La soprano colorature Sabine Devieilhe redonne vie aux pages oubliées de l’opéra français de la fin du XIXe siècle, qui puise abondamment aux sources de l’orientalisme.
Rêvé, fantasmé, visité, l’Orient inspire à divers titres les musiciens de la seconde partie du XIXe siècle, et plus particulièrement dans le cadre de l’opéra qui accueille toutes sortes d’intrigues extrême-orientales inspirées de près (Madame Chrysanthème) ou de loin (Lakmé) par l’œuvre littéraire de Pierre Loti. Si l’intrigue chinoise de La Princesse jaune s’inscrit dans un colonialisme néerlandais, celle de Lakmé se déroule en Inde, alors sous domination britannique, et celle de Madame Chrysanthème au Japon.
D’une œuvre à l’autre, les moyens musicaux orientalisant sont sensiblement les mêmes. Si Saint-Saëns recourt au pentatonisme dans le souci de « faire chinois », il emploie également des gammes à secondes augmentées que l’on retrouve tant chez Delibes que chez Messager, montrant par là combien cet Orient reste vague et rêvé.
Le premier air de Lakmé (« Les fleurs me paraissent plus belles ») traduit l’émoi très intérieur de la jeune fille du brahmane découvrant l’amour au hasard de la rencontre d’un jeune Anglais, les trois danses du traditionnel ballet renouent avec certains poncifs visant à imiter les instruments orientaux avec ceux de l’orchestre : mélopées de flûte ou de hautbois, tambourins et triangles... Le fameux air des clochettes place l’héroïne en position de chanter la Légende de la fille du paria. La vocalise initiale, incantatoire, précède la ballade elle-même soutenue par les harpes et dont chaque strophe s’achève dans de nouvelles vocalises envoûtantes. L’évocation de la clochette déclenche alors des coloratures imitant les triangles (jeu de timbre) en une voix qui se fait instrumentale.
D’une certaine façon, la Chanson du Rossignol de Stravinski (issue de son opéra éponyme) reste dans une esthétique proche : ce n’est pas l’oiseau de la nature qui chante, mais le Rossignol mécanique de l’Empereur de Chine, tandis que l’orchestre crée un fond raffiné et scintillant, beaucoup moins tonal.
Seul de tous ces compositeurs à avoir voyagé en Orient, Maurice Delage, avec ses Quatre poèmes hindous, consacre quatre lieux : Madras, Lahore, Bénarès et Jaypur. Deux poèmes sont d’un poète indien du VIIe siècle, Bhartrhari (1 et 4), un est anonyme (3), tandis que le deuxième est du poète allemand Heinrich Heine. Certaines mélodies ont été recueillies sur place, d’autres notées à partir d’enregistrement. Quant au petit ensemble instrumental, il imite parfois le sitar indien par des pizzicati de violoncelles (« Lahore ») pour des effets de timbre au raffinement extrême. Une démarche qui se situe entre l’orientalisme passé et une ethnographie naissante.