Après avoir revisité Sgt. Pepper's en 2017, Rover s’approprie l’album Revolver, pierre angulaire de la discographie des Beatles.
Le colosse Timothée Régnier, alias Rover, n’a peur de rien, pas même de s’emparer de Revolver. Le septième album des Beatles, paru en août 1966, est unanimement présenté comme la clé de voûte magistrale de leur discographie, le disque qui achève de transformer les jeunes exaltés de Liverpool en adultes en quête de toutes les expériences, notamment celles du studio auxquelles ils vont se consacrer totalement après l’arrêt des concerts la même année. Revolver et ses multiples coups de génie, son spectre élargi en matière de songwriting, sa production si audacieuse qu’elle ruine le moral de Brian Wilson en personne, alors que Pet Sounds des Beach Boys est sorti moins trois mois plus tôt. La démonstration de force – et de finesse – de Paul McCartney, John Lennon et George Harrison (qui signe trois chansons, dont le cinglant « Taxman » en ouverture), ainsi que la bonhomie enfantine de Ringo Starr qui se voit offrir son premier hit comme chanteur avec « Yellow Submarine » : tout cela contribue à propulser les Beatles vers un zénith inatteignable pour leurs poursuivants.
Rover n’a pourtant pas choisi Revolver par goût des défis – ni parce que le titre rime idéalement avec son nom – mais parce qu’il se sent à l’aise avec ce disque avec lequel il a grandi. « C’était l’album des Beatles préféré au sein ma famille, mais il m’intimide moins que Abbey Road, par exemple. D’un point de vue émotionnel, Revolver me touche moins profondément, même si je l’adore artistiquement parlant. Je sais donc que je peux m’en détacher suffisamment en me sentant assez libre. J’ai eu la chance de reprendre déjà Sgt. Pepper's en 2017 , mais à l’époque nous l’avions fait dans les règles de l’art, en respectant à la lettre les arrangements, les orchestrations et les tempos. Cette fois, j’ai envie de ramener l’album à aujourd’hui, de le jouer comme s’il s’agissait d’un disque sorti dans une période plus récente. J’ai à l’esprit de le jouer comme l’un de mes albums, sans le poids de la légende sur les épaules. »
Même s’il s’agit de l’œuvre maîtresse d’un groupe, composé d’individualités fortes mais dont la cohésion et l’entente collective est alors rayonnante, Rover s’est donné pour mission un peu folle de l’aborder comme s’il s’agissait d’un disque d’un artiste solo, dans une forme minimale qui pourrait inclure des synthés et un nombre d’instruments réduit. « Je voulais éviter la reprise à la guitare sèche façon feu de camp, mais en le réécoutant je me suis rendu compte qu’il pouvait tenir avec peu de choses, les compositions étant si exceptionnelles qu’elles sont adaptables à presque toutes les formules. »
Actuellement à la tâche sur l’élaboration de son troisième album – après les remarqués Rover en 2012 et Let It Glow en 2015 –, le Français, que l’on connaît pour ses orchestrations flamboyantes et son goût pour le rock extraverti à la Bowie, aura ainsi eu plaisir, par contraste, à emballer ce Revolver de tous les dangers dans un écrin intime, sans chercher à surenchérir avec sa puissance de feu originelle. « Je serai seul sur scène, la situation sanitaire actuelle crée une contrainte que j’ai voulu prendre pour un avantage en me disant que l’intimité forcée pouvait révéler des choses intéressantes dans cet exercice. Je n’avais pas envie cette fois de rejouer un disque des Beatles de manière orthodoxe. Entrer au cœur des chansons m’intéresse plus, un peu comme on creuse à l’intérieur d’un crustacé pour en découvrir la chair cachée. L’émotion devrait en être d’autant plus forte. » Rover en a assurément la carrure, et pas seulement en apparence, tout comme il a la voix et la prestance pour que l’usage un peu libre de ce Revolver de collection ne se retourne pas contre lui.