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L’artiste-musicien vu par le droit

Publié le 03 juin 2020 — par Johanna Bacouelle

© Bridgeman Images

Dans le Dictionnaire des idées reçues, Gustave Flaubert écrivait au sujet des artistes : « ce qu’ils font ne peut s’appeler travailler ». Encore aujourd’hui, ce préjugé tend à perdurer. Pourtant, si pour l’artiste la musique est une passion, c’est aussi un métier. Petit rappel de son encadrement juridique.

L’artiste-musicien en droit du travail

En tant que travailleur, l’artiste-musicien a dû lutter pour défendre sa place. À la fin du XIXe siècle, les artistes militaient pour bénéficier d’un salaire fixe lors des représentations et pour ne plus avoir l’obligation de faire la quête dans les cafés-concerts. Les artistes femmes demandaient aussi à ne plus être contraintes de s’attabler avec les clients. Progressivement, grâce à l’action des organisations syndicales et des tribunaux, la condition des artistes s’est améliorée. Depuis 1969, ils bénéficient de la protection du droit du travail grâce à une présomption légale de salariat. Ils sont aussi intégrés au régime spécifique d’assurance chômage des intermittents du spectacle. Du point de vue du droit du travail, le chanteur (lyrique, de variétés), l’instrumentiste, le chef d’orchestre et l’arrangeur-orchestrateur, tant dans le domaine du spectacle vivant que dans celui de la production phonographique ou audiovisuelle, sont considérés comme des artistes du spectacle. À ce titre, ils sont assimilés à des salariés et toute personne qui les engage, contre rémunération, doit établir un contrat de travail. Ce n’est que lorsqu’ils se comportent comme de véritables entrepreneurs, ce qui tend à devenir de plus en plus fréquent compte tenu de l’essor de l’autoproduction, que le droit du travail ne s’applique pas.

Le musicien dispose de droits voisins du droit d’auteur et ce quel que soit son statut ou son rôle au sein d’une formation. Ces droits lui permettent de contrôler les utilisations de sa prestation tant sur le plan patrimonial que moral.

Le musicien au sens des droits voisins du droit d’auteur

Le rôle du musicien est essentiel. En tant qu’artiste-interprète, il contribue à faire vivre des œuvres auprès du public et le succès de ces dernières dépend beaucoup de lui. Pourtant, la reconnaissance de droits lui permettant de contrôler les utilisations de son travail a été tardive. Dans cette voie, l’affaire rendue en 1964, dans laquelle les héritiers du célèbre chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler s’étaient opposés à la commercialisation de disques reproduisant son interprétation sans leur accord, a constitué une étape importante. Ce n’est toutefois qu’en 1985, avec la « loi Lang », que les musiciens ont pu bénéficier officiellement d’une protection juridique à la fois distincte et proche de celle reconnue aux auteurs. Désormais, le musicien dispose de droits voisins du droit d’auteur et ce quel que soit son statut ou son rôle au sein d’une formation. Ces droits lui permettent de contrôler les utilisations de sa prestation tant sur le plan patrimonial que moral. À ce titre, il peut autoriser l’exploitation de sa prestation en contrepartie d’une rémunération ou au contraire l’interdire. Sur le terrain moral, c’est par exemple au nom du droit au respect de l’interprétation que Mstislav Rostropovitch s’était opposé à l’utilisation, dans un film, de son enregistrement de l’opéra Boris Godounov de Moussorgski. Le chef d’orchestre estimait que l’ajout de certains bruits sur son interprétation dénaturait son travail. En guise de réparation, il n’avait toutefois obtenu, dans un jugement rendu en 1990, que l’insertion, après le générique du film, d’un avertissement mentionnant son désaccord et non la suppression des bruitages.

En tant qu’auteur, le musicien dispose de droits patrimoniaux et moraux plus étendus que ceux dont il bénéficie en tant qu’interprète.

Le musicien au sens du droit d’auteur

Beaucoup d’artistes, en plus d’être interprètes, sont également auteurs et/ou compositeurs. Pour bénéficier du droit d’auteur, les artistes doivent créer une œuvre originale qui est le reflet de leur personnalité. Cette originalité peut se révéler dans la mélodie, l’harmonie ou le rythme. À cet égard, il importe peu que le musicien ait recours à des outils informatiques dès lors que l’œuvre résulte de choix créatifs. L’œuvre musicale est souvent le fruit d’une collaboration entre un parolier et un compositeur. Dans ce cas, tous deux auront des droits sur l’œuvre. Lorsque l’artiste se sert d’une œuvre préexistante pour en créer une nouvelle, on parle d’œuvre dérivée. C’est le cas d’une variation, d’un arrangement ou d’une orchestration, comme cela a été admis à propos de celle créée par Ravel des Tableaux d’une exposition de Moussorgski. En matière d’improvisation, au cœur du jazz, il a été reconnu dans une affaire relative à l’œuvre de Manitas de Plata, que l’artiste pouvait être simultanément interprète et auteur. L’improvisation est ainsi considérée comme une œuvre protégée par le droit d’auteur. En tant qu’auteur, le musicien dispose de droits patrimoniaux et moraux plus étendus que ceux dont il bénéficie en tant qu’interprète. En pratique, les auteurs ne sont toutefois pas toujours en mesure de défendre seuls leurs droits. C’est la raison pour laquelle ils adhèrent à des organismes de gestion collective comme la SACEM.

Johanna Bacouelle

Artiste et diplômée en droit, Johanna Bacouelle consacre l’essentiel de ses travaux au droit de la musique. Elle est l’auteure de l'ouvrage Les Droits du musicien (La Lettre du Musicien Éditions, 2019).