La danse contemporaine cultive des liens puissants avec l’histoire musicale et chorégraphique, comme le montrent les quatre grandes figures invitées : les Français Dominique Brun et Pierre Rigal, les Japonais Saburo Teshigawara et Rihoko Sato et le Belge Wim Vandekeybus.
Dominique Brun s’est imposée dans le paysage chorégraphique par la créativité de son travail de reconstruction d’œuvres issues de la collaboration entre Igor Stravinski et Vaslav Nijinski, notamment Le Sacre du printemps. S’appuyant sur des recherches approfondies, sa démarche laisse cependant et nécessairement la place à la réinterprétation. Une chorégraphie s’inscrit toujours dans la sensibilité de son époque ; Dominique Brun vise précisément le dialogue entre histoire et création. Dans le cadre du Festival d’Automne, elle se penche aujourd’hui sur deux célèbres chorégraphies de Bronislava Nijinska, Les Noces et Boléro, et collabore à nouveau avec Les Siècles de François-Xavier Roth. Pour Les Noces, conçu pour pianos, percussions et chœur, Roth invite l’ensemble vocal Aedes dont le répertoire s’étend de Monteverdi à Barbara. Les Siècles et Aedes interprètent ici la version rarement donnée de Noces datant de 1917, proche de l’esprit de la fête populaire traditionnelle et du Sacre du printemps. Le Boléro sera exceptionnellement donné dans une version incluant seize chanteurs.
Échos d’une Roumanie éternelle
Stravinski s’intéressait au relations que pouvait entretenir une musique novatrice avec les énergies populaires ancestrales ; le chorégraphe flamand Wim Vandekeybus lui emboîte le pas dans sa création la plus récente, intitulée Traces. C’est en Roumanie qu’il est parti sur les traces de traditions collectives et rituelles, plus précisément dans les dernières forêts vierges d’Europe, encore peuplées d’ours et de loups. La pièce se déroule précisément aux abords d’une forêt. Instincts, intensités, animalité : Vandekeybus, figure majeure de la danse flamande depuis son premier succès en 1987 (What the Body Does Not Remember), est célèbre pour pousser ses danseurs à un engagement physique absolu. Très rock et contemporaine, la musique est issue, comme chez Stravinski, de l’univers populaire et traditionnel. Vandekeybus a proposé à un quintet de musiciens-compositeurs de s’inspirer d’airs tziganes ; il fête ici ses retrouvailles avec Marc Ribot et Trixie Whitley qui avaient composé certaines de ses créations passées. Également musiciens-interprètes, ils partagent le plateau avec une dizaine de danseurs dont ils suivent les énergies et leur répondent, traitant la voix comme un instrument supplémentaire.
Bach au Japon, Bach qui danse
La fin du mois d’avril sera placée sous le signe de Bach, avec d’une part le binôme japonais Saburo Teshigawara/Rihoko Sato et d’autre part Pierre Rigal, directeur de la compagnie toulousaine Dernière Minute. L’ancien sportif de haut niveau propose un solo insolite dans lequel plusieurs suites de Johann Sebastian Bach sont interprétées par un piano mécanique. Ceci vient nous rappeler que Stravinski avait à un moment prévu pour Les Noces une instrumentation incluant le pianola. Chez Rigal, c’est un Yamaha Disklavier qui reproduit le jeu du pianiste François Dumont interprétant entre autres la Suite anglaise no 3 et la Chaconne en ré mineur. Le pianiste-danseur se sent ici libre de revisiter par la danse quelques épisodes de la vie de Bach, ce qu’il accomplit avec élégance et esprit burlesque.
Si Rigal ne cesse de nous surprendre, il est aisé de retrouver chez Saburo Teshigawara et Rihoko Sato leur style si apprécié, unique, aérien, fluide et virevoltant. Après ses spectacles conçus autour de Ravel, Berg et Schönberg et proposés la saison dernière en collaboration avec l’Orchestre National de Lyon et l’Ensemble Intercontemporain, le duo bâtit cette fois une relation privilégiée avec Sakaya Shoji, jeune violoniste qui s’est déjà produite avec les orchestres philharmoniques de Berlin, Londres, New York et Saint-Pétersbourg et a joué sous la direction de Myung-Whun Chung, Sir Colin Davis, Kurt Masur et Valery Gergiev. La Partita pour violon seul no 2, œuvre-clé de Bach, promet de porter ce trio danse-musique vers de nouveaux envols.