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Le Dies irae, de Jean-Baptiste Lully à Shining

Publié le 09 octobre 2017 — par Angèle Leroy

© DR

Né au Moyen âge, le Dies irae n’en finit pas de faire trembler. Il se glisse partout, simplement sinistre ou franchement terrifiant. Mais quel est donc ce sombre objet musical ?

Dies irae : c’est, au choix, le nom d’un jeu vidéo (où l’on peut combattre McDonald’s ou Trump histoire de donner un coup de main à Dieu et Jésus), d’un sketch de Desproges, d’un court-métrage d’Alexandre Astier, d’un album de Noir Désir. À l’origine, c’est surtout un texte parmi les plus connus de la littérature médiévale, que l’on attribue à Thomas de Celano, au XIIIe siècle, qui en aurait aussi élaboré la mélodie, dans le style du plain-chant.

« Tremblez, pauvres pécheurs ! Le monde sera réduit en cendres et Dieu apparaîtra pour tout juger avec rigueur. » C’est en substance ce que dit la séquence du Dies irae (« jour de colère »). Charmant programme ! En 1969, à la suite de Vatican II, elle a disparu de la messe. Trop sombre, trop effrayante à l’heure où l’église veut mettre l’accent sur le salut de Dieu, l’espérance eschatologique et autres perspectives réjouissantes. En attendant, elle constitue un motif de choix pour compositeurs et musiciens, depuis des siècles. Sa descendance est double, selon que les compositeurs choisissent d’en utiliser le texte ou la musique – plus rarement, ils reprennent les deux, comme Lully en 1683 ou Delalande quelques années après.

Jean-Baptiste Lully, Dies Irae (à 0’58)

Évidemment, on trouve facilement les paroles du Dies irae dans les messes de requiem, dont il représente une station privilégiée (mais pas obligatoire) : Mozart bien sûr, Verdi également, Dvořák… Il y donne souvent lieu à des morceaux saisissants, car il y a de quoi faire avec les images apocalyptiques véhiculées par le poème.

Ceux qui en reprennent non pas le texte mais la musique jouent un (tout petit) peu plus la carte de la discrétion, s’amusant du clin d’œil plus ou moins appuyé de la citation. Les compositeurs du XIXe siècle en seront particulièrement friands. Il s’agit d’évoquer la mort terrifiante, les sorcières et les démons, la souffrance et la douleur ? C’est simple, la mélodie du Dies irae n’est jamais loin.

Chez Berlioz (Songe d’une nuit du sabbat dans la Symphonie fantastique), elle est entonnée par des bassons et des ophicléides d’outre-tombe, sur fond de cloche lugubre, et variée ensuite par les autres instruments de l’orchestre.

Hector Berlioz, Symphonie fantastique : V. Songe d’une nuit du sabbat (à 3’34)

Fort logiquement, elle représente un thème musical de choix pour les danses macabres, où la mort jouant du violon entraîne tout un chacun dans la tombe – celle de Liszt, par exemple, sous-titrée Paraphrase sur le Dies irae.

Chez Saint-Saëns, les allusions se font plus voilées. Certains auditeurs ou commentateurs défendent la thèse de la citation, d’autres de la ressemblance hasardeuse, sans que le débat ne soit tranché (Symphonie no 3, Danse macabre). En revanche, dans le Requiem, la question ne se pose pas ! Saint-Saëns y fait entendre les quatre premières notes de la mélodie aux voix, avant de la donner plus longuement aux flûtes, hautbois, cors anglais et harpes bientôt rejoints par les cors.

Camille Saint-Saëns, Messe de requiem (à 6’27 et 6’37)

En Russie, on a beau être orthodoxe (et non pas catholique), on ne va pas se refuser le plaisir d’une petite allusion ici ou là (Moussorgski, Tchaïkovski). Mais celui qui en fait un élément quasi constitutif de son esthétique, c’est Rachmaninov. C’est simple, on croise le Dies irae presque au détour de toutes ses pages, qu’il soit traité en citation ou que son profil mélodique soit utilisé pour élaborer les thèmes eux-mêmes.

Sergueï Rachmaninov, L’Île des morts (à 11’15, 14’30, 16’45, 20’45)

Et après ? Le succès de l’air ne se démentit pas. D’ailleurs, chez Ysaÿe, il apparaît (mêlé à la Partita en mi majeur de Bach) dans le premier mouvement de la Sonate op. 27 no 2, sous-titrée « Obsession ».

Eugène Ysaÿe, Sonate op. 27 no 2 (à 0’33) – concert enregistré à la Cité de la musique le 29 mai 2010

On le trouve, encore, chez les compositeurs de musique contemporaine, même s’il est utilisé avec moins de constance et de fascination que chez les romantiques.

Mais surtout, sujet à toutes sortes d’orchestrations et de variations stylistiques dont l’effet est plus ou moins réussi, le thème conquiert en parallèle les formes d’expression plus populaires que sont la musique de film et la chanson.

Du côté du cinéma, on l’entend dès les « classiques » que sont par exemple Metropolis de Fritz Lang ou L’Aurore de Murnau. Mais les années 1970-1980 lui donnent une touche moderne qui n’est pas sans charme, comme chez Ennio Morricone (pour le film Escalation de Roberto Faenza) ou chez Wendy Carlos (pour Orange mécanique ou Shining de Stanley Kubrick). On le croise aussi, par exemple, chez Danny Elfman (L’Étrange Noël de monsieur Jack) – du moins ses quatre premières notes.

 

Dans la chanson, il jouit d’une notoriété certaine, qu’il soit traité très premier degré ou non, et se fait le support musical de textes plus ou moins originaux. On peut écouter le jeune Brel (La Mort, en 1959) ou le Belge Julos Beaucarne, dans une version antimilitariste et antinucléaire (Le Fossoyeur itinérant, en 1980).

On peut apprécier les mots de Francis Blanche chez Les Frères Jacques…

… ou ceux d’Hubert-Félix Thiéfaine (dans une version musicale d’une belle inventivité), qui vont chercher du côté d’une certaine absurdité…