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In memoriam Radu Lupu

Publié le 20 avril 2022 — par Bertrand Boissard

— Radu Lupu en 2016 - © Julien Mignot

Musicien visionnaire, artiste d’une rare intégrité, sorcier à la sonorité la plus magique qui soit, Radu Lupu est décédé le 17 avril à l’âge de 76 ans. Il avait profondément marqué de son empreinte l’art de l’interprétation pianistique de ces cinquante dernières années.

— Radu Lupu - Schubert - Impromptus (op. 90, D. 899)

Sa fragilité depuis quelques années ne doit pas faire oublier que celui qui avait remporté le Concours Van Cliburn en 1966–un de ceux où les «super virtuoses» ont toujours triomphé– s’inscrivait dans la lignée des titans du clavier. Brille ainsi de manière indélébile dans notre mémoire son exécution, il y trente ans Salle Pleyel, des Tableaux d’une exposition de Moussorgski, véritablement digne d’un Sviatoslav Richter, artiste à bien des égards de la même «famille»–et pas seulement parce qu’ils partagèrent le même professeur, le légendaire Heinrich Neuhaus. Cette gamme fabuleuse de nuances, la fureur parfois dont il faisait preuve jusqu’au début des années 90 auraient étonné ceux qui n’ont connu que le poète éthéré et comme retiré du monde.

La chaleur incomparable de son jeu, sa concentration minérale, son absence totale de complaisance, sa sensibilité à fleur de peau, sa capacité à brosser les paysages les plus énigmatiques comme à explorer les «entre-deux» les plus ambigus ont donné des résultats à caractère éminemment historique dans Schubert. Si Beethoven et Mozart constituaient le cœur de son répertoire concertant, en solo il était chez lui dans Brahms–à qui il ressemblait étrangement–et Schumann. Qui a entendu les Bunte Blätter de ce dernier ne les oubliera jamais. Ses programmes couvraient bien d’autres sphères stylistiques : Bartók (Suite op. 14) et Janáček (Dans les brumes) charriaient sous ses doigts des forces inconnues. Il fut un sublime interprète de Debussy, rendant ses Préludes à leur singularité originelle.

Si le trac pouvait le faire passer par des affres terribles avant de monter sur scène, il refusait de jouer avec partition, malgré des problèmes de mémoire de plus en plus gênants. Au fil du temps, toujours fermement calé sur sa chaise à dossier, ses prestations, autant avec l’Orchestre de Paris, avec lequel il entretint une collaboration fructueuse, que dans ses récitals à la Philharmonie de Paris (jusqu’à son ultime apparition le 11 juin 2018 dans un programme tout Schubert), se faisaient de plus en plus décantées et allusives, toujours plus proches du silence. Il n’était plus question de notes mais de cérémonies secrètes, où le dialogue se faisait tellement intime entre le pianiste roumain et le compositeur que l’on se sentait parfois de trop.

Radu Lupu ne faisait aucun cas de la médiatisation. Refusant quasiment toute interview, il cessa de faire des disques au milieu des années 90. Souhaitons que puissent paraître des enregistrements de concert qui rendent justice à l’étendue de son répertoire et à l’investissement sur scène d’un passeur unique, véritablement habité, un de ceux qui réussirent à toucher le mystère en musique.

— Radu Lupu à la Philharmonie de Paris (2016) - © Julien Mignot

Bertrand Boissard

Bertrand Boissard écrit depuis 2010 pour le magazine Diapason. Il est un intervenant régulier de la Tribune des critiques de disques (France Musique).