Le samedi 12 mars, quatre ensembles présentent un véritable marathon de la jeune création musicale. Ce projet de nature pédagogique confronte parallèlement compositrices et compositeurs à une première expérience professionnelle, tout en affichant une dimension européenne.
D’où vient l’idée d’associer trois ensembles (Cairn, Multilatérale et l’Ensemble intercontemporain) à un établissement d’enseignement (le Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon) ?
Jérôme Combier (Cairn) – Le projet a une double dimension pédagogique et professionnalisante, qu’incarnent les trois ensembles. Je voudrais également insister sur l’aspect international du projet. Cairn présente ainsi des artistes qui viennent de toute l’Europe : une compositrice qui vient d’Allemagne, une compositrice turque, une Ukrainienne, un compositeur espagnol et, en 2023, les musiciens joueront la musique de compositrices italienne, serbe, franco-marocaine, et de deux compositeurs belge et turc.
Jean Geoffroy (Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon) – Le cadre original offert par ce Tremplin a poussé les compositeurs à se concentrer sur un effectif. C’est pédagogiquement très intéressant dès lors que l’on travaille à plusieurs compositeurs sur quasiment un même ensemble et avec les mêmes interprètes. Pour les interprètes, c’est également une chance de pouvoir passer dans un même concert d’une approche musicale et d’un discours à un autre. D’autre part, cela incite à penser une forme globale, éventuellement un ordre, tout en mettant en perspective l’écriture même de la pièce. Nous assistons à la création d’un ensemble éphémère, riche de ses différents regards, rencontres et approches musicales.
Yann Robin (Multilatérale) – Au tout début de l’aventure, nous étions plutôt tournés vers le territoire national. Très rapidement, nous nous sommes rendu compte que cela serait un peu difficile de respecter le cahier des charges dans la durée. Ceci nous a assez rapidement amené à une ouverture sur l’Europe. Sur le principe de la mixité, la contrainte était de trouver des jeunes et très jeunes talents encore non identifiés dans le paysage de la création que nous aurions envie d’encourager. À ce jour, le mode de recrutement se fait auprès de jeunes compositrices et de jeunes compositeurs que l’on croise dans des académies ou qui nous sont recommandés par certains de nos collègues ayant une classe de composition en CRD, CRR ou dans les deux CNSMD, mais aussi dans des universités ou grandes écoles à l’étranger. À partir de là, c’est un pari que nous faisons en leur passant commande et en leur donnant l’opportunité d’apparaître dans le cadre de ce Tremplin de la Création à la Philharmonie.
Au-delà de la variété de genres et de nationalités, avez-vous varié les provenances institutionnelles ?
Olivier Leymarie (Ensemble intercontemporain) – La seule consigne était de choisir de tout jeunes compositeurs n’ayant jamais (ou pratiquement pas) été joués à Paris. C’était une demande claire d’Emmanuel Hondré (à l’époque directeur du département Concerts et spectacles de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris). Cela suppose de chercher un peu, au-delà des compositeurs repérés, et c’est un des aspects passionnants de cette initiative. L’Ensemble intercontemporain est habitué à collaborer avec les classes de compositions du Conservatoire de Paris. Et puis, Matthias Pintscher, le directeur musical de l’Ensemble, enseigne la composition à la Juilliard School de New York. On a également sollicité notre « collège des solistes », constitué de quelques représentants artistiques de l’Ensemble, avec lesquels nous avons discuté de quelques noms de jeunes compositrices et compositeurs que nous avions pu repérer. De là, nous avons composé une liste de sept jeunes compositrices et compositeurs, communiqué avec eux en visioconférences tout au long du processus, et aussi, pour expliquer le rôle d’un bibliothécaire d’un ensemble permanent de musique contemporaine comme le nôtre, à quoi servait la coordinatrice artistique, etc. Une manière de les accompagner dans une première mise en situation professionnelle.
Six heures et demi de musique. C’est un marathon !
Olivier Leymarie – Il y a une petite trentaine de nouvelles pièces. Forcément, il y a un côté marathon et showcase, très assumé, avec le souhait de faire venir des professionnels en plus du public, pour que des éditeurs, des programmateurs, des directeurs ou professeurs de conservatoire découvrent de nouvelles signatures. Voyons comment nous pouvons rendre la chose attractive et agréable pour le public.
Jean Geoffroy – C’est une magnifique vitrine, au sens d’une pluralité des propositions, des esthétiques. Il est clair, qu’en termes d’écriture et de courants esthétiques, nous voyons émerger de nombreuses approches qui sont une préfiguration des prochaines aspirations portées par ces nouvelles générations de créateurs. Le Tremplin est un moment très important pour l’Espace Transversal de Création (ETC) qui regroupe l’ensemble des activités liées à la création au sein du Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon. Cette année, les sept étudiants en composition du CNSMD Lyon qui participent à ce Tremplin sont issus de quatre classes différentes (ils viendront l’année prochaine des cinq classes de composition) qui, chacune, porte une vision singulière en termes de son au sens large, d’écriture, d’espace sonore, de rapport à l’interprète… De fait, grâce à cette richesse de proposition, nous avons la chance d’avoir des profils très différents, ce qui fait la richesse de l’ETC. Tout cela se traduit par une grande diversité d’approches, et cela contribue aujourd’hui, comme nous pouvons le constater, à une incroyable et nouvelle dynamique portée par ces nouvelles générations.
