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L’Orchestre du Festival de Bayreuth, une formation unique

Publié le 29 juin 2021 — par Bertrand Boissard

— Palais du Festival de Bayreuth - © Picture Alliance/DPA/ Bridgeman Images

La phalange franconienne présente la double particularité de ne se former qu’une fois dans l’année – les mois d’été, à l’occasion du Festival de Bayreuth fondé par Richard Wagner en 1876. En tant qu’ensemble non fixe, elle est composée de musiciens issus d’orchestres différents. 

 Il ne s’agissait pas pour le compositeur allemand de créer un simple festival. L’idée était d’édifier un véritable « temple » dédié à l’exécution de ses œuvres, et donc de construire une salle spécifique, répondant à ses besoins artistiques. Ce sera le Festspielhaus à Bayreuth, petite bourgade de Bavière. La première pierre y est posée le 22 mai 1872, l’inauguration n’intervenant que quatre ans plus tard.

— Siegfried Wagner, fils de Richard Wagner, dirige l'Orchestre du Festival de Bayreuth (vers 1930) - © SZ Photo / Bridgeman Images

La fosse d’orchestre présente plusieurs spécificités qui confèrent à la sonorité de l’orchestre son caractère unique. Elle prolonge la pente de la salle par cinq gradins portant successivement le chef et les premiers et seconds violons (de manière inhabituelle les premiers se situant à droite du chef et les seconds à gauche), les altos et contrebasses, les violoncelles, flûtes, hautbois et harpes, les clarinettes, bassons, cors et trompettes et enfin les trombones, tubas et percussion. Par cette configuration originale des pupitres, Wagner a adapté l’espace à son idéal sonore.

Sur la fosse reposent deux couvercles de bois. Cela signifie que les musiciens et le chef ne sont pas visibles par le public. Wagner souhaitait ainsi que le spectateur ne soit pas perturbé par la vision des instrumentistes et qu’il porte toute son attention sur la musique, le drame, le caractère sacré de l’œuvre. Cette fosse, on l’appelle d’ailleurs « l’abyme mystique ». Cette technique hors du commun, qui permet un son indirect, et aussi aux chanteurs de n’être jamais couverts par l’orchestre, a suscité des réactions diverses. Eduard Hanslick, en 1885, émet des réserves : « L’orchestre de L’Or du Rhin, s’il ne manquait pas de précision, était totalement dépourvu de brillant. Même les passages les plus violents paraissaient assourdis et voilés. » En 1958, l’acousticien Fritz Winckel se montre plus enthousiaste : « La sonorité obtient ainsi un caractère contenu et, grâce à la durée de l’écho, une allure solennelle absolument favorable aux tempi lents des cuivres wagnériens. Voilà la sonorité typique de Bayreuth qu’on ne voudrait à aucun prix sacrifier. »

— Ludwig van Beethoven, Symphony n° 9 « Chorale » (Orchestre du Festival de Bayreuth, Wilhelm Furtwängler, 1951)

Lors de la première répétition d’orchestre, Wagner ne cache pas sa satisfaction : « C’est ce que je voulais. Maintenant, les cuivres sonnent moins crûment. » Cette idée, à l’origine de l’acoustique exceptionnelle du théâtre, Wagner la trouva à Paris, au Conservatoire, vers 1840. Contraint d’écouter un concert dans une pièce adjacente, il fut frappé par la particularité du son qui lui parvenait. Cette configuration n’est pourtant pas idéale pour les musiciens : sous le couvercle, règne une chaleur étouffante. La tâche se révèle aussi ardue pour le chef, notamment pour coordonner orchestre et chœur.

Le recrutement de l’orchestre se fait par cooptation. Parmi les musiciens célèbres qui en ont fait partie, citons Arthur Nikisch, qui deviendra le premier chef des Berliner Philharmoniker, ou encore Richard Mühlfeld, le clarinettiste qui inspira Brahms. En 2018, on comptait 179 membres de l’orchestre issus de 49 orchestres différents, dont 45 orchestres allemands – 14 du Gewandhaus de Leipzig et 16 de la Staatskapelle de Dresde, les deux plus grands pourvoyeurs de musiciens. Les artistes y vont pour la gloire, ce que Wagner disait déjà : « Les chanteurs et les musiciens ne recevront qu’une indemnité de ma part, pas de salaire. Celui qui ne viendra pas par enthousiasme et fierté, je le laisserai là où il est. » (lettre à Friedrich Feustel, 2 avril 1872).

Parmi les rares français qui ont appartenu à l’Orchestre du Festival de Bayreuth, citons Jean Bisciglia (violoniste de l’Orchestre de Lyon), dans les années 80 ; les altistes Jean Dupouy et le regretté Laurent Verney ; François Bastian, corniste à la Radio Bavaroise et le violoniste Pascal Théry (Orchestre de Düsseldorf). Quant à Jean-Louis Ollu, ancien violoniste de l’Orchestre de Paris, il a fait partie de l’Orchestre du Festival de Bayreuth durant plus de 20 ans. Dans un entretien au site Altamusica en 2007, il détaillait ce qui fait la singularité de l’orchestre : « Cette sonorité particulière de l'école allemande de cordes, de violon et d'alto notamment, très dense, très profonde, mais aussi la solidité des cuivres, qui jouent ensemble comme deux poumons expirant exactement en même temps. (…) C'est comme les timbaliers, qui démontrent à quel point la timbale peut tout guider dans Wagner, être le bras droit du chef, et même prendre sa place par moments. »

— Richard Wagner, Tristan et Isolde « Prélude » (Orchestre du Festival de Bayreuth, Daniel Barenboim, 1983)

À l’occasion d’une tournée exceptionnelle, l’Orchestre du Festival de Bayreuth, qui n'est plus venu à Paris depuis la fin de la guerre, se produira à la Philharmonie le 1er septembre. La formation légendaire interprétera des extraits de Lohengrin, Parsifal, La Walkyrie et Le Crépuscule des Dieux, sous la direction d’Andris Nelsons, avec le concours de la soprano Christine Goerke et du ténor Klaus Florian Vogt, tous réunis sous le signe de la passion pour l’œuvre de Wagner. Car pour chaque membre de cet orchestre, le sentiment d’appartenir à une communauté d’esprit se mêle à celui d’accomplir un sacerdoce.

— Richard Wagner, Lohengrin, Acte 1 (Orchestre du Festival de Bayreuth, Andris Nelsons, direction, avec Klaus Florian Vogt, 2012)

 

Bertrand Boissard

Bertrand Boissard écrit depuis 2010 pour le magazine Diapason. Il est un intervenant régulier de la Tribune des critiques de disques (France Musique).