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Quatuor Arditti – Cinquante ans de défrichage et de déchiffrage

Publié le 08 juillet 2024 — par Jérémie Szpirglas

— Quatuor Arditti - © Manu Theobald

Fêter le jubilé du Quatuor Arditti invite à célébrer un demi-siècle de création musicale et à mesurer la vitalité du répertoire contemporain pour quatuor à cordes. 

Défricheurs hors normes, croisés de la contemporaine, donnant à tous les compositeurs la chance, une fois au moins, d’entendre leur musique dans des conditions quasi parfaites, par un quatuor d’exception, les Arditti sont un exemple de radicalité extrême. Leur aventure est unique, même si elle doit beaucoup aux circonstances historiques, culturelles et économiques dans lesquelles elle s’est déroulée. Ils ont fait sauter bien des barrières, et représentent une forme d’idéal de technicité, ainsi qu’une santé, mentale et physique, époustouflante.

— Quatuor Arditti – Sixième Quatuor de Brian Ferneyhough

Une vitalité, sans doute, à l’image de celle du fondateur du quatuor : né à Londres en 1953, Irvine Arditti fonde son quatuor voilà cinquante ans en compagnie de trois condisciples de la Royal Academy of Music. Les quatre complices sont passionnés de musique contemporaine – Irvine a été bercé par les œuvres de Stockhausen, Xenakis, Messiaen, Ligeti et consorts, et compose même à ses heures perdues. Ils prennent pour modèle le Quatuor LaSalle, alors à la pointe de l’avant-garde et dont le premier violon, Walter Levin, est considéré par bien des musiciens comme le «Maître Yoda» du quatuor. Commençant avec des reprises d’œuvres commandées par leurs aînés, les Arditti en viennent de fil en aiguille à approcher eux-mêmes les compositeurs, se constituant ces cinquante dernières années un répertoire à nul autre pareil : plus de 1 200 œuvres et près de 400 partitions créées. Les compositeurs avec lesquels ils ont collaboré sont bien trop nombreux pour en dresser ici la liste sans en oublier, et d’essentiels. Quant à ceux qu’ils n’ont pas (encore) joués, ce sont pour la plupart de jeunes talents auxquels le Quatuor donnera certainement leur chance un jour : l’oreille toujours à l’affût, les Arditti ont en permanence plusieurs commandes en gestation, s’engageant à chaque fois dans un travail étroit avec les compositeurs.

— Quatuor Arditti – Olga Neuwirth : « In the realms of the unreal »

Les multiples concerts que le Quatuor Arditti a donnés à la Cité de la musique puis à la Philharmonie de Paris témoignent de cet éclectisme insatiable et tous azimuts. En 2014, dans le cadre de la Biennale de quatuors à cordes, il assure cinq créations françaises, de l’Autrichien Georg Friedrich Haas, l’Américain Roger Reynolds, la Mexicaine Hilda Paredes et des Français Pascal Dusapin et Philippe Manoury – Manoury qu’il retrouve pour la création mondiale de Fragmenti en 2016. En 2018, c’est au tour des Français Hugues Dufourt et Philippe Hurel, et du Britannique James Dillon puis, en 2020, de la Française Clara Maïda, du Britannique Christian Mason et de la Franco-Américaine Betsy Jolas. En 2022, dans le cadre de la Biennale Boulez, les Arditti ouvrent le grand Livre pour quatuor du maître…

— Le Quatuor Arditti joue le Quatuor VII « Open Time » (extrait) de Pascal Dusapin

Au fil de ces cinq décennies de création, Irvine Arditti n’aura été véritablement surpris qu’une seule et unique fois, a‑t‑il confié au journaliste Tim Rutherford-Johnson au printemps 2024 : à l’occasion de la création de l’Helikopter-Streichquartett de Karlheinz Stockhausen, qui tient lieu de Scène 3 à son opéra Mittwoch aus Licht. Nous sommes en 1993. Stockhausen est au sommet de sa gloire. Dans cette Allemagne où la musique est reine, il n’hésite pas, pour renouveler le genre emblématique du quatuor, à faire monter les quatre instrumentistes dans quatre hélicoptères différents. Lesquels hélicoptères évoluent au-dessus de la salle de concert, tandis que sons et images y sont retransmis, spatialisés. Faute de moyen, cette curiosité monumentale (ou ce monument de curiosité, comme on voudra) n’est quasiment jamais reprise, mais on peut la découvrir au disque: c’est l’un des bijoux de la pléthorique discographie du Quatuor Arditti (350 albums au bas mot).

— Quatuor Arditti – Troisième Quatuor de Karlheinz Essl « upward, behind the onstreaming it mooned »

Infatigables, ne reculant devant aucune difficulté technique ni aucun défi esthétique, les Arditti représentent pour les compositeurs un formidable réservoir de techniques instrumentales ainsi qu’un laboratoire unique en son genre. Et ce en dépit des quelques rares changements de casting intervenus au fil de l’eau. Ainsi, le second violon est tenu depuis 2005 par l’Arménien Ashot Sarkissjan, brièvement passé par l’Ensemble intercontemporain; l’altiste est le Brésilien Ralf Ehlers, arrivé en 2003 ; et, depuis 2006, on trouve au violoncelle l’Allemand Lucas Fels, qui fut membre fondateur de l’Ensemble Recherche.

De passage le 17 octobre à la Philharmonie Paris au cours de leur tournée de jubilé, le Quatuor Arditti en profitera bien sûr pour créer, encore et toujours. En l’occurrence, des œuvres de trois créatrices de nationalités et horizons esthétiques différents, Diana Soh, Cathy Milliken et Chaya Czernowin, qui dialogueront avec une référence du genre : le Quatuor n° 3 «Grido» de Helmut Lachenmann, créé en 2001 par… les Arditti évidemment.

Jérémie Szpirglas
Écrivain, Jérémie Szpirglas publie fictions et textes de référence sur la musique contemporaine et sur l’œuvre de Serge Gainsbourg.