Yann Robin – Ces vingt-cinq dernières années, avec l’explosion des nouvelles technologies et l’accès instantané au monde via Internet, les créateurs ont gagné en liberté et en diversité. Dans le cas des deux Conservatoires nationaux, aucun étudiant ne ressemble à un autre, que ce soit par son approche compositionnelle ou par son esthétique. C’est ce que je remarque également lors de recrutements dans des académies de composition. Les sensibilités sont tellement différentes. On trouve une immense diversité avec souvent une grande inventivité.
Jérôme Combier – Ce qui a guidé les choix, ce sont d’abord les personnalités et les individualités. Yann et moi étant compositeurs, nous lisons forcément les partitions de manière un peu orientée sur le plan esthétique. Nous ne pouvons pas l’évacuer, cela fait partie de nous. Mais l’accent a été mis sur cette question des individualités fortes. Et puis, ce que je retiens d’important, c’est le souhait d’élargir à l’Europe. Même si nos pratiques musicales ne sont pas extrêmement populaires et ne se diffusent pas facilement dans tous les réseaux nationaux, quelque chose se tisse de par le globe. La musique circule très vite, elle n’a pas besoin de transcription, de traduction. Très vite, un réseau international se crée.
Prévoyez-vous déjà une place pour ces nouveaux talents dans votre prochaine saison ?
Olivier Leymarie – Il faut peut-être un peu plus qu’une expérience réussie avant qu’on ne confie, par exemple, une grande pièce à un jeune compositeur. Par rapport aux trois autres ensembles impliqués, dont l’effectif est plus resserré, l’effectif de l’Ensemble intercontemporain est assez large. Nous sommes 14-15 à jouer pour ce Tremplin. C’est déjà beaucoup pour un compositeur qui a 25-30 ans. Les partitions que nous avons reçues sont très prometteuses. Si nous avons un coup de cœur pour une partition vraiment excitante, on trouvera une place pour la saison prochaine, il est encore temps. Sinon, on demandera peut-être une deuxième chose aux deux ou trois compositrices ou compositeurs qui nous plaisent tout particulièrement, avant de nous lancer dans une grande pièce, par exemple. Mais c’est clairement une occasion supplémentaire de repérage. On apprécie la collaboration avec la classe de composition du Conservatoire, parce qu’on découvre des jeunes talents qui nous emmènent dans des endroits où, spontanément, on n’irait pas forcément tout seul. On s’est efforcé de faire appel à sept personnes que nous ne connaissions pas et avec lesquels nous n’avions jamais collaboré.
Yann Robin – Les musiciens se mettent totalement à la disposition de tous ces créateurs en herbe en les guidant au mieux dans leur projet. Ils sont aguerris à tout pour montrer et donner ce qu’il faut pour que ces compositrices et ces compositeurs puissent ressortir de là grandis et en ayant une compréhension meilleure des instruments et des instrumentistes. Autre dimension importante, le rapport à des interprètes de très, très haut niveau qui peuvent mettre le doigt, s’il le faut, sur des points précis pour pouvoir faire avancer ces jeunes sur le chemin de leur propre imaginaire. Ce rapport à l’interprète est un moment important dans la formation de ces jeunes créatrices et de ces jeunes créateurs.
Comment le Tremplin est-il voué à évoluer ?
Yann Robin – L’année dernière, nous n’avons pas pu faire le concert du premier Tremplin en raison du confinement. Nous avons à la place réalisé une très belle captation de l’événement dans la Grande salle Pierre Boulez. C’est là que nous avons appris que Cairn, l’Ensemble intercontemporain et le CNSMD Lyon allaient se joindre à cette édition 2022. Au-delà du fait que nous aimons travailler ensemble, cela permet de mettre nos imaginations en commun et de voir comment la chose peut évoluer et grandir. Nous aurons davantage la main sur l’organisation et la scénographie. Pour l’édition 2023, nous avons d’ailleurs mis en place une commande pour trois ensembles réunis et spatialisés, avec les étudiants interprètes du CNSMD Lyon qui vont se greffer à chacun des ensembles. Il y a donc une dimension pédagogique autour de la création et de l’interprétation de la création, et aussi une tentative de modèle ambitieux que l’on confie à un jeune compositeur français, Sylvain Marty. Et dès lors que nous projetons d’inscrire ce Tremplin de manière pérenne, cela influe sur la manière de diriger nos ensembles. Cet événement va prendre une place dans notre quotidien, dans la gestion et dans la direction de nos projets.
Propos recueillis par David Christoffel