choisi de se présenter avec une formation minimaliste afin d’aller le plus au cœur possible du songwriting, en changeant d’instrument mais en conservant pour fil rouge son désir de dénuder les fils de ces compositions faussement simples, afin d’en tisser son propre canevas sensible. Le titre de l’événement pourrait donner l’impression que seules les teintes bleu nuit et les reflets sombres des Beatles seront mis à l’honneur. Mais c’est au contraire cette luminosité intérieure, grâce à cet art du clair-obscur dont Keren Ann s’est fait l’experte, qui devrait éclairer d’un jour nouveau et inattendu des chansons que l’on pensait connaître par cœur.

Christophe Conte

Journaliste, auteur et documentariste, Christophe Conte a publié plusieurs ouvrages sur la chanson française et le rock (Étienne Daho, Nino Ferrer...) ainsi qu’une « anti-discothèque idéale ». Il a réalisé des documentaires sur David Bowie, François de Roubaix, le glam rock et The Kinks.